[Entre les lignes] À merdeux, nerveux et demi

Dessin : Ben 8

Maman et ses deux fistons montent avec moi au Mucem dans le bus à moitié vide 🚌 en direction du Prado. Cheveux mi-longs poivre et sel, lunettes de vue 👓 sur le haut du front, elle porte une longue jupe kaki ainsi qu’une petite veste grise 🧥 et des baskets noires 👟. Elle a également un gros sac de sport sur le dos 🎒. L’aîné de ses enfants d’à peu près huit ans 👦 me bouscule sans gêne pour courir prendre une place assise 💺tandis que son frère d’environ six ans se débat pour échapper à sa mère 👩 qui le retient d’une main de fer par le col 🤛 de sa veste. Ce dernier, une vraie pile électrique 🔋, chouine beaucoup, car il veut rejoindre son frère modèle parti squatter le fond du bus en compagnie d’un jeune homme en sweat à capuche.
J’appréhende énormément le trajet. Je sens comme une grosse cacahuète 🥜 arriver à table au moment de l’apéro🥛, mais sans le pastis ni l’aïoli ni les chips de rigueur. Ça ne sent pas bon du tout 🤢. Car Maman choisit de s’installer avec son agité de marmot sur les sièges devant moi 💺 après avoir déposé son fardeau à ses pieds. Elle coince le minot côté fenêtre 🪟 afin d’en avoir un semblant de maîtrise. De plus, elle ordonne en boucle à son aîné de les rejoindre, c’est-à-dire sur la place vide à ma droite côté couloir. Fort heureusement, son grand garçon la snobe royalement et continue de jouer à un jeu vidéo bruyant sur son téléphone. 📳
– R. Viens ici s’il te plaît ! (Pas de réponse) Donne-moi mon téléphone alors ! 🙎‍♀️
– Non ! Tu m’as dit que si je suis sage 👼, je peux jouer jusqu’à quand on arrive à la maison.
– Mais là, tu n’es pas du tout sage, R. Tu ne m’écoutes pas. Viens t’asseoir ici. Vite !
– Ho laisse-moi, toi ! Je fais rien. Je joue, c’est tout.
– Je veux que tu viennes t’asseoir ici devant moi !
– J’viens pas. J’ai pas envie. J’aime pas ces places en plus.
– Je t’ai dit de venir ici, c’est tout ! Obéis, s’il te plaît ! Allez ! Et toi, tu restes tranquille, tu me fatigues ! 😩 D’accord ?
En effet, le petit qui désire absolument voyager près de son frère tente toujours d’échapper aux griffes maternelles. Cette dernière le maintient cette fois-ci avec le bras droit 💪 contre le dos de son siège tout en se rongeant le pouce de la main gauche.
– Moi aussi, je veux aller là-bas. Moi aussi, je veux jouer.
– Tu sais même pas jouer, espèce de mongole 🙀
– Si, je sais jouer. Hein maman, je sais jouer ?
– Mongolito, la tête à Toto ! 😁
– R ! Ce n’est pas du tout gentil ce que tu dis à ton petit frère ! Tu vas arrêter de faire le vilain maintenant ? On est dans le bus.
Pour toute réponse, R le merdeux se contente de rire sous cape et continue à nous chauffer les oreilles👂. Sur la rangée de droite, une dame d’une quarantaine d’années observe comme moi toute la scène. Je la sens encore plus agacée. Elle plisse des yeux 🙄, soupire 😡 et se pince les lèvres 🫦 depuis tout à l’heure. Et tout comme moi, elle a sans doute envie de rendre service à Maman, mais se contient. Une fille d’environ six ans et une préadolescente l’accompagnent. Le comportement de R le merdeux scandalise fortement la petiote, qui tient à exprimer son indignation.
– T’as vu, tata ? Le garçon joue avec le téléphone de sa maman.
Tata se contente d’acquiescer de la tête.
– Et il veut pas lui rendre en plus. Tu as vu ? Ça se fait pas, hein, Tata ?
– Oui, oui !
– Moi, ma mère, elle m’interdit de jouer avec son téléphone. Et mon père aussi.
– Ce n’est pas pour les enfants, répond Tata.
– Oui, le téléphone des parents, c’est le téléphone des parents. Hein Tata ?
– Oui. Vous aurez les vôtres quand vous serez grandes, ma chérie. Et sages aussi !
– C’est nul. Au collège, tout le monde a un téléphone portable, avance la préado.
– Tu es l’enfant de tout le monde, toi ?
– Non, je veux dire, tous les élèves. Ils ont des téléphones, sauf moi.🥹
– Ben, toi, t’es ma fille 💇, donc c’est moi qui décide quand tu en auras un. D’accord ?
– Dans ma classe, ils ont tous le téléphone.
– Travaille déjà bien en classe et après, on pourra en parler. Peut-être ! (Moue boudeuse de la préado)
De mon côté du bus, le petit nerveux ne digère pas le qualificatif employé par son traître de grand frère et passe à l’offensive.
– Pisseur (Là, Maman lui fait les gros yeux 👀 tout en le maintenant plus fort avec le bras pour lui enjoindre de se taire)
– Tu vas voir ce que je vais te faire à la maison 🏡, espèce de mongolito
– Tu pisses au lit 😁 (Maman lui ferme la bouche avec sa main gauche 🫢)
– Je vais t’niquer, tu vas voir ! Je vais t’enc*ler (Avec des trémolos mêlés de colère dans la voix).
À ces mots, Tata n’en peut plus. Elle se lève d’un bond et se dirige vers le fond du bus. Elle se met devant R et lui dit d’une voix douce et ferme :
– R, mon garçon, ça suffit maintenant ! Tu as assez joué. Donne-moi ce téléphone ou je vais me fâcher ! 📳 Ok ?
Interloqué par la réaction de Tata, R le merdeux en reste bouche bée et yeux gros 👀. Il cherche une réplique à donner dans le regard de sa mère, mais Tata lui bloque la vue 🔎.
– Tu vas arrêter de nous casser la tête et les oreilles avec ton jeu vidéo. 🎮 Ok ?
La voix caverneuse du jeune homme en sportswear vient rajouter une pression supplémentaire sur R le merdeux, complètement hagard.
– Donne-lui le téléphone ou je te fous une tarte comme tu n’en as jamais reçu de toute ta vie. 😱
– Non mais ça va pas ? Ne parlez pas comme ça à mon fils ! 😡
– Ça fait une heure que vous lui parlez, madame ! Il n’entend pas. Il doit être sourd. Une bonne claque, ça peut déboucher les oreilles.
– C’est interdit de frapper les enfants, prévient la petiote
– Mais lui, ce n’est pas un enfant, c’est une taupe. Un enfant, ça écoute sa maman
– Et son papa aussi.
– Et son papa aussi.
– Vas-y, donne le téléphone à la dame. Même ta mère ne peut pas te venir en aide, alors vite, donne le téléphone. (R le merdeux, visiblement apeuré, obéit à son voisin sans moufter).
Tata saisit l’appareil et se dirige vers sa propriétaire légitime.
– Tenez, madame. J’ai pu lui reprendre votre téléphone. Par contre, si vous pouvez l’éteindre et le mettre en sourdine, ce serait vraiment sympa de votre part. Merci.
Maman reprend son bien en silence et arrête le jeu vidéo. Elle fait ensuite quelques manipulations dessus puis le fourre dans la poche intérieure de sa veste. R le merdeux s’empresse d’aller la rejoindre. Son petit frère quant à lui ne montre plus aucun signe d’hyperactivité.
Il faut tout un village pour éduquer un enfant, dit un proverbe africain. Il suffit parfois de quelques passagers au bord des nerfs dans un bus pour voyager dans le calme et la sérénité.
À bientôt pour d’autres aventures entre les lignes, les amis.