Chougnet : "Si l'on choisit des sujets tièdes au Mucem, on va faire bâiller"
Chougnet : "Si l'on choisit des sujets tièdes au Mucem, on va faire bâiller"
Fin octobre, le Mucem va lever le rideau sur deux expositions temporaires, en place jusqu'à début mars : Raymond Depardon, un moment si doux et Food, Produire, manger, consommer. Deux expositions organisées sous la présidence de Bruno Suzzarelli, remplacé début septembre sur décision du ministère par Jean-François Chougnet. Si celui-ci dispose d'un peu de répit pour imprimer sa marque sur les grandes lignes de la programmation, il devra la compléter et l'ajuster en fonction de l'actualité et des liens créés avec les autres structures culturelles locales. Entre autres chantiers majeurs et urgents, le tout nouveau président va devoir travailler sur la réouverture ou non des salles du Fort Saint-Jean en partie fermées, sur l'attente du public vis-à-vis d'un contenu jugé trop léger par certains, le désir des employés d'être davantage associés à la politique de la maison et le développement d'échanges avec les pays du pourtour méditerranéen.
Marsactu : Il y a quelques jours, vous expliquiez en conférence de presse qu'il n'était pas négatif que les visiteurs se promènent au Fort Saint-Jean et sur la terrasse du Mucem sans forcément visiter les expositions. Pouvez-vous expliciter votre propos ?
Jean-François Chougnet : La visite du Fort et des passerelles ne sont pas inintelligentes. L'architecture relève également du champ culturel. L'intérêt d'une visite du Fort Saint-Jean restauré et de l'extérieur de l'édifice de Ricciotti ne doit pas être sous-estimé. Ceci étant dit, cela m'étonne que dans le discours ambiant, l'on s'émeuve du fait que "seulement" 30% des visiteurs rentrent à l'intérieur du Mucem pour visiter les expositions. Cela fait tout de même 600 000 personnes alors que le musée était programmé pour en accueillir moitié moins !
Mais que faire pour attirer ces visiteurs dans les murs ?
Il faut peut-être insister sur les activités comme les conférences, les expositions, les spectacles, surtout pour fidéliser la partie régionale des visiteurs [44% des visiteurs ont originaires de la région Paca, 40% d'autres régions françaises et 16 % de l'étranger – ndlr, source Mucem]. Mais je constate tout de même que le pourcentage de gens qui reviennent, soit 42%, n'est pas négligeable.
Dans votre interview donnée à Télérama, vous formuliez le souhait que le Mucem ne devienne pas un musée à touristes. Le musée doit-il s'adresser en priorité aux Marseillais ?
Cela n'était pas un gros mot dans ma bouche (rires). On peut être touriste dans sa propre ville. Mais oui, il faut d'abord s'adresser aux habitants du territoire qui sont majoritaires dans le public du Mucem. Une partie du travail est déjà faite à mon sens, par exemple avec le programme réalisé en direction des scolaires. En fait, je voulais surtout fustiger un certain modèle – qui est la tendance actuelle des musées – qui consiste à ne montrer qu'un ou deux chefs-d'oeuvre, dans une logique de restriction des dépenses, plutôt que de présenter une exposition un peu plus sophistiquée. Je crois que le public est exigeant et qu'il ne faut pas le sous-estimer. Lorsque je me promène dans les galeries, j'entends des critiques de connaisseurs. Le musée est une des rares institutions qui s'adressent à tous, il faut aussi travailler sur un spectre large.
Avez-vous une idée de la provenance des visiteurs marseillais par quartiers ?
Les relevés de billetterie de mars à septembre 2014 donnent les résultats suivants : quartiers Nord : 13,1%, Est : 13,4 %, Sud : 47,8%, Centre : 25,4%. Ces répartitions sont de mémoire assez proches de celles des événements de rue de MP 2013, avec des déterminants lourds en termes de transports. En valeur absolue, cela fait quand même 30 000 visiteurs qui viennent des quartiers Nord.
83% des objets acquis cette année sont d'origine méditerranéenne. Est-ce pour rééquilibrer votre fonds constitué d'oeuvres d'origine plus européenne issues du musée d'art et de tradition populaire (ATP) ?
Il est vrai que nous devons, à juste titre, faire face à une critique récurrente selon laquelle le musée d'art et de tradition populaire ne serait pas totalement en phase avec la proposition du Mucem. En fait, dès la fermeture du ATP (en 2005 – ndlr), il existait déjà une proposition de réajustement de cet ordre dans la programmation scientifique et culturelle du Mucem. II faut réorienter les acquisitions et les collectes vers cette dimension méditerranéenne. Après, ce qui est exposé correspond à un tout petit morceau d'iceberg enfoui sous la mer. Les collections du Mucem sont riches ! Il faut aussi ajouter aux pièces du ATP celles du département Europe du musée de l'Homme, dont les collections sont moins franco-françaises. Les possibilités de faire tourner les pièces contenues dans les réserves de la Belle de Mai – toutes numérisées – restent importantes.
La politique muséale est-elle également de parvenir à faire circuler des oeuvres entre les pays du pourtour méditerranéen et ailleurs en France ?
L'idée est bien de parvenir à faire un Mucem hors les murs. En tant que musée national, nous ne sommes pas destinés à organiser des expositions exclusivement sur place. Il y a des collections qui n'intéressent pas le public local, il faut envisager des partenariats avec d'autres lieux, des échanges de collections interrégionales. Ces échanges pourront se faire seulement petit à petit car les structures muséales commencent à s'organiser en Méditerranée, comme le musée d'art contemporain de Rabat ou encore celui d'Alger. Jusqu'à présent, il y avait surtout des musées d'archéologie, comme en Tunisie.
Pour vous, le Mucem est un musée de société, qui doit proposer une programmation en résonance avec l'actualité. Vous estimez qu'il doit être un lieu de débat ?
Oui et cela va déjà dans le bon sens avec les colloques, les conférences. J'aimerais conserver cette réactivité, ne pas figer la programmation. Nous devons pouvoir réagir en fonction d'une certaine actualité même si on nous demande d'avoir du recul. Nous ne sommes pas une chaîne d'information continue (rires). Ce qui s'est passé avec l'exposition d'Odessa est un risque à courir. Si l'on choisit uniquement des sujets tièdes au Mucem, nous allons faire bâiller.
Dans cette optique, le Fort Saint-Jean a-t-il vocation à accueillir et mettre en valeur les artistes contemporains ?
C'est en effet la marque du Fort Saint-Jean et en particulier du pavillon Georges-Henri Rivière de mettre des coups de projecteurs sur les scènes contemporaines de l'espace méditerranéen. D'autant qu'elles ont besoin de cette visibilité. Par exemple, la scène artistique grecque est complètement oubliée. On a beaucoup de mal à faire des échanges alors qu'elle est très riche, de même que la scène tunisienne.
Justement, fin octobre, le maître d'ouvrage Oppic (Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture) doit vous remettre un rapport sur les salles du Fort Saint-Jean dont une partie est fermée. Certains travaux ont-ils été réalisés dans la précipitation avant l'ouverture du musée ?
Non, les travaux n'ont pas été réalisés dans la précipitation, mais il y a eu en cours de route un changement de programme. Au départ, il était question de restaurer le Fort Saint-Jean pour le rouvrir au public, pas nécessairement pour y exposer des pièces. Mais nous comptions beaucoup sur l'un des caractéristiques de l'édifice, le fait qu'il soient "inertes", ce qui signifie qu'ils ne sont pas censés subir trop de modifications en fonction du temps. Le rapport étudie le fort salle par salle, pour savoir si une réouverture est faisable, selon les coûts proposés. Ce n'est pas forcément tout ou rien.
En début d'été, il y a eu des remises en cause par les employés de l'organisation interne. Comment comptez-vous y répondre ?
Les représentants des personnels ont surtout rapporté le sentiment d'un manque de considération. En clair les employés ne se sentent pas assez impliqués. Nous devrions arriver à dégager des priorités claires et partagées sur la production du musée. J'ai l'intention de les réunir souvent, à l'occasion de comités techniques d'entreprise.
Nous avons aussi recueilli des témoignages d'employées engagés par des prestataires de services. Le fait, par exemple, de recourir à une externalisation des guides conférenciers n'a t-il pas un impact sur la relation avec le public ?
La question n'est pas simple. La sous-traitance dans certains domaines permet de se recentrer sur la production du sens. Avoir des équipes vastes disperse l'équilibre d'inflexion et de définition des contenus. Concernant les médiateurs, nous avons l'impression que le prestataire est en phase avec l'équipe du musée. L'important est de savoir pourquoi on sous-traite. Avant, lorsque je travaillais au centre Pompidou, nous devions faire nous-mêmes les audio-guides : à l'époque, c'était considéré comme le coeur du métier… Au Mucem, nous souhaitons réaliser un équipement menuiserie et un atelier dans les réserves du musée, à la Belle de Mai. Cela permet d'éviter la sous-traitance à l'extérieur de l'atelier et de trop sortir les oeuvres. Après, cette ligne n'est pas définitivement adoptée, il faudra effectuer un bilan régulier pour établir un équilibre entre notre cœur de métier et les moyens les plus économiques et rationnels d'y parvenir. Quoi qu'il en soit, le choix n'est pas inédit, je pense notamment au musée Picasso qui sous-traite également.
En quoi votre casquette de directeur de Marseille-Provence 2013 pourra-t-elle vous aider ?
Dans tout ce qui est logique de développement, connaissance des publics, cette expérience m'aide à aller plus vite. L'autre point consiste à créer du lien entre le Mucem et les organismes culturels locaux. Nous allons ressortir les collections des réserves, participer à des projets avec la Criée et la Friche notamment sur l'art forain. D'autre part, j'ai repris mon bâton de pèlerin pour aller voir tout le monde et travailler sur des thèmes communs.
Les délais entre les expositions sont assez importants, près de deux mois. Cela risque d'entraîner un impact sur la fréquentation. N'y a-t-il pas moyen de faire plus court ?
Si, et nous entendons des critiques du public sur ce point. L'idée est de parvenir, en 2015, à décaler les expositions. Il faut qu'il y ait une phase de chevauchement. Cela suppose une petite adaptation technique notamment du monte-charge mais ce n'est pas insurmontable.
Commentaires
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Quelles salles exactement sont fermées ? Est-ce qu’elles ont été ouvertes en 2013, puis fermées ensuite ? Parce que moi j’ai vu pas mal de choses au Fort Saint-Jean.
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Attention MARSACTU ! La syntaxe et l’orthographe sont des éléments importants pour un media écrit (même numérique !) Vos articles deviennent de plus en plus difficiles à lire
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Une photo rare : chougnet tente un sourire
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La chapelle du fort n’a pas été ouverte que quelques jours, mais plusieurs mois. En réalité elle accueillait le public depuis l’ouverture en juin et s’est retrouvée fermée en février.
Les salles du “village” sont toujours ouvertes pour le moment (incluant les 6 salles sur les théâtres de marionnettes et la salle du cirque).
Les autres salles quant à elles n’ont jamais pu être ouvertes au public (galeries haute et basse des officiers, salle de la fête foraine sur la Place d’armes).
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Qui c’est qui l’ a nommé là ??
Il s’est trouvé une super plaque , n’est ce pas ?. A l’époque de MP2013, il regardait déjà le MUCEM en chantier avec convoitise.
Son bla-bla , c’est du vent. Il était commissaire d’expo à Versailles avec un truc très “bling bling” genre Koons qui ne valait pas tripette. Voilà la ligne CHOUGNET. Bonne video.
http://www.dailymotion.com/video/xsm1xm_l-exposition-vasconcelos-au-chateau-de-versailles-2012_creation
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L’historien Fernand Braudel , dans son ouvrage,paru en 1986 « l’identité de la France »
explique qu’une identité nationale et toujours en construction
Tout d’abord, le titre de son ouvrage a longtemps tourmenté Fernand Braudel. Pour lui, le nommer L’identité de la France supposait qu’il démontre l’unité du pays, car « toute identité nationale implique, forcément, une certaine unité nationale », selon ses mots. Cependant, il avait peur que par ce titre, les lecteurs ne restent cantonnés à une vision simpliste de la France comme « un discours, une équation, une formule, une image, un mythe ». Par conséquent, on comprend pourquoi Braudel, qui commence par un chapitre 1 : « Que la France se nomme diversité » enchaîne aussitôt sur un deuxième chapitre : «La cohésion du peuple» qui met en exergue l’unité du pays. Il n’y a donc aucune restriction de l’un sur l’autre. La France est diversité, composée de milliers d’espaces dotés de microclimats particuliers, faisant fonctionner des micro-économies distinctes, caractérisées par des centaines d’accents et de tonalités linguistiques différentes (la langue d’oc et la langue d’oil ont contribué à diviser la France en deux), des coutumes, des folklores, des habitudes alimentaires, des structures familiales, des paysages, des singularités nationales et régionales qui en font une véritable mosaïque multicolore des nuances les plus variées. Ceux-ci sont toutefois joints par des ciments solides. Mais les villages, bourgs et villes, qui ont tous leur originalité, représentent le pluriel, l’hétérogène et le multiple de la France. Pour lui, il existe un danger à nier les particularismes et la pluralité: « ni l’ordre politique, ni l’ordre social, ni l’ordre culturel ne réussissent à imposer une uniformité qui soit autre chose qu’une apparence ».
Selon cette vision de la diversité culturelle française, les collections du fonds historique du MNATP en confrontation avec les collections « Europe » du musée d e l ‘Homme avec une nouvelle lecture axée sur les diversité culturelles trouvent donc pleinement leur place dans le MUCEM dont le propos est de montrer la diversité des cultures et leurs convergences dans l’espace euroméditerannéen.
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Bonjour Elodie Crezé,
Si vous chatouillez quelque peu Mr Chougnet sur le contenu scientifique (à ce propos, il s’agissait, jusqu’en 2005, du musée DES artS et TraditionS populaireS), contenu dont nombre d’anthropologues ont commenté le manque de pertinence et le caractère idéologique affligeants, vous ne le reprenez pas sur la scandaleuse politique du travail salarié qui est celle du musée actuel, et qui avait fait, dans vos colonnes, l’objet d’un article de fond très intéressant. Plus rien sur la précarité des agents de médiation et l’indigence de la formation, plus rien sur les contrats aux clauses étonnantes (interdiction faite aux agents de médiation de communiquer avec les conservateurs), plus rien non plus sur la politique salariale pour le moins brutale. Tout cela a-t-il été résolu, ou la seule arrivée de Mr Chougnet justifie-t-elle qu’on ne l’interpelle pas sur les points qui avaient pourtant fait l’objet d’un litige avec Mr Suzarelli (si l’on en croit le droit de réponse publié dans vos colonnes, et le commentaire que vous en aviez fait) ?
Faut-il croire que la situation décrite dans votre article “Derrière les résilles du Mucem, des dizaines de précaires” ne correspondait pas à la réalité ?
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Monsieur,
puisque vous n’êtes pas qu’un organisateur de spectacles, voici une proposition.
Avant d’être un musé pour visiteurs, le MuCEM doit être un centre de recherches en ethnologie.
Or, l’ethnologie française est très liée à l’empire colonial.
Donc je suggère une recherche-débat-exposition sur “Marseille et le fait colonial” (incluant Marseille = colonie)
Un beau remue-ménage en perspective !
J’attends d’en voire les manques. Mais là, j’exprime mes préjugés.
Bien cordialement. PV
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Ce soir invitation en avant première, à deux expositions au Mucem : Raymond Depardon et Food. Une queue de 300 m en arabesque autour du Mucem, et le flux croisé des arrivants et des décrocheurs.
On se demande autour de la queue si cette façon de faire n’est pas du Chougnet ou du MP 2013 : arroser tout Marseille de cartons d’invitation, sans prévoir un service d’accueil et de contrôle suffisant, histoire de montrer combien l’engouement suscité par l’évènement était grand ?
Nous faisons le choix de contourner le fort St-Jean et de retourner vers la ville en quête d’une alternative. Pas de lumière autour du fort St-Jean, où existe pourtant un éclairage au sol mettant bien en valeur cette fortification. Un vrai coupe-gorge, à deux pas de l’Hôtel de ville tout illuminé.
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Bis repetita ce soir au Mucem où le nouveau gestionnaire se fout du public. Une copieuse file d’attente dans le froid et sous la pluie, pour la rencontre avec Edgar Morin sur le bonheur, fixée à 19h. La file n’a pas bougé, de 18h50 à 19h20, où elle s’est dissoute, parce que le bouche à oreille a porté la rumeur que c’était complet.
Le bruit courait qu’il n’y avait qu’un seul vigile pour fouiller les sacs. Personne n’est sorti pour informer la file. Pas de haut-parleur à l’extérieur non plus.
Bis repetita ce soir au Mucem où le nouveau gestionnaire se fout du public. Une copieuse file d’attente dans le froid et sous la pluie, pour la rencontre avec Edgar Morin sur le bonheur, fixée à 19h. La file n’a pas bougé, de 18h50 à 19h20, où elle s’est dissoute, parce que le bouche à oreille a porté la rumeur que c’était complet.
Le bruit courait qu’il n’y avait qu’un seul vigile pour fouiller les sacs. Personne n’est sorti pour informer la file. Pas de haut-parleur à l’extérieur non plus.
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