Ces recours électoraux qui pourraient renvoyer des Marseillais aux urnes
Après les urnes, place aux recours. Yannick Ohanessian (Printemps marseillais) contestera la victoire aux municipales de Julien Ravier et Sylvain Souvestre (LR) dans les 11/12 le 19 février devant le tribunal administratif. Stéphane Ravier (RN) suivra pour faire annuler l'élection de David Galtier et Marion Bareille (LR) dans les 13/14.
Yannick Ohanessian et Jean-Marc Signe, têtes de liste du Printemps marseillais au second tour dans les 11/12, ont déposé un recours le 3 juillet 2020. (Photo : Emilio Guzman)
Et si, après avoir connu deux tours distants de trois mois, et deux élections du maire en six mois, les municipales 2020 devaient être rejouées ? C’est le sens des contestations électorales déposées devant le tribunal administratif de Marseille dans la foulée du scrutin. Elles concernent trois secteurs de la ville et, cassons le suspense, ne semblent pas de nature à faire basculer à nouveau la majorité municipale et le fauteuil de Benoît Payan. Mais elles pourraient en revanche modifier le paysage dans ces arrondissements suivis de près.
Les 11e et 12e arrondissements sont les premiers à arriver à l’audience. Le 19 février, Yannick Ohanessian, le candidat du Printemps marseillais, et Pascal Chamassian, le candidat de La République en marche éliminé au premier tour, tenteront de casser la victoire de la liste LR conduite par Julien Ravier. Puis viendra le tour de Stéphane Ravier, du Rassemblement national, qui essaiera de priver de la mairie David Galtier et Marion Bareille (LR) qui l’ont remplacé en juin dans les 13/14. Le tribunal administratif examinera enfin le recours introduit par Jean-Philippe Agresti, le représentant de Martine Vassal dans les 4e et 5e arrondissements. Le doyen de la fac de droit avait échoué d’une poignée de voix lors du premier tour dans un secteur finalement emporté par Michèle Rubirola, pour le Printemps marseillais. Il tentera de démontrer qu’une éventuelle qualification aurait changé la donne du second tour.
D’autres ne sont plus d’actualité. C’est le cas du recours d’Alain Lhote, candidat de Samia Ghali dans les 2e et 3e arrondissements, qui selon lui “a fait l’objet d’un rejet le 7 septembre”. Un autre encore n’a jamais été posté : alors que l’alliance avec Samia Ghali se profilait à la mairie centrale, Jean-Marc Coppola, représentant du Printemps marseillais battu par l’élue dans les 15e et 16e arrondissements, a gardé ses griefs pour lui.
La “sincérité du scrutin”
Pour ceux qui restent en course, la règle est à chaque fois la même. Il s’agit de convaincre le tribunal que le scrutin a été entaché d’irrégularités qui permettent de mettre en doute le résultat final. On dit alors qu’il n’est pas sincère, comme l’explique le Conseil d’État qui statue en dernier recours sur les litiges électoraux :
La circonstance qu’une ou plusieurs irrégularités ou manœuvres aient été commises ne conduit pas automatiquement à l’annulation de l’élection. Le juge apprécie, au cas par cas, si la sincérité du scrutin a pu être affectée. Afin d’apprécier cette incidence, il met en regard la gravité, l’ampleur et les répercussions potentielles de ces irrégularités avec l’écart des voix. Lorsque, compte tenu du faible écart des voix ainsi que de la nature et de l’ampleur de la manœuvre, de l’irrégularité ou de l’abus de propagande en cause, le juge estime que la sincérité du scrutin a été viciée, il annule en principe l’élection.
Dès lors, chaque requérant doit mettre en regard son retard de voix et les entorses à la règle qu’il a constatées. Les deux principaux porteurs de recours, l’adjoint au maire Yannick Ohanessian et le sénateur Stéphane Ravier, ont chacun choisi un chemin différent. Pour l’élu socialiste, il s’agit de démontrer que le climat général de l’élection fait naître un sérieux doute sur l’issue du scrutin au terme duquel il a obtenu 352 voix de moins que le maire de secteur sortant Julien Ravier.
La revue de presse de Yannick Ohanessian
Il peut, pour ce faire, s’appuyer sur plusieurs éléments devenus publics après la révélation par Marianne et France 2 du scandale des procurations et les nombreuses révélations de la presse – dont Marsactu – puis de la justice pénale. Dans son recours que nous avons pu consulter, le Printemps marseillais revendique la paternité de la découverte des 51 procurations signées à l’Ehpad Saint-Barnabé. “Dans le milieu de matinée, les premiers mandataires résidant au 32, boulevard Garoutte se sont présentés. Étonné par le nombre de personnes demeurant à cette adresse (6/7 vers 10 h), j’ai vérifié sur internet et découvert que l’adresse correspondait à l’Ehpad”, a consigné sur procès-verbal l’assesseur présent pour le Printemps marseillais lors du premier tour.
Toutes les révélations sont ainsi listées. Il en va ainsi de la double casquette d’une colistière de Julien Ravier qui était aussi habilitée par le commissariat à recueillir des procurations, comme l’avaient révélé Marsactu et Mediapart. C’est encore le cas de la vidéo révélée par Marsactu dans laquelle Julien Ravier lui-même mettait la pression sur l’équipe d’un bureau de vote pour faire accepter des procurations photocopiées. Par cette accumulation, les protestataires pensent pouvoir “démontrer la mise en place d’un système frauduleux [qui] contrevient en tout point aux dispositions du code électoral”.
Si la morale publique est entachée, la partie du tribunal ne sera pourtant pas facile. L’immense majorité de ces éléments tirés de la presse locale ont été corroborés par une enquête pénale menée par le parquet de Marseille mais le juge administratif n’y a pas accès. “Nous n’échangeons pas”, rappelait en décembre la procureure de la République Dominique Laurens dans un entretien à Marsactu. Qui plus est, les incidents relevés concernent le premier tour alors que c’est bien le deuxième qui a déterminé le résultat. Pour annuler l’élection, il faudra donc bien pour le juge considérer que les troubles du scrutin constatés discréditent l’ensemble du scrutin.
Les travaux calligraphiques de Stéphane Ravier
Stéphane Ravier, quant à lui, entend s’appuyer sur l’usage de locaux municipaux par ses concurrents pour justifier de l’emploi de moyens déloyaux. La commission des comptes de campagne, qui a validé sans difficulté les comptes de David Galtier, son adversaire, a déjà relevé ces utilisations sans en tirer d’importantes conséquences financières. Mais la stratégie de l’élu RN repose sur un deuxième pilier. Il s’agit de dénombrer un par un les votes douteux et ainsi dépasser les 387 voix qui le séparait au soir du second tour du vainqueur David Galtier. Dans un exercice assez classique dans le cadre des recours électoraux, il commence par faire appel aux qualités d’expertise calligraphique du tribunal. Il s’agit de démontrer que des signatures du premier tour ne correspondent pas à celles du deuxième sur les cahiers d’émargement. Pour le camp d’en face, l’objectif est au contraire de démontrer qu’elle ne révèle aucune triche, en faisant par exemple attester les électeurs concernés. C’est ainsi que les avocats débattront de l’étroitesse du cadre dans lequel les électeurs paraphent et des effets que peut avoir cet espace contraint sur la signature finale.
Il sera enfin question d’un autre classique, avec des points sur la propagande électorale. C’est par exemple le cas d’affiches “Front national, dehors” non comptabilisées au compte de campagne de David Galtier mais que Stéphane Ravier lui attribue. Ou encore de collages le jour même du vote alors que c’est interdit. Ces arguments suffiront-ils à convaincre le tribunal ? Les deux camps s’affichent confiants. Si la justice administrative devait casser le premier scrutin, une nouvelle élection serait ordonnée dans les secteurs concernés. Fort de sa réussite à l’échelle de la ville, le Printemps marseillais observe forcément ces recours comme le lait sur le feu. Une victoire dans l’un ou l’autre de ces secteurs pourrait lui assurer une plus ample majorité dans l’hémicycle.
Ajout le 19 janvier à 11 h : mention de l’argument de Stéphane Ravier sur l’usage de bâtiments publics.
Commentaires
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Et les éventuelles répercussions au niveau du conseil de territoire voire un changement de majorité qui impacterait aussi, de facto, la métropole non ?
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Je vois que vous suivez ! En effet, c’est bien l’objectif de la majorité municipale.
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Malgré tout, j’imagine que les décisions rendues pourront faire l’objet d’un appel, ce qui retardera d’autant un éventuel retour aux urnes… 🙁
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