[Camargue en péril] L’étang du Vaccarès fait de l’excès de sel

Reportage
le 13 Août 2022
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Le delta de Camargue est en première ligne face au changement climatique. Durant l'été, Marsactu part à la découverte des manadiers, pêcheurs, élus, scientifiques... et des solutions qu'ils tentent de mettre en œuvre. Quatrième et dernier épisode de notre série autour de l'étang du Vaccarès, au bord de l’asphyxie.

Rivage de l
Rivage de l'étang du Vaccarès atteint par un phénomène d'algues vertes, le 22 juillet 2022. Photo : PID

Rivage de l'étang du Vaccarès atteint par un phénomène d'algues vertes, le 22 juillet 2022. Photo : PID

Des algues vertes, comme celles que l’on trouve en Bretagne ou sur l’étang de Berre, se déploient en larges bandes sur le rivage de l’étang du Vaccarès. Ces algues toxiques prolifèrent à cause d’un trop plein d’azote, probablement dû à l’agriculture et par manque d’oxygénation de l’eau. La faiblesse des apports d’eau douce durant l’actuelle sécheresse est en bonne partie responsable. Le Vaccarès est atteint par la malaïgue, cet épisode dit de “mauvaise eau”, qui lie manque d’oxygène et acidification.

Le Vaccarès est une baignoire sans bonde. Sachant que l’on ne pourra pas le vider, on fait gaffe à ce que l’on y apporte.

Gaël Hemery, directeur de la réserve nationale de Camargue

Sur le fond, les herbiers de zostères ont quasiment disparu depuis quelques années. Nécessaire à la reproduction des poissons, cette végétation aquatique permettait aussi de réduire la puissance des vagues qui agitent l’eau de ces 6 500 hectares de faible profondeur (maximum 2 mètres). En conséquence, “l’érosion du rivage de l’étang est colossale avec une perte d’hectares de pâturages”, déplore Laure Vadon, la présidente de l’association des riverains du Vaccarès rencontrée chez elle au mas Saint-Germain, où l’on pratique l’élevage de taureaux et la riziculture en bio.

Avec ses étangs inférieurs, par lesquels il communique avec la mer, le Vaccarès concentre toutes les difficultés environnementales de la Camargue. À commencer par l’excès de sel. En ce moment, “50 grammes par litre d’eau, c’est nettement plus que la mer qui est à 35 grammes par litre”, expose Gaël Hemery, directeur de la réserve naturelle nationale de Camargue dont le périmètre englobe le Vaccarès.

Carte de la réserve nationale de Camargue qui s’étend sur une partie du Vaccarès et de ses étangs inférieurs. A l’ouest, l’étang des Impériaux puis le pertuis de la Fourcade constitue la principale connexion avec la mer (hors périmètre de la réserve). Source : SNPN

L’endiguement du delta responsable

Le grand étang est victime de l’endiguement des deux bras du Rhône et du littoral par la digue à la mer, terminé en 1869. Fréquentes du temps d’avant les digues, les crues du cours d’eau permettaient d’évacuer le sel. Depuis un siècle et demi, l’eau douce ne vient à l’étang que sous l’effet de l’action humaine, principalement par de l’eau pompée par dessus les digues du fleuve pour l’usage agricole.

Entre la Méditerranée et les étangs, le sel rentre plus facilement qu’il ne sort. Côté étangs, le niveau baisse sous l’effet de l’évaporation et de la faiblesse d’apports en eau douce dû également à des précipitations de moins en moins importantes. Et côté Méditerranée, le niveau monte sous l’effet du changement climatique. Résultat le niveau du Vaccarès et de ses étangs inférieurs est plus bas que celui de la mer. Lors de notre passage aux Saintes le 18 juillet 2022, nous avons constaté que le niveau de la mer était 26 centimètres plus haut que celui de l’étang des Impériaux.

A l’est du village des Saintes-Maries, le pertuis de la Fourcade vu côté mer le 18 juillet 2022. Photo : PID

Dans ce contexte, si les portes aménagées dans la digue à la mer (appelées pertuis) sont ouvertes, l’eau de mer se déverse dans les étangs. Résultat, depuis 2017, où la mer a pu rentrer en quantité, poussée par un coup de vent de sud-est, le stock de sel présent au fond du Vaccarès est important. “4 millions de tonnes, alors que le seuil limite est à 3 millions de tonnes”, poursuit Gaël Hemery, dans son bureau de La Capelière, sur le rivage nord-est de l’étang majeur de Camargue.

Difficile de sortir le sel

Schéma des échanges entre les étangs, leur bassin versant et la mer. Source : VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement.

Sortir le sel devient une gageure. Cela n’est possible que les jours de fort mistral. Par la force du vent, les masses d’eau sont alors poussées vers le sud, gonflant les étangs et abaissant le niveau marin à l’endroit du littoral. “Il y a encore quelques années c’était possible 60 à 80 jours par an. Aujourd’hui on ne peut sortir de l’eau salée qu’une dizaine de jours par an”, détaille encore le directeur de la réserve.

Bien des habitants du delta pointent la Société nationale de protection de la nature (SNPN) qui gère la réserve nationale de Camargue comme responsable du mauvais état du Vaccarès. Ils lui reprochent sa volonté de limiter l’apport d’eau d’origine agricole, potentiellement chargée de pesticides. “Le changement climatique a bon dos. Ils sont en train de faire mourir l’étang. Il n’y a plus de canards, de limicoles [petits échassiers], d’anguilles. L’eau sale que l’on ne peut pas mettre au Vaccarès, nous aux Saintes on la boit, c’est celle du Rhône. On ne peut pas abandonner la Camargue au sel”, s’alarme Isabelle Hénault qui a été pêcheuse professionnelle sur le Vaccarès pendant plus de 20 ans et qui est désormais personne qualifiée auprès de la mairie des Saintes-Maries concernant les questions de l’eau.

Isabelle Hénault, personne qualifiée sur l’eau auprès de la mairie des Saintes-Maries. Photo : PID

“Dans le bois des Rièges [sur les petites îles du sud de l’étang], ils sont en train de tuer les genévriers de Phénicie vieux de 700 ans”, dénonce Christelle Aillet la maire LR des Saintes-Maries-de-la-Mer. Insulaire entre le Vaccarès et les étangs inférieurs en direction de la mer, le bois des Rièges est un lieu qui alimente le mythe de la résistance de la Camargue sauvage. Celle qui se prémunit de la modernité industrielle matérialisée par les usines de Fos et les immeubles balnéaires de la Grande-Motte. Le bois est le théâtre de légendes locales comme la forêt de Brocéliande en terre celte. Le poète félibre et manadier Joseph d’Arbaud l’a sanctifié par son roman La bête du Vaccarès paru en 1926, l’année précédant la création de la réserve nationale.

Les acteurs ont tous l’objectif de sauver la Camargue. Mais je suis inquiète du temps que ça prend.

Laure Vadon, présidente de l’association des riverains du Vaccarès

Pour Gaël Hemery, l’étang et le bois en ont vu d’autres, autrement plus “cataclysmiques”. “L’étang s’est parfois traversé en calèche”, raconte-t-il. Ou plus récemment en 2CV par Hubert Yonnet, un célèbre éleveur de taureaux de combat décédé en 2014 qui a témoigné de l’anecdote à beaucoup de Camarguais. “Les genévriers sont contemporains de Philippe le Bel [roi de France couronné à la fin du XIIIe siècle]. Il s’est passé beaucoup de choses depuis ! Ces genévriers sont extrêmement résistants, ils peuvent résister à des sécheresses de plusieurs mois”, assure Gaël Hemery. “Il n’y a pas de mortalité massive des arbres. Même s’il y a une mortalité en périphérie du bois qui s’alimente sur une nappe captive dans la dune, cela est dû au manque de précipitations et non au sel”, poursuit-il.

Eau douce et passe à poissons

Il convient néanmoins qu’il faut remettre plus d’eau douce dans le Vaccarès. Mais pas n’importe comment. “L’étang est une baignoire sans bonde. Donc sachant que l’on ne pourra pas le vider, on fait gaffe à ce que l’on y apporte”, explique-t-il. Actuellement certaines eaux qui ont été drainées des rizières sont acceptées en hiver, après analyse des polluants. Des projets sont en cours pour remettre en service des roubines (petits canaux) dans lesquels l’eau coulera à nouveau par la force de la gravité, sans pompage, du Grand Rhône vers l’étang.

Flamants roses sur l’étang du Vaccarès le 22 juillet 2022. Photo : PID

Pour Isabelle Hénault, biologiste végétale de formation, il est aussi vital de réhabiliter le réseau de canaux ramenant l’eau douce du Petit Rhône. Côté Méditerranée, elle souhaite la réalisation d’une passe à poissons pour la continuité écologique. “Les anguilles quand elles arrivent des Sargasses pour se reproduire, elles se retrouvent devant une porte close. Et si on a du poisson qui tamponne de l’autre côté pour rejoindre la mer, comment on fait ?, s’agace-t-elle.

L’aménagement est prévu dans le cadre des travaux de modification du pertuis de la Fourcade, la principale porte entre la digue à la mer et les étangs. “Ça fait 10 ans que l’on est dessus, pour une simple passe à poissons !”, soupire-t-elle. Laure Vadon de l’association des riverains du Vaccarès craint également l’inertie administrative : “Les acteurs ont tous l’objectif de sauver la Camargue. Mais je suis inquiète du temps que ça prend”. Pendant que les humains tergiversent, les éléments naturels eux, ne prennent pas de pause.

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Commentaires

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  1. LN LN

    Série passionnante, j’ai appris bcp de choses. Vivement cet hiver pour y retourner par Mistral froid et violent !

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  2. MarsKaa MarsKaa

    En effet, des articles instructifs, sur ce lieu unique et fragile. Beaucoup d’acteurs, aux intérêts et aux méthodes parfois divergents.

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