[Camargue en péril] Les oiseaux prennent le vent du changement
Le delta de Camargue est en première ligne face au changement climatique. Durant l'été, Marsactu part à la découverte des manadiers, pêcheurs, élus, scientifiques... et des solutions qu'ils tentent de mettre en œuvre. Troisième épisode de notre série en balade pour observer les oiseaux.
Flamant rose au parc ornithologique du Pont-de-Gau en Camargue. (Photo : PID)
De part et d’autres de la piste qui mène au phare de la Gacholle, au milieu du delta du Rhône, les étangs sont vides : complétement secs ou très peu remplis. Ce 1er août 2022, les oiseaux s’y comptent sur une seule main. De quoi faire monter en pression Stéphane Maïllis, le référent Camargue de l’association de défense du gibier d’eau des Bouches-du-Rhône (ADCGE 13). “Il manque 200 000 oiseaux en Camargue”, affirme l’ex-aiguadier, métier qui consiste à gérer la distribution des eaux d’irrigation. Pendant quatre décennies, Stéphane Maïllis était ainsi chargé de la circulation de l’eau sur ces 6500 hectares d’anciens marais salants. Pour lui, le constat est simple : les conditions dans le delta sont de moins en moins propices aux oiseaux.
Il y a tellement de choses qui changent : la Sibérie qui a cramé, la disparition des insectes…
Emmanuel Vialet, agent du Parc de Camargue
Comme bien d’autres Camarguais “du cru”, Stéphane Maïllis s’oppose aux nouveaux responsables du site, situé à l’ouest de Salin-de-Giraud. Vendu par la compagnie des salins du Midi en 2007, il est désormais la propriété du Conservatoire du littoral. Sa gestion a été confiée au parc naturel régional, à la société nationale de protection de la nature (SNPN) et à l’acteur privé de la Tour du Valat. Leur choix est celui de la “renaturation”. Il s’agit d’arrêter d’entretenir les digues qui font face à la mer et de rétablir une circulation naturelle de l’eau entre les étangs. Et donc d’accepter le manque d’eau en saison sèche.
“Ils vont nous néguer”
En cas de tempête, la Méditerranée peut s’engouffrer sur plusieurs kilomètres. “Ils vont nous néguer”, ne décolère pas Stéphane Maïlis, prophétisant que la mer atteindra un jour le village de Salin-de-Giraud. À contrario, les gestionnaires de l’environnement promeuvent des “solutions fondées sur la nature” qui favorisent la formation des dunes et l’enracinement des végétaux comme amortisseurs des coups de mer.
Sur une autre piste au milieu des étangs encore dédiés à l’exploitation du sel, les sauniers continuent de pomper et d’endiguer pour les besoins de l’activité économique. Et la faune semble en profiter : Stéphane Maïllis nous montre plein de bêtes à plumes comme preuve vivante de ce qu’il convient de faire selon lui. Les flamants roses côtoient des mouettes, toutes sortes de petits limicoles, des tadornes (grands canards) et même des hirondelles qui volent en stationnaire face au vent.
Méfi les changements globaux
Face aux critiques, un agent du parc de Camargue rencontré au domaine de la Palissade, qui borde le grand Rhône sur 700 hectares jusqu’à l’embouchure, accepte de nous répondre sous couvert d’anonymat. Il défend une complémentarité des différentes gestions : “les assecs [périodes où une étendue d’eau est à sec, ndlr] permettent aux sansouïres [prés salés camarguais] de se développer.” Dans cet autre type de milieu se nichent d’autres oiseaux que le gibier d’eau. Quant aux étangs proches de la mer, ils se transforment peu à peu en lagunes où la vie aquatique est florissante. Dans les herbiers de zostères, ces herbes marines, qui s’étendent depuis une décennie, les agents du parc dénombrent des dorades et des loups mais aussi “des grandes nacres qui sont menacées en Méditerranée”, expose le fonctionnaire.
Pour les oiseaux, la Camargue c’est comme une maison avec différentes pièces pour pouvoir bien vivre.
Marine Vannier du parc ornithologique du Pont de Gau
Emmanuel Vialet est l’un de ses collègues, technicien polyvalent au domaine de la Palissade, depuis 1989. Ce 2 août à l’aurore, il s’est mis à couvert dans un affut de chasse converti en poste d’observation pour scruter un étang à la longue vue. “Là, il y a énormément de canards”, chuchote-t-il satisfait. Deux touristes venus du Cotentin se sont joints à sa tournée, comme le propose le parc tout l’été. Ils découvrent les canards donc mais aussi d’innombrables cormorans, flamants, gabians… “Un tableau africain”, décrit Emmanuel Vialet.
Pour l’agent du parc, que les oiseaux viennent ou pas en Camargue dépend d’une multiplicité de facteurs globaux, parfois très éloignés d’ici. Il cite “la Sibérie qui a cramé”, où résident les petits passereaux à la belle saison ou encore “la disparition de la chaine alimentaire liée aux insectes, qui meurent à cause des produits utilisés dans l’agriculture comme les néonicotinoïdes”.
“Station service sur la route des migrateurs”
Au parc ornithologique du Pont de Gau, situé à 5 kilomètres avant le village des Saintes-Maries, on est aussi bien conscient du rôle des activités humaines. Le parc s’étend sur une soixantaine d’hectares où sont présents et gérés tous les milieux propices à l’accueil des différentes espèces à plume. Ouvert au public, il participe aussi à la recherche scientifique, notamment avec la Tour du Valat.
Riziculture, élevage, exploitation du sel… “Toutes ces activités ont façonné une mosaïque de paysages. Or, les oiseaux ont besoin de milieux différents pour se nourrir, nicher, etc. Pour eux, la Camargue c’est comme une maison avec différentes pièces pour pouvoir bien vivre”, expose Marine Vannier à une trentaine de touristes venus pour une visite guidée au crépuscule le 26 juillet. Une belle maison donc, mais aussi “une super station service sur l’autoroute des migrateurs, avec une grosse réserve de nourriture”, finit d’imager l’animatrice du parc ornithologique.
Adaptations aux activités humaines
“On parle toujours de réchauffement climatique mais les premières raisons qui changent les habitats des oiseaux, ce sont les activités humaines locales“, ajoute Frédéric Lamouroux, le responsable communication et animation du parc. “Le mec qui plante du maïs ne sait pas qu’il va favoriser l’arrivée des grues cendrées. Elles viennent parce qu’on leur a créé un habitat favorable. De 0 en 1990 on est passé à 27 000 grues en 2022“, expose-t-il.
De temps en temps l’esprit de notre interlocuteur divague, émerveillé par les oiseaux qui s’agitent à côté. “Il y a un ibis qui vient de se poser dans l’arbre là-bas. Magnifique !”, dit-il comme s’il voyait ce spectacle pour la première fois. L’oiseau au plumage sombre présente un long bec courbé vers le bas. “L’ibis falcinelle est arrivé il y a une dizaine d’années d’Europe de l’Est. Il a trouvé de quoi s’alimenter alors il est resté”, explique Marine Vannier à ses visiteurs. Il se repait des écrevisses de Louisiane, un crustacé invasif qui a été introduit en Europe dans les années 1970 et qui contribue à la disparition des autres espèces d’écrevisses. “C’est vraiment un fléau, mais elle est aussi hyper attractive pour les spatules, les cigognes et les 9 espèces de hérons présentes en Camargue”, précise Frédéric Lamouroux.
Des cigognes toute l’année
Les cigognes ont aussi tendance à se sédentariser en Camargue depuis au moins une bonne décennie, comme un peu partout autour de la Méditerranée. “Les cigognes, au nord de Lyon jusqu’au Danemark, elles sont quasiment migratrices à 100 %. Elles font face à une raréfaction de la nourriture en hiver. Si les oiseaux migrent, c’est toujours une histoire de ressources”, observe encore le responsable communication. Les flamants roses, naviguent quant à eux constamment entre plusieurs zones humides tout autour de la Méditerranée. “On a vu un flamant bagué qui s’est envolé du parc un soir à 17 heures et qui a été observé le lendemain matin à 10 heures en Sardaigne”, raconte l’animatrice Cécilia Nunes au public ébahi lors de la visite crépusculaire.
Pour Frédéric Lamouroux, les espèces vont et viennent, de nouvelles s’installent, d’autres vont trouver leur bonheur ailleurs comme il en a toujours été dans l’espace mouvant de la Camargue. Il ne s’alarme pas concernant l’avenir des oiseaux. “La nature se rééquilibre, elle a horreur du vide, exprime-t-il. Les oiseaux vont moins souffrir des changements de par leur capacité de déplacement et d’adaptation.”
Parfois, d’ailleurs, des espèces semblent ne plus fréquenter la région mais à force d’observation les humains se rendent compte qu’elles ont plutôt modifié leur comportement. C’est le cas de la rémiz penduline, un passereau, sorte de mésange : “c’est un petit oiseau de 10 grammes avec un masque de Zorro, décrit Frédéric Lamouroux. D’une centaine de couples dans les années 1980-1990, on a fini par n’en compter plus aucun. Mais elle n’a pas disparu. On s’est rendu compte qu’elle a complétement changé de statut, d’oiseau nicheur à hivernant”.
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