Avec Pone de la Fonky Family, être au bout des yeux

Interview
le 20 Mai 2023
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Membre fondateur de la Fonky Family, Pone alias Guilhem Gallart en était l'architecte musical. Depuis 2015, il est atteint de la maladie de Charcot qui l'a peu à peu paralysé. Il vient de faire paraître Un peu plus loin aux éditions Jean-Claude Lattès, où il raconte son épopée dans le rap marseillais.

Le rappeur Pone.
Le rappeur Pone.

Le rappeur Pone.

Il est immobile. Comme rarement on peut l’être, relié à des machines qui le maintiennent en vie. Depuis 2015, Guilhem Gallart, l’un des musiciens de la Fonky family connu sous le nom de Pone, est atteint de la maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique (SLA). Peu à peu, elle paralyse son corps, le condamnant à vivre alité, avec le seul mouvement possible de sa pupille. Et pourtant Pone n’arrête pas. Il a déjà produit un disque et plusieurs livres, notamment sur la maladie qui l’afflige. Le dernier, Un peu plus loin, raconte en 35 chapitres et 261 sections sa trajectoire de vie, de Toulouse où il a grandi, jusqu’à Gaillac où il est installé aujourd’hui, entouré de sa femme Wahiba et de ses deux filles.

Entre-temps, il a enflammé la France entière en créant à Marseille, avec Sat, Menzo, Le Rat Luciano, Don Choa et Dj Djel la Fonky family, l’un des groupes parmi les plus inventifs du rap français, né au mitan des années 90. Ce pan d’histoire d’un “art de rue” forme le fil rouge du livre. On y redécouvre avec plaisir le Marseille de ces années-là, souvent légendées d’une movida culturelle, inventée par des journalistes d’ailleurs. La ville des 111 villages étaient tout de même traversée de possibles. De Toulouse à Marseille, des minots sortis de nulle part pouvaient s’inventer des destins hors du commun. En racontant le sel de leur existence, l’amitié, le oàï des gremlins, capables de bordéliser des concerts dans la France entière ou de bouter les hooligans anglais hors du centre-ville lors de la coupe du monde de 1998.

Le rappeur Pone, période Fonky Family. (Photo DR)

Avec humour et tact, Pone raconte sa traversée de la décennie dorée du rap français. Il dit aussi comment il s’est construit une vie pleine et entière, là où l’immobilité s’apparente pour la plupart d’entre nous à l’antichambre de la mort. Pone vit. Il vit du bout des yeux, grâce à un logiciel qui obéit à leur mouvement. Avec un bonheur immense. Il concocte des recettes de cuisine alors que le goût n’est aujourd’hui plus qu’un souvenir. Il dessine, écrit, compose.

Nous avons contacté son éditeur, un peu comme on balance une 8.6 aux pierres plates. Mais Pone répond aux interviews. Les réponses tiennent parfois en peu de mots. Face à nos questions trop précises, il est resté le taiseux qu’on a croisé dans un lointain passé. “Si tu veux rebondir sur mes réponses, hésite pas”, écrit-il en début de mail. Puis, plus loin, “mince, je t’ai appelé Gilles, alors que c’est Benoît, désolé. Et je me suis permis de te tutoyer. Hésite pas si tu veux re-rebondir 🙂“. Voilà donc le fruit de ces allers et retours…

Avec Don Choa, vous êtes les deux Toulousains de la Fonky Family. Or, votre arrivée à Marseille doit beaucoup au duo des Fabulous trobadors, avec qui vous avez fait le trajet. Au Panier, les premiers à vous accueillir sont des membres du Massilia sound system, qui ont joué le même rôle pour IAM à leur début. Comment expliquez-vous ce lien, alors que vous n’appartenez pas forcément à la même génération de musiciens ?

Je pense qu’à cette époque, on était si peu nombreux qu’on se retrouvait dans une espèce de philosophie commune. En premier lieu, je pense, l’appartenance à un mouvement marginal. Un truc de rue assez nouveau. Peut-être que c’étaient les prémices de ce qu’on appelle aujourd’hui les cultures urbaines. Ragga, reggae, rap, tout était mélangé, particulièrement dans les soirées.

De la même façon, dans votre récit, apparaissent très vite des références à des associations et des lieux dont le rôle a été décisif dans l’émergence du rap à Marseille. Je pense notamment au centre culturel Mirabeau, au centre social du Panier, au Café Julien… Là encore, est-ce que cela a contribué à l’émergence de la Fonky ?

Je dirais que ça faisait partie du terreau marseillais de la période, mais il y avait aussi d’autres lieux, moins institutionnels, où il y avait des scènes ouvertes. Particulièrement les deux établissements qu’a eu le regretté Brahim, à la Plaine. Ça s’appelait le Dégust.

L’autre aspect singulier de votre récit est l’esprit de bande qui vous soude et vient croiser une relation très forte au quartier, le Panier pour une partie d’entre vous et Belsunce pour l’autre. Là encore, cet aspect territorial très marseillais, est-il un des composants de l’identité de la Fonky ?

Assurément.

Je pense notamment à la place du Refuge où se joue une partie de la culture de rue que célèbre la FF. Pouvez-vous m’en décrire l’ambiance ?

C’était une ambiance assez dure, très quartier, mais aussi très solidaire et avec beaucoup d’amour.

Votre récit illustre particulièrement bien la culture “d’en-ville” qui était très forte dans ces années-là à Marseille, par opposition avec les quartiers plus périphériques. Est-ce un des éléments qui expliquent votre coup de foudre pour la ville ?

Je me suis surtout installé en ville pour le côté pratique, n’ayant pas de permis de conduire. Après quelques mois, je me suis senti chez moi à Belsunce. Mais quand j’ai débarqué à Marseille, je n’avais pas forcément perçu cet aspect centre-ville.

Il y a dans le rap marseillais de cette époque, une forte émulation. Akhénaton vous produit à travers son label, le Côté obscur. Mais assez vite, les premières difficultés apparaissent avec les contrats signés avec les majors. C’est une limite forte à la formation “sur le tas”, l’émulation propre au hip-hop. .

Effectivement, et je pense que c’est dû à l’aspect expert de la chose. Devenir manager nécessite des compétences d’apprentissage rigoureuses, contrairement aux artistes, qui travaillent aussi beaucoup, mais plus dans le fun.

 

Guilhem Gallart est atteint de la maladie de Charcot depuis 2015. (Photo DR)

Il y a de nombreux passages savoureux dans votre livre, dont un où vos filles vous demandent quel est votre métier et quand vous l’expliquez, vous traitent d’escroc. Alors escroc, musicien non-instrumentiste ou beatmaker ?

Musicien non-instrumentiste, cela me va.

Concrètement comment les rôles se répartissaient avec Djel ?

Tout à fait simplement, lui était DJ, moi beatmaker. Mais on se retrouvait sur la réalisation artistique.

Le Rat Luciano occupe une place particulière dans votre récit, comme dans le rap français. Comment vous définiriez sa singularité, toujours reconnue par la nouvelle génération du rap ?

Je pense que c’est lié à son identité propre. Avant d’être un artiste, c’est un enfant du Panier, avec tout ce que ça implique. Le quartier du Panier est très singulier de par son histoire et sa population. Et puis c’est un village en plein centre-ville, quasiment inaccessible, à cette époque, aux non-résidents. Les enfants du Panier sont forcément à part, dans le bon sens du terme. Mais c’est aussi un passionné et un bourreau de travail. Je trouve ça top [qu’il ait produit un nouvel album, ndlr], c’est génial qu’il ait retrouvé cette envie.

Par ailleurs, j’ai le souvenir d’un concert mythique à la Friche, dans le cadre du festival Logik hip hop où il faisait face à un géant américain dans un free style anthologique. S’agit-il du Bruizza que vous aviez embarqué lors du tournage du clip des Bad boys de Marseille à New York ?

Oui c’était bien lui, au Logik hip-hop de 96. Il retrouvait à Marseille après avoir fui New York où il venait d’être condamné à quatre ans de prison pour port d’arme. Il est resté six mois chez nous, à Belsunce, avant de retourner purger sa peine. Tous les concerts qu’on a faits pendant cette période, il était sur scène avec nous.

Votre ouvrage aborde un aspect moins connu de votre carrière après la FF. Vous vous êtes réorienté vers la gestion de restaurant et de boîte de nuit et vous avez dû faire face à la mainmise du milieu sur la nuit marseillaise. Avez-vous eu peur d’un dérapage ?

Dans certains moments de tensions, que je décris dans le livre, forcément un peu.

Quel est votre regard sur la production actuelle alors que le rap est devenu la musique de tout le monde  ? Quels sont les artistes qui vous ont marqués ces dernières années ?

Je trouve qu’il y a des choses très qualitatives et qu’on a de grands artistes. Je pense qu’il y a deux artistes ou groupes majeurs ces dernières années, Jul et PNL. Qu’on aime ou pas, ils ont révolutionné notre musique, de façon quasi mondiale, puisque qu’on retrouve leurs influences dans de nombreux pays non francophones.

 Partagez-vous ces coups de cœur avec vos filles ?

Oui ma grande aime beaucoup PNL et Lomepal, moi aussi.

Vous finissez le livre en insistant sur la place prise par l’écriture ces derniers mois dans votre vie. Comment avez-vous travaillé votre récit ?

J’ai l’impression d’avoir déroulé une pelote, plus je tirais, plus ça venait.

Avez vous d’autres projets ?

J’ai quelques trucs sur le feu, dont un conte pour enfants illustré.

 

Un peu plus loin, Guilhem “Pone” Gallart, collection La Grenade, Jean-Claude Lattès éditions.

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