[Aux portes du Mucem] Sauts dans l’eau, joints et coups de soleil aux Pierres-plates

Série
le 21 Août 2023
10

D'une passerelle à l'autre, du fort Saint-Jean à l'esplanade du J4, les gens déambulent, profitent de la vue mais peu finissent par pousser les portes des expositions. Pour les 10 ans du Mucem, Marsactu explore ses multiples usages. Quatrième et dernier article de notre série : les abords du musée, spot de baignade interdit mais incontournable.

Les promenades autour du Mucem, le 17 août 2023. (Photo : C.By.)
Les promenades autour du Mucem, le 17 août 2023. (Photo : C.By.)

Les promenades autour du Mucem, le 17 août 2023. (Photo : C.By.)

Il est 14 h, le soleil cogne dru. Il faut être un peu fou pour attaquer l’esplanade du Mucem par la face Sud. Ils sont nombreux, pourtant, malgré la touffeur du cagnard de cet après-midi de la mi-août, à dépasser la petite entrée du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, nichée tout au bout du Vieux-Port, à l’aplomb de la Tour carrée du roi René, et à s’engager sur la promenade Louis-Brauquier. Au cœur de l’été, là où le port s’ouvre doucement vers la mer, les motivations de la balade sont diverses. Et la visite du musée national n’arrive pas forcément en tête de peloton.

L’Edmond-Dantès sort du port. Sa coque est bleue et ses fauteuils tous garnis de vacanciers qui partent vers le Frioul. Le passage du navire fait clapoter l’eau sur les rochers qui bordent la promenade. Une dame voilée et casquettée est entrée dans l’eau jusqu’à mi-cuisse. Autour d’elle, les pans de sa robe verte ondulent comme de longues algues. À quelques pas, Jessica et ses trois enfants viennent de se tremper, eux aussi. Pas un vrai plongeon toutefois. “Mais de quoi se rafraîchir”, glisse cette Nordiste de passage qui a vécu à Marseille.

Sur la promenade Louis-Brauquier, au pied de la Tour carrée du roi René, le 17 août 2023. (Photo : C.By.)

“Quand on revient l’été, j’aime bien faire la boucle”, résume Jessica. Soit une arrivée par la passerelle du parvis Saint-Jean, qui rallie le Mucem depuis l’esplanade de la Tourette, une descente le long de la coursive du musée jusqu’à l’esplanade du J4. Et, enfin, la petite marche le long des bassins pour rejoindre la passe du Vieux-Port et se caler sur les rochers. Jessica et ses enfants font partie de ceux que le Mucem comptabilise dans ses 1,2 million d’entrées annuelles (en 2022) mais qui, comme les deux-tiers des visiteurs, n’entrent pas dans le cœur du musée, ne contemplent pas ses expositions. Trop aimantés par le désir de mer et de fraîcheur. Bien sûr, la maman le sait, faire trempette ici est en théorie “interdit à cause des bateaux.”

Bains populaires

Mais les habitudes ont la vie dure. Et, au pied du fort Saint-Jean, comme plus loin, le long de l’esplanade poussiéreuse, le lieu a gardé ses usages ancestraux. Tout autour du beau cube de béton gris carbone, le site offre un des rares accès à la mer en centre-ville. Dès 1850, sur la rive Nord du Lacydon, le lieu-dit des Pierres-plates fait office de bains populaires au cœur de Marseille. Les enrochements légèrement inclinés ont disparu depuis lors : le môle J4, qui a conservé une activité portuaire jusqu’en 1997, a été profondément modifié, notamment par la construction du Mucem entre 2009 et 2012 et celle concomitante de la Villa Méditerranée.

Il n’empêche, l’appellation Pierres-plates a perduré et son usage balnéaire, aussi. Têtu, incongru, comme si le fleuron culturel inauguré en 2013 n’existait pas. Plusieurs mondes voisinent ici sans toujours se mêler. Et malgré ses abords attrayants, le musée n’a pas réussi à devenir ce pont entre eux qu’il espérait. Restent la balade au soleil et les plongeons populaires, raccords avec l’idée même de Rudy Ricciotti, l’architecte qui a imaginé le lieu. “Quand j’ai pensé ce musée, je voulais faire une promenade démuséifiante sous l’odeur de l’embrun et de la castagne solaire. (…) C’est réussi et c’est pour cela que les gens ne sont pas plus attirés que ça pour entrer à l’intérieur des expositions”, détaille-t-il dans un entretien accordé à La Marseillaise, en juin dernier.

Drague à l’ombre des créneaux

La promenade, donc. Dounia et Rahim la font à pas lents. Comme seuls marchent les amoureux qui se découvrent. Un cormoran plonge. Un homme, bob jaune et slip de bain noir, s’étire, debout face à la mer. Une barrière de chantier posée à la verticale sert d’échelle pour descendre sur les rochers. À l’ombre des créneaux qui percent l’épaisse muraille dorment souvent des hommes, adossés à un sac. De longue date, aussi, cette promenade – enclave si loin si proche de la ville – a servi d’accueil aux sans-abri.

Jamel et Aymen vivent à Noailles et viennent régulièrement balader là. (Photo : C.By.)

Une famille de touristes hollandaise passe. Les enfants ont les joues rougies par la chaleur dévorante. Aymen et Jamel, deux frères qui sont arrivés d’Algérie il y a quelques années et vivent à Noailles les regardent passer. Dos au Mucem, à l’aplomb de la passerelle qui court entre le Fort-Saint-Jean et le J4, ils prennent un frais tout relatif. “C’est trop beau ici. Il y a du monde, on entend toutes les langues. S’il y a une belle fille et qu’elle est d’accord, on la drague un peu”, dit le cadet. Plus loin, deux autres jeunes tirent sur un petit joint, en silence.

C’est marrant cette plage. C’est comme un port avec des gens qui se baignent dedans.

Marine, une touriste

Leur calme tranche avec l’agitation qui habite l’esplanade même, une fois contournée l’ancienne Villa Méditerranée et son ombrière blanche. Il y a foule devant l’entrée du lieu, qui abrite désormais la réplique de la grotte Cosquer. C’est ici que l’affluence se concentre. Pour preuve, c’est aussi là que se sont rangés, en file indienne, les vendeurs de glaces et de crêpes.

Trottinettes et Vigipirate

Jupette parme pour elle, bermuda beige pour lui, Marine et Lucas ont parqué leurs trottinettes électriques non loin des deux Kangoo Vigipirate, au motif camouflage, garés sous des petits pins rabougris. Les deux touristes arrivent de Nantes et ont des tickets pour visiter Cosquer. Ils poussent jusqu’aux Pierres-plates. L’étudiante en kiné qui affiche des “coups de soleil de Bretonne” – comme elle les définit elle-même – n’en revient pas de cet endroit : “C’est marrant cette plage. C’est comme un port avec des gens qui se baignent dedans.”

On voit des gens qui traînent, il y a des pick pockets. Et puis ce serait bien qu’il y ait de quoi manger, acheter à boire. Comme sur une vraie plage, quoi.

Redouane, un baigneur

Ça n’en est pas une. Pendentif kabyle au cou, Redouane est accompagné de deux amis. Ils finissent leur séance bain-bronzette et se rincent avec des bouteilles d’eau plate qui ont, comme eux, pris les embruns et le soleil. Le trentenaire baraqué est originaire de la région parisienne et loge chez des amis qui vivent au Panier. Le plongeon, ici, c’est “le plus près de la maison”. Il convient que ce n’est pas son spot préféré de Marseille, il aime les Goudes et le Prado. “Ils pourraient mettre un peu plus de sécurité, ici. Il n’y a pas une super fréquentation. On voit des gens qui traînent, il y a des pickpockets. Et puis ce serait bien qu’il y ait de quoi manger, acheter à boire. Comme sur une vraie plage, quoi”, reprend-il. Le chariot de Papa Omri qui vend bouteilles d’eau, canettes et quelques confiseries n’est pas là aujourd’hui.

Les bassins autour du Mucem et de Cosquer pourraient devenir de véritables espaces de baignade en 2024. (Photo : C.By.)

Des cris et des rires, soudain, le long de la “piscine” qui borde le flanc sud du Mucem. Les Pierres-plates ne sont pas une plage et ce bassin-là n’est pas une piscine. Il est bordé par deux cabanes de chantiers moches qui abritent des loueurs de bateaux et gâchent la beauté du paysage. Pour l’heure, quelques semi-rigides sont amarrés là, qui attendent l’estivant.

Vol d’étourneaux

Pas de quoi retenir les élans de Samir. Short bleuté, claquettes en plastique sur chaussettes mouillées, il vient deux ou trois fois par semaine de la Castellane, à l’extrémité Nord de la ville, en bus. Et retrouve ici Yacine de la Maurelette ou Khalil des Flamants. Avec Kaïs, Djibril et les autres, ils passent l’essentiel de leur été à sauter à l’eau. Leur excitation enfantine voisine avec la concentration appliquée d’une famille qui vient d’embarquer sur un zodiac de location (comptez 500 euros la journée). Les gamins s’éparpillent d’un coup comme un vol d’étourneaux. Cinq médiateurs en polo bleu ciel sont apparus à l’angle de la “piscine”. “On n’a pas le droit de plonger là, alors ils nous pistent. Ils disent qu’ils vont prendre nos affaires. Mais bon, ils le font pas”, résume un minot.

Concours de sauts dans l’eau, au bout de la jetée de l’esplanade du J4. (Photo C.By.)

Nous, ce qu’on aime c’est sauter. Alors on voudrait un lieu exprès pour nous. Sans cailloux, sans bateau, sans danger. Ce serait bien que la mairie, elle pense à nous.

Ewan

La petite troupe d’ados court jusqu’au bout de la jetée et poursuit là son concours de sauts. Des carpés, des lunes. Ça fait des cœurs avec les doigts, ça envoie même des bisous. Le cache-cache avec ceux qu’ils appellent “la sécu”, fait un peu partie du plaisir, convient Samir, entre deux bombes. Dans son maillot orange fluo, Ewan s’approche, très poli : “Dites-le madame qu’on ne fait rien de mal. Nous, ce qu’on aime c’est sauter. Alors on voudrait un lieu exprès pour nous. Sans cailloux, sans bateau, sans danger. Ce serait bien que la mairie, elle pense à nous.”

Les méduses dont on perçoit les reflets rosés dans l’onde ne les arrêtent pas. Et la puissance du geste architectural de Ricciotti les laisse de marbre. Entrer au Mucem ? La suggestion sonne presque comme un affront. L’un y est allé une fois, avec l’école. Subitement, l’attention se tourne vers un plongeur plus âgé. “On va à la grotte”, intime-t-il. Les plus grands partent, les petits restent.

La grotte

La grotte ? Rien à voir avec Cosquer. Il s’agit de plonger sous la dalle des quais qui bordent le Mucem et Cosquer. “Et tu respires grâce à ça”, explique Samir, en montrant des regards en métal rouillés qui de loin en loin ponctuent le sol de la jetée. Un des jeunes souffle que c’est trop dangereux. Il n’est pas le seul à le penser. La transformation en véritable spot de baignade de la piscine qui borde le Mucem est réclamée depuis plusieurs années par l’association les Libres nageurs. Un temps annoncée pour l’été 2023, elle a été repoussée d’un an par la Ville de Marseille. En cause, justement, le dispositif anti-houle de la partie Est des bassins : “Les espaces vides sous les quais de ce dispositif peuvent provoquer la noyade des baigneurs s’ils se retrouvent piégés”, détaille la ville dans un communiqué.

L’après-midi avance et étire les ombres. À côté du Mucem en majesté, au bout de la jetée, les minots sautent à qui mieux mieux. Comme le faisaient les gamins bien avant la construction du musée et comme ils continueront bien après.

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Les coulisses de Marsactu
Cette série aurait pu s'appeler "à la porte du Mucem". Pour marquer les 10 ans du lieu, Marsactu avait imaginé une série d’articles. Hélas, la direction du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée n’a pas souhaité communiquer pour l’instant. Pas grave, on a l'habitude. En guise de plan B, la rédaction a décidé de tourner autour du cube pour explorer les à-côtés d’un des fleurons de la culture à Marseille. Mais la demande d'interview du président tient toujours...
Coralie Bonnefoy

Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    C’est mieux que la plage. Pas de sable qui rentre partout. Des médiateurs sympathiques et arrangeants. Il suffirait d’installer des vestiaires au MUCEM pour y déposer ses affaires en toute sécurité pour rendre l’endroit vraiment plaisant.Et aussi faire comme sur terre avec les vélos, interdire l’accès aux bateaux à moteur bruyants, polluants et dangereux et les remplacer par des pédalos.

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  2. Benjamin CLASEN Benjamin CLASEN

    Si les collectivités locales se mettaient à travailler main dans la main pour leur ville comme il le font pour le chantier de la marina olympique, la pose de qq grillages de protection ne devrait pas représenter un obstacle infranchissable.
    Le bassin du MUCEM n’est pas un port avec qq nageurs illicites. C’est un lieu de baignade ancestral obstrué par des bateaux à moteur depuis quelques années.

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    • MarsKaa MarsKaa

      Tout à fait. Qui a autorisé l’installation des bateaux ? Dans quel but ? Y a t-il eu appel à projet ?

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    • pas glop pas glop

      C’est l’ancienne mairie qui avait trouvé ça pour freiner ou empêcher les jeunes de venir se baigner. La nouvelle mairie a suivi.

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  3. MarsKaa MarsKaa

    J’aime bien cet article. Il raconte Marseille, le rapport à la mer des classes populaires. En lisant l’article, on y est, sous le cagnard, on sent les embruns, on entend le glouglou de l’eau dans les rochers, et ces jeunes d’aujourd’hui me font penser à mon père et à un de mes grand-pères, dans leur jeunesse à Marseille.

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    • julijo julijo

      oui, c’est tout à fait ça.
      je pense aussi à la digue du large, fermée depuis…20 ans. promenade historique des marseillais, réouverte contre paiement…
      la nostalgie n’est plus …

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Ce bel article plein de vie résume tout le paradoxe de Marseille: un littoral immense, la mer partout mais partout inaccessible…….

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  4. Dark Vador Dark Vador

    Richard Mouren, en une phrase, a résumé la problématique de cette affaire…

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    • Alceste. Alceste.

      Il conduit les humbles dans la justice, Il enseigne aux humbles sa voie
      David .Psaume 25.

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  5. Marc13016 Marc13016

    Dire qu’en ce moment des parisiens se baignent dans la Seine, peut-être même au pied de la tour Eiffel …
    Paris 1, Marseille 0 !

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