Au nouveau parc Bougainville, “ça fait des années qu’on réclame un endroit comme ça”

Des enfants jouent au football au parc Bougainville, une dizaine de jours après son inauguration en février 2024. Photo : Emilio Guzman

“Le matin, il n’y a que nous et les mouettes”, ironisent des agents de sécurité. Il est 9 h 30, et autour d’eux, peu de personnes défilent. Au loin, assis seul à l’extrémité d’un banc, Mohamed, la trentaine, tire sur sa cigarette. Comme plusieurs riverains qui en cette matinée ensoleillée de mars traversent le parc Bougainville (3e), le jeune homme n’est pas là pour profiter du beau temps. “Je m’en fous du parc moi, je ne fais que passer. C’est sur mon chemin”, lâche-t-il dans un nuage de fumée qui camoufle son visage déjà peu visible derrière la casquette et les lunettes de soleil. Il reste quelques minutes, le temps d’une “pause clope”, puis reprend la route, direction la station de métro, à 300 mètres.

Situé à l’intersection des 14e, 15e et 3e arrondissements, le parc relie le parc Bellevue au métro Bougainville. Il jouxte le quartier éponyme, mais aussi Saint-Mauront, Arenc et les Crottes et s’étend sur deux hectares. Une superficie qui ne représente qu’une moitié du projet. La seconde partie, de la même taille, devrait être livrée par l’aménageur public de la zone, Euroméditerranée, à la Ville de Marseille en 2026. “Ça aurait été un non-sens de laisser le parc fermé car inachevé. Ce qui nous intéresse, c’est le bien-être des habitants. Ça aurait été injuste de les priver de ce lieu”, estime Nassera Benmarnia, adjointe en charge des espaces verts, des parcs et jardins à la mairie de Marseille. “On s’est assuré que les normes soient respectées, qu’il y ait un accès pour personnes à mobilité réduite, qu’il y ait suffisamment de surveillance… et on a ouvert”, détaille-t-elle. Les douze agents municipaux, chargés de la surveillance, sont accompagnés de deux employés de l’entreprise de sécurité Onet. “Ce sera comme ça le temps qu’ils s’adaptent. Les agents de la Ville ne sont pas formés au gardiennage sur un chantier, comme c’est le cas ici”, développe l’élue. La problématique s’était déjà posée dans un autre parc, celui de la porte d’Aix.

La tour B de Félix-Pyat surplombe le parc Bougainville. (Photo : Emilio Guzman)

Les heures défilent, les visages aussi. Peu après onze heures, le parc commence à se réveiller et vit au rythme des vacances scolaires. Au fur et à mesure de la journée, des familles, des adultes seuls et des enfants, commencent à l’habiter. Malika, 63 ans, revient de son trajet en pharmacie et se repose dans un coin. Celle qui raconte avec fierté qu’elle “habite Félix-Pyat depuis quarante ans, et y travaille comme femme de ménage depuis 28 ans”, dit se sentir très rassurée. “Moi j’aime Félix-Pyat, je ne me vois pas ailleurs qu’ici. Je suis comme un poisson : si on le sort de l’eau, il meurt. Alors en plus avec ce parc, c’est encore mieux. Je peux amener mes petits enfants en étant tranquille.”

“On a grandi avec trois balançoires à proximité. On n’avait pas un espace comme ça.”

Kerem, un papa

Les élus, mais aussi les habitants, surnomment le parc “le poumon vert”. Pourtant, le gris du béton reste l’une des couleurs dominantes, agrémenté du bruit incessant des voitures et du métro en surplomb. Des îlots de verdure ont tout de même été aménagés. Parmi eux, le “relais nature”, destiné à sensibiliser aux enjeux environnementaux, reçoit aujourd’hui un groupe d’enfants du centre aéré de la Maison pour tous de Saint-Mauront. Âgés de six ans et sept ans, dossards orange sur le dos, ils sont réunis autour du potager. “On leur fait faire un tour ici, après, on les laisse aller jouer”, projette Noam, 19 ans, l’un des trois animateurs qui les accompagnent. “Il n’y a pas grand-chose dans le coin où ils peuvent avoir autant de place. Dès qu’on a un trou sur le planning, on les amène ici !”, ajoute-t-il. Le relais nature accueille principalement des jeunes. “Et une fois par semaine, c’est ouvert à tout public“, précise Nassera Benmarnia.

Des enfants jouent au baby-foot au parc Bougainville. (Photo : Emilio Guzman)

Baby-foot, tables de ping-pong, terrain de basketball, de fitness ou encore zone de glisse pour les passionnés de roller et de skate… Le parc se divise en plusieurs espaces et offre diverses activités. “C’est top ! Je suis déjà venu une dizaine de fois. Même avant l’ouverture, on rentrait”, confie un quadragénaire qui ne souhaite pas donner son prénom. Tenue sportive enfilée, bandeau autour de la tête et bouteille d’eau posée sur le sol, il s’échauffe avant de s’attaquer aux barres de traction qu’offre l’espace dédié au sport.

Une dizaine de mètres plus loin, quelqu’un d’autre s’agite dans tous les sens. Il a deux ans et présente sa meilleure performance sportive à son papa qui, derrière son smartphone, immortalise ce moment : le petit saute, court, se laisse glisser, puis son visage se ferme et il crie “je vais te taper !”. “Son petit frère va bientôt naître, il est un peu perturbé”, explique Kerem, le père, sourire aux lèvres et barbe grise bien taillée. Toujours en gardant un œil sur les va-et-vient de son fils, cet ancien habitant du quartier montre du doigt l’imposante tour B. Elle compte une vingtaine d’étages et surplombe le parc. “C’est ici que j’ai passé mon enfance. On a grandi avec trois balançoires à proximité. On n’avait pas un espace comme ça”, se souvient-il. Le père de famille se réjouit de ce nouvel aménagement : “Avant, j’étais obligé de prendre le tramway pour aller jusqu’à Longchamp ou à Borély. Maintenant, ça me prend un quart d’heure à pied. Les petits se régalent. Ça leur permet de s’évader, et les grands aussi !”

Des activités pendant les vacances scolaires

En cet après-midi plusieurs habitantes du quartier profitent du beau temps au parc Bougainville. (Photo : Emilio Guzman)

Retour sur place, le lendemain, dans l’après-midi. Il est 16 h, le parc fourmille de monde. Et ils sont nombreux, et nombreuses surtout, les adultes qui viennent “s’évader”. “Ça fait des années qu’on réclame un endroit comme ça quand ils viennent nous voir en période d’élections”, soupire Naouel. Installée sur un transat à l’abri du chahut, lunettes de soleil sur le nez, écharpe noire autour de la tête et écouteurs sur les oreilles, la quadragénaire s’est construit “une bulle de repos, avant de faire toutes les tâches qui attendent à la maison”.

Si, aujourd’hui, elle se réserve un moment de solitude, elle vient habituellement avec ses trois enfants âgés de 8 ans, 11 ans et 16 ans. “J’habite à côté de l’hôpital européen. Il y a un parc pour les tout petits près de chez moi, mais pour les ados, il n’y a rien. Au moins ici, ils peuvent jouer au vélo, au foot… il y a de l’espace”. Autour de Naouel, des cercles de parole informels se créent. Certaines mamans se laissent aller à des conversations intimes et dévoilent des bribes de leurs vies conjugales. D’autres s’échangent des conseils sur les habitudes des enfants. “Moi, ils ne quittent jamais les écrans. Ils sont toujours à la maison à regarder la télé ou les téléphones”, raconte Fatima qui accompagne ses deux petits-enfants. “La stratégie que j’ai trouvée, c’est de les faire passer par le parc avant de les emmener à l’école coranique. Sinon, ils ne sortent jamais.”

Comme tous les jours pendant les vacances scolaires, des associations, en lien avec la municipalité, organisent des activités. La “bibliothèque vagabonde” installée sur un tapis recouvert de livres attire quelques curieux. Et le mur d’escalade éphémère mis en place pour l’occasion connaît un franc succès.  “C’est la deuxième fois que je fais ça, c’est nickel”, se réjouit Chaïma, 10 ans, qui n’arrive pas à trancher entre la grimpe et la trottinette pour choisir son attraction préférée. Près d’elle, la vaste parcelle tapissée de gazon fait office de terrain de football pour les uns et de périmètre où jouer à chat pour les autres. “C’est vraiment bien, parce qu’ils peuvent juste courir, et ils peuvent aussi essayer de nouvelles choses”, se réjouit Célia, la maman de Chaïma. Les activités prennent fin le dimanche 10 mars, mais la municipalité souhaite les étendre aux week-ends. Avec l’idée que le parc trouve sa place dans le quotidien des habitants tous les jours de l’année.