[Au fond des filets] Dans “le petit chaos” du marché aux poissons avec le chef Christian Qui
Le pêcher, le vendre, le cuisiner... Le poisson est une tradition à Marseille, mais qu'en reste-il ? De l'hameçon à l'assiette, Marsactu part à la pêche. Pour ce premier épisode, mise en bouche avec le chef cuisto Christian Qui, qui propose des visites du marché aux poissons. A travers l'œil du cuisiner, se noue une rencontre sensible entre mangeurs, pêcheurs, et poissons souvent peu connus.
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“C’est un drôle de monde, le marché aux poissons. Il faut prendre le temps d’y rentrer.” Dans le soleil matinal du Vieux-Port, le chef cuisinier Christian Qui, cheveux argentés et yeux en amande, a voulu s’attabler un moment à un café avant de faire visiter à Marsactu le marché aux poissons du Vieux-Port. Il s’y rend depuis maintenant une dizaine d’années. Seul, mais aussi accompagné : avec son association Bouillabaisse Turfu, le chef spécialiste de la cuisine du poisson propose régulièrement aux adhérents de visiter le marché avec lui.
L’objectif : valoriser l’achat de poisson local, frais, pas cher et de saison, souvent peu connu des Marseillais. “Malgré la proximité avec la mer, il y a une transmission de la culture poissonnière qui ne s’est pas faite”, soupire le chef. Il cite pêle-mêle le poids des supermarchés, du poisson importé ou surgelé, et les difficultés de la pêche locale, qui fait face à la diminution des ressources. Sans compter le manque de candidat pour prendre la relève d’un métier éprouvant et peu lucratif. Le marché aux poissons du Vieux-Port lui, reste mal-aimé des Marseillais, qui l’associent souvent aux arnaques, aux revendeurs, au poisson trop cher ou pas frais. “C’est un petit chaos, on ne sait pas qui fait quoi et qui est qui, résume Christian Qui. L’acte d’achat est très intéressant pour sortir d’une posture de consommateur-spectateur.” Ce mercredi matin, c’est au tour de Marsactu de s’aventurer avec le chef sur ce terrain de jeu.
“Ça se mange, ça ?”
Sur l’esplanade du Vieux-Port, à deux pas de l’ombrière, une dizaine de stands sont alignés au bord de l’eau. Ce mercredi, les pêcheurs arrivent de la Madrague, du Planier ou encore de La Ciotat, pour débarquer leurs caisses de poissons frétillants. Rascasses et roussettes se trémoussent dans le soleil en attendant de séduire les clients.
“Y a dégun”, note le chef cuisinier. Seuls quelques touristes se risquent à s’approcher du stand le plus spectaculaire, sur lequel trônent un tronçon d’espadon et une tête de requin. Plusieurs passants se contentent de prendre des photos. Un groupe esquisse une moue de dégoût à la vue des murènes et des congres qui tapissent le fond des bacs bleu ciel : “Ça se mange, ça ?”. “C’est quoi celui-là ?” Une petite fille pointe du doigt un poisson inconnu, avant de se heurter à l’aveu de son père : “Aucune idée”. À côté d’eux, Benoît, la petite trentaine, n’a pas voulu sortir de sa zone de confort. Il repart avec des daurades pour son déjeuner : “Ces espèces d’anguilles qu’ils vendent, ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de cuisiner !”.
Un vivier de connaissances
Christian Qui, lui, cuisine depuis longtemps des poissons mal-aimés, comme la saupe ou le chinchard. “Quand je sers au restaurant, je ne dis pas ce que c’est !”, s’amuse le chef, qui tient ses tables aux Goudes. Il s’est notamment formé auprès de cuisiniers japonais : “Cela m’a ouvert sur une culture culinaire plus large, dans laquelle certains poissons sont beaucoup plus considérés que chez nous”. Le cuisinier désigne un étal de la main : “Regardez, il y a tout, de la beauté et de la monstruosité”.
Christian Qui ne s’y connaît pas qu’un peu en poisson. Il sait repérer la tache jaune du muge dorin. Différencier un maquereau billard d’un maquereau bleu. Reconnaître la fraîcheur des poissons les plus raides, et trouver les sars dodus dont le ventre trahit une réserve d’œufs.
Au fil des stands, l’œil du chef repère aussi les reflets argentés d’un petit groupe de muges. Ce poisson peu apprécié des consommateurs, qui l’associent souvent à la vase et la pollution. “Mais selon l’espèce de muge et l’endroit où elle a été pêchée, on peut se retrouver avec un poisson délicieux ! Et pour 10 euros le kilo, ça peut valoir largement plus le coup que d’acheter du loup à 30 euros”, s’enthousiasme le chef.
À la pêche aux recettes
En arrivant sur ce marché il y a dix ans, Christian Qui avait des dizaines d’idées de recettes en tête. Mais les stocks de poissons changeant au fil des saisons et des lieux, le chef s’est laissé porter par la vague et s’est mis à cuisiner des espèces communes mais peu prisées. Et à apprendre des pêcheurs locaux. “Je venais chercher quelque chose de précis que je ne trouvais pas, et la relation aux pêcheurs était du coup compliquée. Alors j’ai jeté toutes mes idées. Et c’est là que j’ai le plus appris des pêcheurs.”
“Vous n’êtes rien que des regardeurs !”. Assise près d’un poulpe qui fait trempette dans sa bassine, l’œil froncé, Nana houspille les clients qui ne s’arrêtent pas à son stand. “Mangez vivant ! Les vivants au prix des morts ! Vous êtes aveugles ?” Christian Qui la salue avec un respect non dissimulé : pour lui, la vendeuse de 91 ans est l’une des gardiennes de la mémoire du marché du Vieux-Port. C’est cette transmission de la culture culinaire des pêcheurs aux consommateurs qui, selon le chef cuisto, permet d’élargir le champ des possibles en cuisine. “Je conseille aux visiteurs qui viennent avec moi de se mettre à côté de l’étal, pour pouvoir discuter avec les pêcheurs sans les gêner dans leur travail. C’est une autre façon de se mettre en relation qu’au supermarché“, sourit Christian Qui.
Un stand plus loin, il s’émerveille avec Laura, poissonnière, devant un grand pagre scintillant. Pêché à la palangre, le poisson n’a pas encore trouvé preneur. Cette technique de hameçonnage artisanale lui permet pourtant de rester plus longtemps vivant et de bonne qualité. “Certains clients font style qu’ils connaissent, mais on passe généralement notre temps à leur expliquer quelles sont les espèces et comment les cuisiner”, pique Laura, un petit sourire en coin.
Endiguer la dégradation des ressources
En discutant avec les pêcheurs et les vendeurs, Christian Qui collecte de précieux indices qui le guident dans ses achats. Quelle technique de pêche a été utilisée, qui a pêché tel poisson, est-ce qu’untel revient bientôt ? Les mains abîmées d’un pêcheur témoignent d’une vie passée à traquer les poissons de roche. L’inquiétude d’un autre l’alarme au sujet de la raréfaction de certaines espèces dans le coin.
Au marché, le chef obtient de précieuses informations sur l’état de la biodiversité locale, et il peut ensuite y ajuster ses recettes. “Choisir un poisson peu apprécié mais très abondant, comme la saupe, peut contribuer à diminuer la pression sur d’autres espèces. Je la travaille crue, et son gras est délicieux en bouche”, salive-t-il.
Après quelques temps d’échange et de déambulation entre les étals, le pagre de Laura a fini par trouver deux amatrices. “C’est le meilleur poisson”, se réjouit l’une des amies, qui insiste pour payer l’addition. Elle sait déjà comment le cuisiner : ce sera un curry. Juste à côté, même la tête de requin a trouvé preneur. Un biologiste l’a achetée pour mieux l’étudier.
Christian Qui, lui, repart bredouille, sa glacière jaune fluo vide en bandoulière. Mais le chef rassure les pêcheurs : il reviendra samedi. Et c’est promis, il ne mangera pas qu’avec les yeux.
Commentaires
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il y a 2 problèmes endémiques sur le marché aux poissons: Très souvent les prix ne sont pas affichés et la pesée se fait hors la vue du client (et bien sur sans ticket) ce qui rend d’ailleurs anecdotique le prix au kg annoncé verbalement. Le tout en infractions aux règles légales du commerce.
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C’est vrai, mais le pêcheur ne va pas faire une étiquette pour chacune des espèces qu’il a sur son banc… Il suffit de demander combien vaut son poisson au kilo et souvent on a avantageusement droit au “bon poids” sur la balance. Quelques bancs sont à éviter, une petite habitude permet de repérer ceux qui n’hésitent pas à vendre du poisson de la veille ou plus… Et surtout ne pas acheter à même le sol hors des bancs numérotés !
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Qu’est ce qui empêche les pêcheurs du vieux port de mettre des écriteaux avec les prix ?? Cela se fait partout où l’on vend du poisson, sur les autres marchés de Marseille (au Prado par ex) mais aussi dans d’autres régions (vente directe des pêcheurs en Bretagne par ex).
Et puis ces bacs où le poisson trempe dans l’eau qui stagne, en plein soleil, jamais vu ailleurs !!.
Pouquoi autant d’arnaques sur ce marché du vieux port, sur la qualité, sur le prix, à la tête du client ? Ce n’est pas normal.
Je suis d’une famille de marseillais sur plusieurs générations, grands amateurs de pêche et de poissons, aucun n’achete sonpoisson sur le vieux port.
Quant aux choix de ce cuisinier restaurateur, il les ferait tomber de leur tabouret !
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Les prix fluctuent d’un jour à l’autre, comme sur tous les marchés, fonctions du volume de pêche et de la clientèle présente. Ils fluctuent aussi d’un prix plutôt haut en début de matinée à la baisse quand midi arrive et qu’il faut tout vendre. Et les prix sont plus bas que partout ailleurs alors que l’on a du poisson exceptionnellement frais pêché (5% des ventes en France, tout le reste a connu la glace, et quelques jours de frigos )
Quand aux espèces de poissons que choisit Qui, je les approuve pour les mêmes raisons, 1/ il y a abondance de saupes et muges dans la rade et raréfaction + surpêche pour d’autres 2/ elles sont peu chères et délicieuses pour qui sait les travailler et lever les filets, par ex en sashimis ou marinées à la tahitienne, ou à peine cuites panées…
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La légende de la photo “Parmi les poissons fraîchement débarqués, des loups, des daurades et des rougets, mais aussi des rascasses et des murènes.” Il n’y a pas de loups, ni de daurades ni de rougets, ce sont des pageots, des moustelles et des sarrans
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Hummmm ! Ça me rappelle la bouillabaisse du grand père de Saint-Henri… « si tu mets pas de patate dans la rouille c’est comme si tu faisais un ailloli sans ail vé» qu’il disait. A l’époque tous les ingrédients étaient dans le cimetière à bateaux à la sortie nord de Mourepiane. Fallait juste avoir le courage de se mettre à l’eau ou pour ceux qui avaient la chance d’avoir une barque, jeter la palangrotte après avoir cassé quelques moules.
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