Artbook, l’art de bourlinguer
Le temps se fige tandis que le crayon reste en suspens au dessus de la feuille blanche. Charles Bebérian se lance enfin, esquisse les contours d’une ville. Elle pourrait être Marseille, Lisbonne, Tanger, Venise, New-York, Istanbul ou bien San Diego. Artbook est un ensemble de carnets de voyage, réalisés avec la subjectivité, l’humour et le talent de ses auteurs, Charles Berbérian et Philippe Dupuy, croqueurs de profession et bourlingueurs par vocation.
Entretien avec Charles Berbérian, dessinateur et scénariste de bande-dessinée.
Charles Berbérian, vous êtes né en 1959 à Bagdad, vous avez passé une partie de votre enfance à Beyrouth, puis vous êtes venu en France. Vous avez des origines arméniennes, libanaises, chypriennes. Vous parlez anglais, français et à peu près bien arabe. Comment définiriez-vous votre identité ?
Culturellement, je me sens davantage francophone. Lorsque je suis arrivé en France en 1975 et que j’ai mis les pieds pour la première fois dans une librairie de bandes-dessinées, à Paris, entre le boulevard Saint-Germain et la rue Dante, j’ai su que j’étais chez moi, j’ai eu l’impression d’être là où je devais être. Mais je me sens méditerranéen. Eh oui, je passe mon temps à me contredire.
Et justement, dans Artbook, vous croquez de nombreuses villes du pourtour méditerranéen. Ces carnets représentent-ils en quelque sorte un voyage à travers vos racines ?
Peut-être un peu, mais la démarche est plus large que cela. Nous sommes forcément ramenés vers le passé mais c’est un leurre qui empêche d’apprécier ce que l’on a sous les yeux. J’ai vécu entre dix et quinze ans à Beyrouth, ce qui m’a sans doute donné le goût des villes situées au bord de l’eau – à Paris je me suis d’ailleurs installé près du canal saint Martin. Bref, lorsque je suis retourné à Beyrouth, je n’ai pas vu ce à quoi je m’attendais…
Les carnets de voyages ressemblent à des clichés. Qu’est-ce que le dessin apporte par rapport à la photographie ?
Le dessin est un moyen de raconter une histoire. La photo aussi, vous me direz. En réalité les carnets de voyage sont proches du journal intime. On dessine pour garder des endroits en soi. Dans les carnets, je dessine également ma famille… Les dessins m’apportent quelque chose que je ne ressens pas dans la photographie, un ralentissement du temps à l’extrême. C’est comme si j’étais le seul à avoir des mouvements ramassés, à être immobile quand tout le monde est en mouvement dans la rue. C’est très subjectif, mais je trouve que la photographie n’a pas cette force de tout arrêter. Le croquis est une vision du temps qui passe. Lorsque je dessine, je bricole uniquement par moi-même.
Mais êtes-vous retourné à Marseille depuis cet épisode ?
Une fois oui. C’est là que j’ai eu la trouille de ma vie : je devais me rendre à 6h du matin à la gare Saint Charles, et je me suis retrouvé dans une ruelle étroite. J’avais tellement peur que j’en pleurais presque, je m’imaginais tout un tas de choses…
Au fait, je vous signale que vous avez dessiné une baudroie et que vous l’avez appelée « la lamproie et la belle poissonnière ». Grave erreur…
Mince…J’ai le même problème avec les arbres, je n’y connais rien !
L’une de vos théories est que l’on arrive toujours trop tard dans les grandes villes, ce que vous venez chercher n’existe plus…C’est le cas pour Marseille ?
Ce n’est pas encore trop le cas pour Marseille, mais on a « civilisé » de nombreuses villes, comme New-York ou encore Barcelone, par rapport à une époque antérieure. En contrepartie on a détruit des quartiers qui avaient une âme… Marseille garde encore une coloration particulière. Cela me gênerait que les populations ne se mélangent plus. Le mélange est excitant, les odeurs, les bruits, l’agitation ! La campagne à côté me stresse !
Vous dessinez peu en couleur. Le « noir et blanc » se prête-t-il davantage pour des carnets de voyage ?
J’apprécie le côté évocateur, inachevé des dessins en noir et blanc. Le trait révèle des choses que la couleur a tendance à brouiller. Pourtant j’adore la lumière, les couleurs de la Méditerranée notamment. Peut-être ai-je peur de louper mon coup si je dessine en couleur. Cela me fait penser que je n’ai pas dessiné les abords de la Méditerranée, ses côtes, ses paysages. Je vais m’y mettre !
Artbook , éditions du Chêne, 45€
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Quand on aime la bande dessinée et le voyage , on se précipite chez son libraire !
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