Après l'incendie, le centre de rétention du Canet en procès
Après l'incendie, le centre de rétention du Canet en procès
Le procès de l'incendie du centre de rétention administratif (CRA) du Canet survenu le 9 mars 2011 devait être, pour la Cimade – l'association de protection des réfugiés – celui de la rétention et non celui des retenus. Ce voeu s'est en partie réalisé tant le réquisitoire puis la plaidoirie de Me Philippe Chaudon s'efforçaient de remettre les faits dans un contexte et dans un lieu, sujet à caution. Pointées successivement par deux rapports, l'un du Sénat en juillet 2009, l'autre du contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL) la même année, les conditions difficiles de rétentions du Canet sont apparues en filigrane tout au long de l'audience.
Mais, ce mardi 26 novembre, il s'agissait bien du procès à charge des deux Tunisiens demandeurs d'asile Djamel Benamar et Mohamed Hamza. Hier soir, le tribunal a tranché, condamnant les deux prévenus à un an d'emprisonnement, avec aménagement de peine par surveillance sous bracelet électronique pour Mohamed Hamza, aujourd'hui régularisé. Pour Djamel Benamar, l'aménagement de sa peine n'a pas pu se décider au moment de l'énoncé du verdict puisqu'il avait quitté la salle.
Les deux mis en cause, âgés tous deux d'une vingtaine d'années sont accusés d'avoir volontairement mis le feu à des matelas – à l'aide d'un briquet et d'une cigarette -, dans l'une des chambres et dans la salle de télévision. Ce jour là, 97 personnes sont dans le centre, dont 52 retenus, 35 policiers et 10 civils. L'incendie s'est propagé au rez-de-chaussée et à l'étage et a causé de graves intoxications chez des personnes retenues et un fonctionnaire de police. A cela s'ajoutent des dégradations matérielles qui ont entraîné la fermeture du centre durant plusieurs semaines et ont coûté 140 000 euros de réparations. Sur quinze personnes interpellées au départ, seuls Mohamed Hamza et Djamel Benamar sont finalement poursuivis, d'après un faisceau de témoignages à charge.
Durant l'audience, Mohamed Hamza, présenté comme le principal instigateur de l'incendie, s'est contenté de tout nier en bloc, déclarant ne pas connaître les témoins à charge et ne plus se rappeler ce qu'il faisait au moment de l'incendie. "C'était il y a trois ans, je ne sais plus… Je téléphonais à ma femme… Mais je ne connais pas ces personnes qui m'accusent, ce sont des menteurs". Il est également revenu sur un procès-verbal rédigé par un capitaine de police qui décrit Mohamed Hamza comme un fauteur de trouble. "Il a menacé de mettre le feu lors de sa garde-à-vue si on accédait pas à sa demande d'asile", décrit le fonctionnaire. "Je ne sais pas pourquoi le policier a marqué ça. Je n'ai pas dû comprendre la question. Je n'avais pas besoin de mettre le feu, il était prévu que je sorte quatre jours plus tard", s'est défendu Mohamed Hamza sans grande conviction. Effectivement, quelques jours plus tard, l'homme aurait dû quitter le CRA soit parce que sa demande d'asile était acceptée, soit pour être expulsé par voie maritime à bord du navire Le Carthage. Un drame pour celui qui souhaitait rester en France auprès de sa compagne alors enceinte d'une petite fille.
"Pas de confiance"
Discret à ses côtés, Djamel Benamar, a peu ouvert la bouche, se contentant de tendre l'oreille vers son interprète et d'acquiescer aux questions du président Fabrice Castoldi. Ou de nier également son implication dans l'incendie et son lien avec Mohamed Hamza. Lui aussi a décrit en peu de mots les conditions de rétention, en s'adressant cette fois directement au tribunal : "dans le centre il n'y a pas de confiance…" De Mohamed Hamza et de Djamel Benamar, on sait peu de choses, comme le regrette plus tard le procureur au moment des réquisitions. Seul Benamar a bafouillé quelques mots sur le régime tunisien de l'époque : "C'était la dictature, ça ne se passait pas bien." Espérant augmenter ses chances d'obtenir l'asile, Mohamed Hamza s'est, à l'époque des faits, inventé une identité et une nationalité palestinienne.
C'est au tour du commandant Elisabeth Leclerc, alors responsable du CRA de venir à la barre en tant que témoin. Elle apparaît sur la défensive quand elle répond aux question de Me Philippe Chaudon. Elle se contente d'établir un rapport clinique de la situation, retraçant à la demande de ce dernier un historique du centre de rétention du Canet. L'occasion de rappeler l'épisode de légionellose survenu en 2010, contraignant le centre à évacuer les étrangers et à fermer en partie à cause d'un risque d'épidémie. Une mauvaise publicité dont le CRA se serait bien passé. Alors que le commandant décrivait les conditions de vie, évoquant des normes pénitentiaires et des "prestations hôtelières" concernant la literie, Me Chaudon s'offusque : "L'administration se gargarise de présenter des prestations hôtelières !".
Sur Mohamed Hamza, Elisabeth Leclerc dispose de très peu d'éléments. Au moment des faits, elle l'avait décrit ainsi : "M. Hamza tentait d'organiser des mouvements d'humeur". Sommée de s'expliquer à la barre, elle se contente d'un : "Il refusait de manger par exemple. Mais je n'ai pas le souvenir de ce qui était reproché à M. Hamza. La main courante ? Il en existe une oui, avec des traces du comportement de M. Hamza…. Non, je ne l'ai pas portée à la connaissance des juges, on ne me l'a pas demandée".
Sur la question de la sécurité incendie, le commandant affirme que des exercices de simulation d'incendie étaient réalisés régulièrement. Une affirmation que la responsable de Forum réfugiés, Valérie Bonhomme, conteste à la barre. "A l'époque nous n'avions jamais participé à ce genre d'exercices. Et le jour de l'incendie, les sirènes n'ont pas retenti". Sur le cas de Mohamed Hamza, la représentante de la seule association présente dans le CRA fait mention d'un rendez-vous quelques heures avant l'incendie : "Il est venu poser des questions juridiques, je n'ai pas du tout pensé qu'il ferait quelque chose comme ça".
Déclarations concordantes
A l'heure du réquisitoire, le procureur Marie-Blanche Régnier insiste sur la réalité des charges et la solidité des témoignages : "Quand on jette une cigarette sur un matelas sur lequel sont posés des papiers, c'est que l'on veut mettre le feu. Je ne sais pas s'il y a un complot à l'égard de M. Hamza, mais je trouve que cela fait beaucoup de charges à son encontre. Je ne vois pas pourquoi les déclarations concordantes de ces gens, qui n'entretiennent pas de relations entre eux seraient contestables."
Et si elle a requis pour les deux prévenus un an d'emprisonnement, dont quatre mois de sursis, elle a formulé la suite de son réquisitoire sous forme de plaidoyer : "Je regrette que le tribunal ne possède rien sur la personnalité des prévenus, ni sur leur parcours migratoire qu'il faut prendre en compte, ni sur les conditions de vie au centre de rétention." Puis, "le contexte, s'il ne peut excuser des faits graves, mettant en danger la vie d'autrui reste un facteur d'explication. Je rappelle la réalité de la politique européenne en matière d'immigration, la politique du chiffre [de reconduites à la frontière – ndlr] fixée à l'époque par le ministère de l'intérieur." Le procureur a ensuite évoqué les observations du Sénat et du contrôleur général des lieux de privation et de liberté : "le rapport décrivait un état d'hébergement indigne, des activités inexistantes, le froid…"
Prenant à son tour la parole, Me Philippe Chaudon a rappelé également le contexte, avant de pointer les failles du centre de rétention du Canet, les 80 caméras de vidéo-surveillance inutiles : "Quand dans un centre de rétention on est incapable d'examiner autre chose que des allers et venues de gens qui transportent des matelas parce qu'ils n'ont rien d'autres pour s'asseoir, qu'on ne peut même pas constater un départ de feu, vous ne savez pas si l'incendie a une origine criminelle. Vous n'avez pas les moyens d'entrer en voie de condamnation, à part les élucubrations de quelques retenus qui n'avaient d'autre ambition qu'on les laisse tranquilles." Il a longuement souligné la volonté d'intégration des deux prévenus, travaillant tous deux à Marseille. Puis, concluant : "On a jeté en pâture des individus pour boucler la procédure le plus rapidement possible. Il appartient à notre société de se pencher sur ce qu'elle fait aux plus faibles d'entre nous".
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