"Anéantir l'oubli" avec les oeuvres interdites
"Anéantir l'oubli" avec les oeuvres interdites
Marsactu : L'objectif du Festival Musiques interdites reste inchangé ?
Michel Pastore: Il est le même depuis la première édition de l'événement voilà sept ans. Il s'agit d'un acte de réhabilitation des œuvres interdites par les régimes totalitaires staliniens et nazis, une restitution d'un patrimoine culturel, tout en étant un acte citoyen. C'est une volonté d'anéantir l'oubli en redonnant souffle à ces créations.
Y a-t-il une originalité particulière, pour cette édition ?
Cette année, en clôture du festival, le 30 juin, alors que sera présenté Le Château, création originale du compositeur Karol Beffa (nommé aux Victoires de la musique classique 2012), d'après une œuvre de Franz Kafka, totalement censuré par les nazis, une installation plastique réalisée par Philippe Adrien occupera toute l'allée centrale de l'église Saint-Cannat-Les prêcheurs. Des danseurs, chanteurs et instrumentistes solistes de l'Opéra de Marseille accompagneront l'oeuvre.
L'ensemble de la programmation répond-il à des critères artistiques très symboliques ?
Effectivement. L'oeuvre Nuit obscure, de Karol Beffa, a été créée d'après des poèmes, entre autres, de Saint Jean de la Croix. Celui-ci, jeté en prison à Tolède par l'Eglise au XVIe siècle, a écrit une partie de ses poèmes au cachot, mais aussi lors de sa fuite, tel Nuit obscure – du même nom que la création de Beffa. Il me semble que ce choix montre qu'au cœur même de l'anéantissement, on peut trouver l'inspiration pour la création. Celle-ci, qui survit à son auteur, est une sorte d'accession à la lumière éternelle. La programmation révèle bien d'autres symboles. Les Cinq chants profonds de Franz Schreker, seront joués pour la première fois depuis leur création. La diffusion du film muet Journal d'une fille perdue (1929) – assassiné par la censure de l'époque, ndrl -, aujourd'hui accompagnée de la musique de Karol Beffa, est une sorte de réhabilitation. Enfin, l'implication de l'Orchestre philharmonique de la Garde Républicaine, véritable institution, dans l'interprétation d'œuvres jamais jouées en France, composées en 1930… et justement interdites à l'époque par les institutions, est tout un symbole.
Comptez-vous par la suite étendre la programmation à des œuvres censurées par les régimes autoritaires actuels ?
Oui, c'est l'un des objectifs du festival. Nous ne souhaitons pas nous cantonner au répertoire classique occidental, mais nous avons pour ambition de nous ouvrir à d'autres territoires. Nous devions d'ailleurs mettre la musique arménienne et iranienne à l'honneur cette année avec notamment l'Ensemble de Saeid Shanbehzadeh, musique interdite par le président Mahmoud Ahmadinejad. La soirée a été annulée. Cela sera pour une autre fois. Nous avions également pensé à la chanteuse autrichienne Anja Plaschg, de nom de scène Soap and Skin. Elle n'est pas directement censurée dans son pays mais dans bien d'autres.
Quels sont les projets pour 2013 ?
Nous prévoyons justement une ouverture sur l'international et dans le répertoire musical avec du jazz interdit en Afrique du sud. Il s'agit de l'oeuvre The Barrier, créée en 1949 par le compositeur Jan Meyerowitz au camp des Milles, où il fut interné avant de s'exiler aux Etats-Unis. Le thème était celui de la ségrégation raciale. Nous présenterons également le dernier opéra post-romantique d'Eric Wolfgang Korngold, – compositeur de la musique du film de Reinhardt Le songe d'une nuit d'été, 1935 – Catherine, dont une partie de l'histoire se situe à Marseille. L'oeuvre devait être créée en 1938, deux jours avant qu'Hitler envahisse l'Autriche.
Vous en êtes déjà à la septième édition du festival. Pensez-vous épuiser un jour le répertoire des œuvres censurées ?
Il est, hélas, inépuisable. On découvre tout le temps et dans le monde entier des œuvres interdites. De plus nous demandons à des musiciens contemporains de traiter des œuvres interdites dans les années noires du totalitarisme. Il y a donc un renouvellement permanent. Et puis depuis deux ans nous menons une action pédagogique dans les lycées et les collèges d'Aix-Marseille, afin d'amener de nouveaux publics vers une écoute des œuvres auxquels ils ne s'intéresseraient pas spontanément. Il y a un vrai travail à fournir, car le contexte de l'interdiction provoque une double peine : lorsqu'une œuvre a été censurée, il est difficile de la réinsérer.
Programmation :
- Soirée d'ouverture le 1er juin à 17 h, bibliothèque de l'Alcazar, improvisation au piano de Karol Beffa sur la projection du film muet Journal d'une fille perdue de Georg Wilhem Pabst.
- Le 16 juin à 21 h, à l'Eglise Saint Cannat les Prêcheurs, Prélude et Fugue pour orgue d’Aldo Finzi ; De La Vie Eternelle quatre créations lyriques de Franz Schreker, L'Infini par Aldo Fini et Nuit Obscure par Karol Beffa, d'après des poèmes de Saint Jean de la Croix avec l'Orchestre de la Garde Républicaine.
- Le 30 juin à 21 h, à l'Eglise Saint Cannat les Prêcheurs, Le Château de Franz Kafka, création originale de Karol Beffa. Opéra de chambre pour chanteurs, acteurs, danseurs. Adaptation et mise en scène de Laurent Festas.
Festival des Musiques interdites, église Saint-Cannat-les Prêcheurs (1er). Tarifs: entre 20 et 15 €. Soirée d'ouverture gratuite. Informations et réservations au 04 91 90 46 94.
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