Ambiance de “chasse aux sorcières” à la Chrysalide Marseille
Cinq mois après la remise d’une enquête du cabinet Technologia portant sur des accusations de harcèlement contre l’ancien directeur général de la Chrysalide, le climat de représailles et les tensions persistent au sein de la structure de prise en charge de personnes handicapées. Un second rapport pointe par ailleurs des problèmes de management et de sous-effectifs sur l’un des sites de l’association.
Ambiance de “chasse aux sorcières” à la Chrysalide Marseille
Le calme et la sérénité ne sont pas encore de retour dans tous les établissements de la Chrysalide. L’association, qui s’occupe de 1250 personnes handicapées et emploie plus de 900 salariés à Marseille et dans la région, n’a pas vraiment tourné la page de la crise déclenchée en avril 2015 par une lettre envoyée par une dizaine de cadres au président de la Chrysalide, Pierre Lagier. Dans ce courrier, les employés accusaient le directeur général de l’époque, M. V., de harcèlement moral et sexuel. Le point de départ d’un séisme dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui.
En février, Marsactu avait fait état de la crise en cours en s’appuyant sur un rapport du cabinet d’audit Technologia, résultat d’une enquête menée suite à ces accusations (lire l’enquête). Aujourd’hui, d’anciens salariés de la Chrysalide estiment que la volonté d’étouffer les critiques émises par les dix cadres est devenue une obsession pour la direction de l’association. Sur ces dix personnes, huit ont aujourd’hui quitté la Chrysalide – licenciements pour inaptitude ou départs volontaires. Pour les deux restants, des procédures de licenciements, également pour inaptitude, sont également en cours.
Mais les dirigeants de la structure chercheraient maintenant à pousser vers la sortie ceux qu’ils identifient comme proches des “frondeurs”. “Aujourd’hui on ne s’occupe plus en priorité des personnes accueillies, ni des salariés, mais de savoir qui sont les « amis » des signataires de la lettre”, affirme ainsi un ancien salarié, qui pense qu’il existe désormais une “liste noire”.
Une atmosphère de “chasse aux sorcières”, selon les descriptions de plusieurs anciens, qui aurait déjà poussé d’autres employés à quitter le navire, notamment au sein du Pôle travail adapté (PTA). Sur le site des Glycines, à Aubagne, l’assistant social serait parti pour cette raison, avant d’être suivi par le chef d’atelier de cet établissement où travaillent 127 personnes handicapées. D’après plusieurs témoignages, on aurait mis des bâtons dans les roues du chef d’atelier parce qu’il s’était “trop” bien entendu avec l’ancienne directrice-adjointe du site, l’une des dix signataires de la fameuse lettre. “Il a dû travailler sans psychologue, parce qu’elle était en congé maladie et pas remplacée pendant trois mois, puis sans assistant social. Il a subi diverses pressions et menaces sur son poste”, détaille le même ancien salarié.
D’autres établissements du PTA fonctionneraient aujourd’hui en sous-effectif, ou avec des personnes peu expérimentées aux postes de direction, et perdraient du même coup des contrats. Avec des conséquences désastreuses pour les travailleurs handicapés concernés, aux dires d’anciens salariés : ils se retrouvent sans travail à accomplir, et doivent occuper leurs journées avec des parties de cartes ou des ateliers dessins, sans activité rémunérée.
Coupe de cheveux fautive
Ce climat de suspicion a eu des conséquences étonnantes à Tallard, dans les Hautes-Alpes. L’une des monitrices de cet autre établissement du PTA a été licenciée pour faute après avoir été mise à pied en mars, suite à un incident impliquant l’ancien directeur-adjoint, qui avait lui aussi signé la lettre d’avril 2015. Après son licenciement pour inaptitude, celui-ci est revenu pour se faire couper les cheveux dans le salon de coiffure intégré à l’établissement, où travaillent des personnes handicapées. En apprenant cette visite, la nouvelle directrice de l’établissement aurait convoqué chacun des travailleurs pour les interroger.
Dans la foulée, le président et le directeur général de la Chrysalide, Pierre Lagier et Jean-Yves Lefranc, se sont rendus en urgence à Tallard, officiellement pour calmer le jeu, tandis que les salariés ont saisi la section locale de la CFDT. Et la monitrice présente dans le salon de coiffure lors de la venue de l’ancien directeur a été mise à pied immédiatement, puis licenciée. Mais selon lui, elle a surtout été sanctionnée pour avoir laissé entrer l’ancien directeur dans l’établissement. “Si la direction l’a licenciée, c’est qu’il doit y avoir de bonnes raisons”, pense au contraire un employé de la Chrysalide à Marseille.
Rappel d’anciens employés à la retraite
Ce départ vient s’ajouter à une longue liste. Le mois dernier, c’était une employée haut placée qui annonçait quitter ses fonctions : la directrice des affaires financières. Elle effectue actuellement son préavis et fera ses cartons en juin. Pour faire face à cette vague de démissions, la direction de l’association semble avoir adopté une stratégie originale : rappeler d’anciens employés à la retraite, “dont la loyauté envers la Chrysalide ne fait aucun doute”, d’après d’anciens salariés. Mais cette “pilule” du retour des anciens ne serait pas toujours facile à faire passer auprès des équipes actuelles.
Ainsi, aux Citronniers, l’un des établissements du PTA à la Fourragère, à Marseille, la nouvelle chef d’atelier est en fait… l’ancienne : la direction a rappelé une employée du même site partie en retraite il y a environ un an. “Son retour a déclenché une levée de boucliers des employés de l’établissement, qui estiment que faire revenir quelqu’un dont les travailleurs handicapés ont « digéré » le départ est très déstabilisant pour eux. C’est un public fragile”, explique un ancien employé. D’après ses dires, la nouvelle/ancienne chef d’atelier doit aujourd’hui travailler depuis le siège de la Chrysalide, à Montolivet, pour ne pas provoquer de conflit en se rendant aux Citronniers.
Autre exemple de cette méthode du rappel des anciens : un ancien directeur-adjoint du site des Glycines, retraité depuis mai 2011, a repris du service dans cet établissement sur une mission de commercial. “Cela ne me semble pas stratégique, la personne peut difficilement avoir un carnet d’adresses de clients potentiels opérationnel après cinq ans d’inactivité”, commente un ancien salarié. Là aussi, le choix des dirigeants lui semble dicté davantage par l’exigence de loyauté que par la recherche du candidat le plus efficace.
Sur ces différents éléments, nous ne pouvons pas faire valoir le point de vue de la direction de la Chrysalide, qui a refusé de répondre à nos questions. Lors d’un entretien réalisé pour notre premier article, le nouveau directeur général Jean-Yves Lefranc mentionnait une médiation mise en place suite à la remise du rapport Technologia comme preuve de la bienveillance et de l’ouverture des dirigeants de la structure vis-à- vis des signataires de la lettre. C’est d’ailleurs ce qu’a répondu en substance le procureur Brice Robin à un courrier sur la situation à la Chrysalide, envoyé en décembre par le vice-président de la région d’alors, Jean-Marc Coppola (PCF). Dans sa réponse, le procureur décrit en détail le dispositif Areso “appui aux relations sociales, mis en place par l’inspection du travail. Mais d’après d’anciens salariés, cette médiation n’a en fait pas eu lieu : les “plaignants” qui étaient encore en arrêt maladie il y a quelques mois n’auraient jamais été contactés directement par la direction de la Chrysalide. “Ils attendaient une reconnaissance de leur souffrance, qui n’est pas arrivée. C’est pour cela que la procédure de médiation n’a pas pu être enclenchée”, estime de son côté un salarié de l’association.
Second rapport de Technologia
En parallèle, le cabinet Technologia a continué son travail au sein de La Chrysalide et rendu un second rapport. Il concerne cette fois le site de la Plantation, qui regroupe quatre établissements de la branche Accompagnement, hébergement et soins. Situé dans le 9e arrondissement de Marseille, ce site emploie environ 140 salariés. Cette seconde enquête indépendante a été, comme la première, déclenchée à la demande des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la Chrysalide. Dans une résolution de juin 2015, ils faisaient état de “plusieurs indicateurs révélant un état de souffrance morale au travail et les risques psychosociaux associés” concernant certains salariés de la Plantation.
Dans leur rapport, les experts de Technologia viennent confirmer les craintes du CHSCT, puisqu’ils pointent “des facteurs importants en lien avec la problématique du risque psychosocial”. Tout en soulignant que la plupart des salariés du site estiment “faire un travail intéressant et qu’ils aiment”, ils affirment qu’ils sont aussi une majorité – 27 sur 45 salariés interrogés – à mettre “davantage en avant des points négatifs que positifs concernant leurs conditions de travail”.
D’après le cabinet, le risque psycho-social est particulièrement présent à la maison d’accueil spécialisée Les Kiwis, l’un des établissements de la Plantation. Le sous-effectif chronique semble y être le principal problème. “Le plus gros point négatif ici c’est le manque d’effectif liés à beaucoup d’arrêts maladie, d’absences non justifiées, beaucoup de turn-over. Le manque d’effectif entretient la fatigue, ça peut aussi entraîner des effets sur les résidents”, explique l’un des salariés des Kiwis. À cela s’ajoute une ambiance entre collègues qui se dégrade selon certains employés, à cause de la fatigue accumulée et parce que la direction leur demande de “rédiger des rapports sur les comportements des uns et des autres”.
Ces relations avec la direction sont source de stress pour une partie des salariés de la Plantation :
« Ils ont le sentiment que la direction est ambivalente à leur encontre : un jour tout va bien, un autre jour la communication verbale est totalement inverse, avec des propos autoritaires, des comportements colériques disproportionnés avec la situation à traiter, le sentiment d’être surveillé et puni »
Après ce constat, les auteurs du rapport qualifient le management de “trop dirigiste voire parfois perçu comme autoritaire”. On retrouve là le type d’observations présentes dans le premier rapport de Technologia. Les accusations de harcèlement à l’encontre de M. V. étaient beaucoup plus graves, et le premier rapport plus sévère, mais ce même “management autoritaire” revient dans les deux documents. Le directeur du site de la Plantation, Pierre Bezombes, est d’ailleurs un proche de M. V., qui a lui-même dirigé la Plantation pendant plusieurs années. Pour un salarié de l’association, ces similitudes ne sont pas le fruit du hasard : “M. V. a imprimé sa marque. Le management vertical et autoritaire est présent dans tous les établissements de la Chrysalide.”
* Le 29 mai 2019 : À la demande de M.V., ancien directeur général de la Chrysalide aujourd’hui à la retraite, nous avons procédé à son anonymisation, étant donné qu’aucune procédure pour harcèlement moral ou sexuel n’a abouti à une condamnation, trois ans et demi après notre article.
Commentaires
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C’est le 2è article sur le même sujet, auquel je ne comprends rien. Je sais qu’il s’agit d’une vieille institution marseillaise, où « plus de 900 salariés » sont censés faire sortir de leur chrysalide « 1 250 personnes handicapées », mais je n’apprends rien sur ces 1 250 personnes, ce qu’on fait avec elles, ce qu’elles espèrent, sur les réussites et les difficultés de l’entreprise. Par contre, je comprends que c’est un peu le foutoir au sein des salariés, dont je ne sais pas comment se définit leur compétence, ce qu’ils ont comme diplôme, de quelles pédagogies ils s’inspirent. Je ne sais pas non plus comment la tutelle contrôle ou se sert de cette institution, comment se font les recrutements, ce qu’elle coûte en subventions.
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L’article pointe les problèmes internes touchant les salariés. S’il n’y est pas question du sort des personnes handicapées aidées par la structure, n’est-ce pas justement là le fait des dysfonctionnements de l’établissement ?
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C’est grave pour les salariés. Dramatique (réellement ou potentiellement) pour les “bénéficiaires”, car ce genre d’institutions peuvent partir dans des dérives graves et longues, ayant à faire à un public vraiment captif; Ailleurs, les publics jouent souvent un rôle d’arbitre, ou de régulateur, sans toujours s’en rendre compte, ne serait ce qu’en votant avec les pieds… Les questions qui me semblent pertinentes, vu de “l’extérieur” sont les suivantes : –Combien ça coûte en argent public ? — Que font les tutelles et qu’attendent elles ? — Que font la médecine du travail et l’inspection du travail, que nombre de petites entreprises et notamment dans le secteur associatif ont connu avec une plus grande célérité et des irruptions bien plus brutales ? — Les responsables de ces organismes ne craignent ils pas que ces mêmes questions soient reposées un jour, dans un contexte qui leur soit bien plus défavorable ? — Le cas échéant quelle autre crainte, équilibre celle ci, pour aboutir à un tel immobilisme ?
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Bonjour JL41, Delchine02 et leravidemilo,
merci pour ces questions.
@JL41 et @leravidemilo : Concernant le budget de la Chrysalide : il est d’environ 70 millions d’euros par an. Sur cette somme, l’Agence régionale de santé (ARS) apporte 29 millions, le Conseil départemental autour de 20 millions et la Dirrecte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) 5 millions.
@JL41 et @delchine02 : Pour ce qui est de l’action de la Chrysalide : elle consiste globalement à prendre à charge et à accompagner des handicapés mentaux au cours de leur vie, de l’enfance à la vieillesse. Action bien évidemment difficile et louable, mais ce n’est effectivement pas le sujet des deux articles que nous avons publiés. L’enquête que nous menons a pour objet la crise sociale en cours à la Chrysalide.
@leravidemilo : La médecine du travail a réagi à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée, alertant la direction de la Chrysalide sur la gravité des risques psycho-sociaux affectant certains de leurs employés (nous en parlions d’ailleurs dans le premier article).
Du côté des tutelles, nous avions évoqué leur silence dans notre premier article, l’ARS, le CD et la Direccte ne souhaitant pas s’exprimer sur la crise actuelle. Quant à l’inspection du travail, nous évoquions aussi la visite d’inspecteurs à la Chrysalide en juin 2015, et la médiation proposée par l’institution.
Nous ne manquerons pas, bien sûr, de vous faire de nouveaux développements de ce côté-là s’il y en a.
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Merci pour tous ces éléments de réponses. Comme on s’en doutait, “ça” coûte cher (c’est compréhensible) de l’ordre de 54 millions d’euros/an d’argent public, et ce n’est quand même pas pour financer des jeux de pouvoirs entre “fils d’une des fondatrices”, “amis” et “proches”; Ce cout majore, en l’espèce, la responsabilité des tutelles. Si on peut comprendre, dans un long premier temps en tous cas, qu’elles ne communiquent pas sur le sujet, il est permis de poser la question de leur “action” et de sa vigueur et de son efficacité, pour une crise qui, selon les éléments probants de votre article précédent, a débuté/éclatée en avril 2015, voila donc un an, et qui ne s’arrange pas et même, visiblement, s’aggrave. Et la même question (dans les mêmes délais) vaut pour les effets des interventions de l’inspection et de la médecine du travail. Pour faire image, disons que les lanceurs d’alertes ne semblent guère protégés et le payent comptant, parmi les salariés. Quant aux publics, captifs, on peut supposer que le cocon ne doit pas être tout à fait protecteur!
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En gros même avis que Leravidemilo. J’insisterais sur la partie « fils d’une des fondatrices », « amis » et « proches » : il y a de tels enjeux, les personnes handicapées à accompagner qui sont à remettre au premier plan avant de faire des analyses, ensuite l’énormité du budget, qu’il faut recruter sur diplômes et compétences reconnues, plutôt que d’être « fils d’une des fondatrices », « amis » et « proches ». La structure ne doit pas servir à caser des gens qui ne trouveraient pas du boulot ailleurs.
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