UN VERDICT (2)

Billet de blog
le 18 Juil 2025
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Souvent, mettre en relation des événements qui semblent ne rien avoir en commun permet de mieux les comprendre. Au moment où je continuais à écrire cette chronique sur le procès de la rue d’Aubagne, un incendie gigantesque a détruit tout un quartier de la périphérie de Marseille. Que comprendre de ces drames ?

Des effondrements et un incendie

L’incendie de la Castellane, le 8 juillet dernier, peut être rapproché des effondrements de la rue d’Aubagne, parce que, dans ces deux événements, les victimes ont été les femmes et les hommes du peuple qui cherchaient à se loger. Les effondrements et les incendies ont privé des personnes de logement : ou ils sont morts ou ils sont à la rue sans aucun foyer – sinon celui du feu, justement. Les effondrements et l’incendie sont des drames, mais ce ne sont pas des accidents : ils étaient prévisibles, car les espaces qu’ils ont atteints étaient soumis à la seule emprise du marché. Cette fois, il ne s’agit pas de l’emprise des trafiquants de stupéfiants, mais de celle des trafiquants de l’immobilier et du foncier. Les victimes de ces deux emprises sont, comme toujours, les personnes issues des classes populaires dont l’identité politique et sociale est d’appartenir aux classes qui sont les victimes des marchés. Ces deux situations devraient rappeler à nos pouvoirs qu’il est temps d’en finir avec les inégalités qui ne sont plus seulement des faits sociaux condamnables socialement et même contraires à ce que l’on a pu appeler le droit naturel, mais qui deviennent des crimes car ils portent atteinte à la vie et au logement : c’est désormais le droit qui, après le procès de la rue d’Aubagne, a reconnu le droit à une vie sociale comme un droit opposable aux injustices des emprises. Sans doute les habitantes et les habitants chassés de leurs maisons par le feu pourraient-ils, eux aussi, se tourner vers les juges.

 

Des espaces faussement aménagés 

C’est que les maisons de la rue d’Aubagne et celles de la Castellane ont été construites sans souci de l’environnement dans lequel elles se trouvent et des risques que comportaient de tels usages de l’espace. Que ces constructions datent d’époques différentes ne fait que nous dire que les inégalités de l’espace social ne sont pas une nouveauté de notre temps, mais durent depuis toujours dans notre histoire. Ces espaces faussement aménagés, à la va-vite, sans autre souci que le profit et, surtout, sans aucun souci de l’habitation de celles et de ceux qui y vivent, ne font qu’illustrer les injustices dont notre société emplissent l’espace faisant de lui un espace de menaces et de dangers au lieu d’en faire un espace social de logement et de sécurité. Les « jeunes des quartiers » qui manifestaient leur solidarité avec les victimes des incendies nous ont donné une leçon en nous disant que « la solidarité, c’est important » et en nous montrant que, contre le frénésie du marché et de ses faux aménagements de l’espace, illusoires et condamnables, et ils nous ont rappelé que les gens du peuple savent se retrouver pour se protéger en concevant des armes communes contre l’insécurité et les menaces de l’ordre établi. Ils nous ont rappelé où se trouve la véritable sécurité : ce n’est pas du côté de la police, mais du côté de la solidarité.

   

L’économie du foncier et de l’immobilier règne sur l’espace

C’est la recherche du profit qui a conduit à ces deux drames. Nous ne pouvons pas penser les conceptions libérales de l’espace sans nous rappeler que c’est la recherche du profit qui est le seul but des pratiques économiques du marché de l’immobilier et que le logement a été confisqué par le marché au détriment des conditions de vie et d’existence de celles et de ceux qui peuplent l’espace. Dans la forêt comme dans la ville, l’espace n’est plus consacré à la vie, mais au marché et aux trafics. Les pouvoirs et les acteurs politiques qui nous gouvernent font du profit en livrant l’espace au commerce. Cette économie de l’immobilier a enfermé les femmes et les hommes en les faisant faussement vivre dans des lieux d’habitation sans la liberté de la sécurité et sans la possibilité de se protéger en pouvant prévoir un avenir que, bien souvent, ils n’ont plus. La vraie contrainte de l’espace est là : ce ne sont pas les masques qui nous donnent l’illusion de nous protéger quand les lieux que nous habitons sont soumis aux contraintes des dangers qui ne sont pas ceux de la nature ou de l’environnement comme on tente de nous le faire croire, mais qui sont bien ceux de l’économie du foncier et de l’habitation.

 

Le feu : une peine sans verdict

L’incendie aura été une sorte de châtiment imposé aux humains sans verdict. Si le verdict de du procès a reconnu la culpabilité des trafiquants de l’immobilier, les morts de la rue d’Aubagne n’ont pas bénéficié du bracelet électronique. Quant au feu, il s’agit d’un châtiment auquel ne sont pas condamnés les bons criminels : les vrais criminels, ce sont ceux qui, sans aucun régulation, sans aucune loi et sans aucun contrôle, ont transformé la forêt en un vaste ensemble immobilier. Cette peine sans verdict que manifestent les incendies montre bien ce que la justice des hommes, comme celle de l’espace, a de profondément injuste. En condamnant les victimes à la mort, au confinement ou à l’absence de domicile, ces peines sans verdict nous rappellent l’urgence qu’il y a à changer de système et de logiques politiques pour construire et pour aménager un espace social conçu pour celles et ceux qui y vivent. La véritable rationalité d’une écologie politique  authentique est là : dans l’institution d’un espace libéré des pouvoirs, qui ne soit pas soumis aux trafics et à l’emprise du commerce.

 

Urgence sociale, urgence environnementale, urgence politique

Finalement, ce que ces deux événements ont en commun avant tout, c’est l’urgence. Ne nous trompons pas : il ne s’agit pas ici de mots destinés à exprimer un engagement politique, mais il s’agit d’un rappel de l’urgence. L’urgence sociale, l’urgence environnementale, et l’urgence politique qui s’imposent à nous viennent nous avertir qu’il est temps d’agir pour retrouver l’espace libre que nous avons perdu depuis des siècles. Ce ne sont même pas seulement les incendies et les effondrements qui se retrouvent pour nous rappeler l’urgence : cette urgence est aussi celle qui nous est rappelée par la guerre. Comme les effondrements de la rue d’Aubagne et les incendies de nos forêts, la guerre de Gaza comme celle de l’Ukraine n’entraînent que la mort et la disparition des espaces sociaux livrés à l’ivresse du pouvoir et à la recherche des profits.

 

Note : dans « Marsactu » d’aujourd’hui, Coralie Bonnefoy nous apprend qu’un appel du jugement de la rue d’Aubagne a été interjeté par le Parquet, les prévenus et les parties civiles.

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