UN VERDICT

Billet de blog
le 11 Juil 2025
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Lundi dernier, le 7 juillet, le tribunal judiciaire de Marseille a rendu son jugement concernant les effondrements de la rue d’Aubagne. Il y a beaucoup de leçons à tirer de ce jugement, un jugement hors normes pour un procès hors normes faisant suite à un événement hors normes.

La parole des juges

À la violence de l’événement ont succédé les débats et les confrontations, puis, lundi, la parole des juges. Un verdict est une parole qui dit la vérité des juges, cette vérité qui s’impose à tous, qui est reconnue comme la vérité de la société. Si, avec le pouvoir législatif, celui de faire la loi, et le pouvoir exécutif, celui de la mettre en œuvre et de prendre les décisions qu’elle impose, le pouvoir des juges est l’un des trois pouvoirs qui fondent le politique, c’est parce qu’il dit ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. La parole des juges, ce sont les mots qui tentent de retrouver la justice après des événements injustes comme celui des effondrements. Benoît Gilles, dans Marsactu du 8 juillet, nous raconte comment, « d’une voix douce et ferme », le président du tribunal prend la parole pour trouver les mots qui vont tenter d’en finir avec l’urgence du drame de la rue d’Aubagne. En finir avec leur urgence, car en finir avec les événements, on ne pourra pas, comme en témoignent l’espace laissé vide à l’emplacement des immeubles effondrés et les mots qui sont là pour que nous ne risquions pas de les oublier. La parole des juges va, notamment, dire les culpabilités et les responsabilités qui donnent aux effondrements leur caractère institutionnel, au-delà même des événements qui se sont produits rue d’Aubagne le 5 novembre 2018. La parole des juges fait changer les événements de monde : du monde de l’actualité et du temps des femmes et des hommes de Marseille, ils passent dans un autre monde, celui de l’histoire.

 

Les responsabilités et les fautes reconnues

Le rôle de la justice est là : il s’agit de reconnaître les responsables des événements et de leur violence, mais aussi de donner du sens à ce qui s’est produit, de faire, ainsi, en sorte que nous puissions tenter de comprendre l’incompréhensible. C’est toujours là le rôle de la justice : appelée à juger des actes, des paroles ou des événements que les femmes et les hommes ne peuvent pas comprendre car ils sortent de l’univers de notre rationalité, elle tente de faire entrer l’irrationnel dans les codes, dans les lois et dans les normes de notre rationalité politique. 

Deux sortes de responsables ont été désignés par le jugement : les responsables politiques, comme Julien Ruas, l’adjoint délégué à la prévention des risques dans la municipalité dirigée par J.-C. Gaudin alors au pouvoir, et les responsables privés, celles et ceux qui, chargés de l’entretien des immeubles n’ont pas vu leur dégradation ou se sont réfugiés dans un déni qui, en les laissant croire qu’ils n’avaient rien à faire – et surtout rien à dépenser, a conduit à des effondrements qui, comme tout le monde le sait à présent, étaient grandement prévisibles. C’est toute une logique de l’urbanisme, du logement et de l’aménagement de l’espace que les juges nous somment d’élaborer. À la folie de l’immobilier de notre temps doit succéder une raison du logement et de l’habitation. Ce n’est pas tout à fait un hasard si, dans un autre monde situé loin du nôtre, le président des États-Unis, D. Trump, dans sa folie de chaque jour, est bien issu de ce monde de l’immobilier, qui, avant tout, cherche à gagner de l’argent au lieu de remplir sa mission qui est de loger les gens. C’est ce qu’avait dénoncé, dans son réquisitoire, le procureur de la République, M. Sastre, par ces mots dans lesquels ils avait interpellé ces copropriétaires qui cherchent à « dépenser le plus tard et le moins possible ».

 

Un verdict pour aujourd’hui et pour demain

On peut trouver le verdict des juges un peu timide au regard de la violence des effondrements et des fautes des personnes poursuivies. C’est, par exemple, ce que dit l’association Un centre-ville pour tous dans un communiqué du 8 juillet, disant : « à la sortie du tribunal, la déception est forte », trouvant « les peines bien légères au regard des huit victimes mortes », et évoquant un « bilan en demi-teinte ». Peut-être était-il encore trop tôt pour que la justice pût exercer pleinement son pouvoir dans le domaine de la ville et du logement. Cependant, tout le monde s’accorde pour reconnaître au jugement de la rue d’Aubagne une importance qui va bien au-delà de ses décisions et des sanctions liées aux effondrements. Comme c’est, sans doute, la première fois qu’un tribunal a à juger des événements de cette ampleur, son verdict invente de nouvelles règles qui, ajoutant aux lois l’expérience judiciaire que l’on peut tirer des effondrements, font, comme on dit, « jurisprudence » : cela signifie que les mots d’hier des juges contribuent à construire la raison politique et institutionnelle de l’immobilier, du logement et de l’aménagement. Ce que l’on peut désormais appeler « le verdict de la rue d’Aubagne » apporte trois faits nouveaux dans le droit du logement et de l’urbanisme. Le premier est la reconnaissance de l’idée d’un « préjudice permanent exceptionnel résultant de la destruction du cadre de vie ». Au-delà de la destruction des immeubles, c’est tout un « droit de la vie quotidienne » qui se voit, par ces mots, reconnaître une légitimité judiciaire. Le second fait majeur de ce jugement est la reconnaissance, pour les habitantes et les habitants, d’un « bouleversement collectif », « effaçant les traces de leur existence et affectant leurs repères ». Ce verdict reconnaît ainsi que l’habitation est un fait social et culturel qui contribue à fonder notre identité, à nous donner une existence de sujets sociaux. C’est surtout en ce sens que le verdict de la rue d’Aubagne est essentiel. Désormais la vie sociale et ce qui permet de vivre au quotidien se voient reconnaître une dimension juridique : dans d’autres jugements, d’autres juges et d’autres avocats pourront s’en prévaloir. L’expérience du logement, de ces « habitants meurtris par la perte de leurs voisins et par la vague des relogements qui a traversé la ville », comme l’écrit B. Gilles (Marsactu, 8 juillet 2025), contribue, désormais, ainsi, à l’écriture de la loi et à la force de sa mémoire pour des procès à venir – car l’immobilier n’en a pas fini malheureusement, avec de telles crises dues aux excès du libéralisme.

 

Que reste-t-il de « la rue d’Aubagne » ?

Le jugement est le dernier épisode de ce que l’on peut appeler le drame des effondrements, le dernier moment de cet effondrement-là de notre ville, qui en a connu bien d’autres et qui en connaîtra d’autres encore. Nous nous souvenons de ce jour de novembre 2018, il y a presque huit ans, comme si c’était hier. À Marseille, pour toutes celles et tous ceux qui vivaient dans la ville à ce moment, cet événement ne peut être oublié, il sera toujours présent dans nos mémoires. « La rue d’Aubagne » nous a fait nous rendre pleinement compte de la précarité de certains immeubles de notre ville : là est la première leçon qui nous reste des effondrements. Nous avons enfin compris qu’à Marseille, il y a deux villes, celle des riches et celle des pauvres, c’est presque aussi simple que cela. Tandis que certains quartiers du Prado manifestent une richesse insolente, mais aussi montrent des aménagements comme plaqués sur les espaces de la ville, des aménagements venus d’ailleurs qui ne parlent pas le langage urbain de Marseille, les quartiers de la ville, ceux du vieux centre, comme la rue d’Aubagne justement, ou les quartiers Nord, expriment une véritable précarité – à celle des constructions et des aménagements répond celle des personnes qui y vivent, ou qui tentent d’y vivre. Une autre leçon de la rue d’Aubagne est l’importance de la solidarité entre les habitants de Marseille. Dans les quartiers populaires de la ville, les habitantes et les habitants ne vivent pas les uns à côté des autres en s’ignorant, mais ils vivent ensemble, ils construisent ensemble l’identité urbaine de la ville, autant sociale qu’urbaine. C’est grâce à une telle solidarité que Marseille a pu faire face à tous ces grands drames de son histoire (je pense, bien sûr, à la peste de 1720) grâce à la résilience de sa population qui a toujours su se montrer unie. C’est la même solidarité que celle qui s’est exprimée à l’occasion des dernières dévastations de l’incendie violent que nous avons connues. La rue d’Aubagne aura été un de ces événements majeurs qui ont mis la ville à l’épreuve. Surtout, dans le futur, la ville ne pourra plus jamais dire « Je ne savais pas ». Le verdict de la rue d’Aubagne l’empêche désormais d’être dans le déni, il lui fait une obligation judiciaire d’être dans une veille permanente. Les mots des juges doivent désormais être dits dans le langage des politiques.

 

 

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