SIGNIFICATIONS DU MÉTRO À MARSEILLE
On l’ a appris hier, dans « Marsactu » : le métro demeurera fermé le soir, à Marseille. Ainsi en a décidé la Métropole dans le cadre du projet de rénovation du métro. Mais profitons-en pour réfléchir au sens du métro dans la ville.
Le métro à Marseille
Un métro ne consiste pas seulement dans des wagons qui roulent pour transporter des voyageurs dans une ville. Un tel réseau a des significations multiples. D’abord, Marseille est une ville très étendue, et il importe, par conséquent, que le métro permette à celles et ceux qui vivent à Marseille de l’habiter vraiment, c’est-à-dire de pouvoir la parcourir, de se l’approprier en quelque sorte, de se retrouver dans la ville. Dans un espace urbain, ce sont les transports qui fondent au quotidien l’appartenance à la ville. On ne peut pleinement habiter Marseille qu’en pouvant s’y déplacer. Mais il y a plus : si la ville dispose d’un chemin de fer métropolitain (prenons garde aux mots, une fois de plus), c’est que toute la ville est parcourue par ses rames, et, ainsi, que la circulation automobile peut être réduite. Tant que les rues de la ville seront occupées par les transports particuliers (automobile ou trottinettes électriques), l’espace du transport ne sera pas un espace véritablement commun, un espace partagé entre les habitants. C’est le métro qui permet d’habiter Marseille, à la fois parce qu’il permet d’éviter les aléas de la circulation en voiture ou en autobus et d’aller vite, de se rendre facilement d’un point à un autre. C’est, d’ailleurs, pourquoi réduire le réseau du métro à deux lignes était, me semble-t-il, une erreur. Même si cette erreur est, en partie, réparée par le tramway, il n’en demeure pas moins que le métro ne dessert qu’une petite partie de la ville. Enfin, le métro marseillais fait pleinement de la ville ce que l’on peut appeler une « grande ville ». Dans l’échelle de l’urbanité, sans doute est-ce l’existence d’un métro qui distingue les grands villes, celles qui sont réellement des métropoles (on pourrait, d’ailleurs, désigner ces villes comme des « métros »), des villes moyennes. L’importance d’une grande ville se mesure à l’existence d’un métro, qui fait exister la métropole au quotidien de l’espace.
La soirée et le métro
La question est donc, de nouveau, celle de la soirée. Ce n’est pas un hasard si c’est sur ce point que la ville et la métropole se confrontent l’une à l’autre. On a l’impression que, pour la métropole, le métro est une sorte de luxe, et, ainsi, qu’il ne faut pas exagérer son usage et qu’il est normal de le limiter le soir, alors que, dans la réalité du vécu des habitantes et des habitants, il est une nécessité de tous les jours. Les horaires de travail, les nécessités de l’habitation, ne se limitent pas à la journée : c’est aussi la soirée que l’on vit à Marseille, et que l’on a, par conséquent, besoin de s’y déplacer. En empêchant les habitantes et les habitants de se déplacer le soir en métro, la métropole et le réseau arrêtent la vie quotidienne le soir, ils empêchent une vie professionnelle, mais aussi une vie familiale, des loisirs et une activité culturelle, de s’exercer : ce n’est pas seulement le métro qui, ainsi, se couche tôt à Marseille, toute la ville et toute la métropole sont obligés d’arrêter, le soir, d’habiter pleinement l’espace public. On comprend mieux, alors, le sens, justement, de ce que l’on appelle l’espace public. Un tel espace, celui des rencontres et de la vie sociale, n’existe que s’il est irrigué par le réseau du métro, et, ainsi, c’est toute la vie sociale de la métropole qui est obligée de s’arrêter, qui se réduit. Mais cette véritable réduction de la vie sociale contribue à une réduction des rapports sociaux. On a l’impression que la métropole conçoit que le métro en soirée est à peine une nécessité, alors que, pour au moins deux raisons, il en est, peu à peu, devenu une. D’abord, les métiers et les entreprises de la métropole conçoivent les horaires et les conditions de travail en fonction du métro depuis qu’il existe. Or les activités professionnelles ne s’arrêtent pas le soir. L’économie ne vit pas seulement dans la journée. Ensuite, l’urbanisme d’une ville aussi étendue que Marseille a donné naissance à une véritable métropole, à une urbanité étendue. Or, une telle étendue ne peut être habitée que si elle est irriguée par un réseau. Le réseau du métro est une nécessité urbaine autant que celui de l’eau ou celui de l’énergie. La politique de limitation de la desserte de la ville par le métro le soir ignore une telle nécessité.
Le réseau et les inégalités
Peut-être le plus grave sur le plan de la vie sociale est-il que, derrière la question du métro du soir, ce sont, une fois de plus, les inégalités qui sont en question. Certes, pour certains habitants qui n’en ont pas besoin le soir, le métro n’est pas nécessaire parce que leur travail, leurs conditions de vie, ne les contraignent pas à se déplacer en métro le soir. Ce sont les classes populaires qui exercent les métiers dont les conditions de travail rendent nécessaire de se déplacer le soir. Ce sont aussi les classes populaires que les contraintes du marché de l’immobilier obligent à vivre dans les quartiers éloignés du centre et des autres quartiers, et qui, par conséquent, ne peut pleinement habiter la ville qu’en pouvant la parcourir en métro même le soir. En ce sens l’organisation du réseau du métro ne saurait se limiter à une logique instrumentale, fonctionnelle, technique : il s’agit d’une nécessité pleinement sociale. En permettant les déplacements et les rencontres, le métro contribue à la réduction des inégalités, alors qu’au contraire, en réduisant les possibilités de déplacements, il risque de les renforcer, de les aggraver. C’est cela qui, sur le plan des institutions, a provoqué le conflit entre le métropole et la municipalité. Tandis que la métropole dirigée par M. Vassal et clairement engagée à droite, ne voit pas pleinement la nécessité du métro le soir, en se contentant, dit M. Vassal, d’être « désolée » par les « nuisances », la municipalité tente de résister à cette limitation de la possibilité pour tous de se déplacer. C’est bien en ce sens que l’organisation du réseau du métro est bien une affaire pleinement politique. La question des horaires du métro fait partie des questions suscitées par l’opposition entre la culture libérale et la culture socialiste ou écologiste. Ne nous trompons pas : les horaires du métro ont un sens.
Signification politique de la mesure
Mais n’oublions pas qu’en politique, les décisions n’ont jamais seulement une implication fonctionnelle. Elles ont toujours une signification politique – ce que l’on appelle une connotation. En l’occurrence, la prolongation de la fermeture du métro le soir n’est pas seulement une mesure impliquant des désagréments et des contraintes dans la vie des habitantes et des habitants. Elle a aussi une signification politique. Même pour celles et ceux qui ne sont pas des usagers ordinaires du métro, elle revêt une dimension symbolique. En prenant une telle décision, la métropole choisit clairement son camp : celui de l’indifférence à l’égard des services publics, de la vie collective, de la dimension écologique des transports en commun. C’est pour cela que les usages du métro signifient clairement de quel côté se range la métropole et la raison de son conflit avec la municipalité de Marseille.
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