Rêve radieux
Rêve radieux
Dessin de Rahma
L’idée que la misère n’ait pas nécessairement à coexister avec les cafards, les punaises, et les rats, les moisissures, les infiltrations et les détritus n’est ni une idée révolutionnaire ni même une belle idée, mais un argument banal en faveur d’une politique du logement normale. Car enfin, nous le savons, ce n’est par amour des petites bêtes ni des effondrements que les habitants du quartier réputé le plus pauvre de France doivent encore et toujours choisir contre leur gré les appartements les plus pourris de ce fameux quartier dont on ne sait plus, avec le temps qui use tout en même temps, s’il est pauvre à cause ses habitants ou de l’état de l’habitat. La question se pose donc, comme le disait déjà Napoléon III, mais on s’en fout de lui : pourquoi ne pas mettre les pauvres dans des logements propres et beaux pour qu’ils y soient heureux ?
Il faudrait concevoir un ensemble d’unités divisées en cellules d’habitation adaptées à ce besoin primaire d’avoir une vue sur la mer, des ascenseurs qui marchent, de la lumière dans les couloirs, des portes en bon état, des murs et des plafonds, des balcons agréables et même des toits-terrasses où venir admirer la cité dans le soleil du soir.
Imaginez un peu.
Oh mais j’y pense, n’était-ce pas déjà le projet de cet architecte du XXe siècle adoubé par la ville qui dessina autrefois ce beau parc Bellevue aujourd’hui réputé pour son numéro 143, pour son grand escalier de festival de Cannes, pour ses toits avec vue sur la tour CMA, pour son traditionnel commerce illegal, pour le pissenlit géant du bâtiment A1 et pour le A10 où sont posés Yassta, Fayzer et Mvssimo ?
Pas exactement, car cet ensemble de tours qui fut tout neuf un jour n’a pas été construit pour le bonheur des pauvres, mais vendu sur plans aux futurs vaincus de la guerre d’Algérie qui sentaient le vent tourner et à quelques jeunes mariés à crédit garanti par la pleine croissance du Général de Gaulle. Heureusement, la plupart de ces accédants à la propriété sont repartis vers un meilleur avenir et ont ainsi laissé la place aux chanceux locataires venus de la misère. La faute à personne si les propriétaires lointains ont oublié d’entretenir leur bien ou l’ont simplement revendu à d’habiles bailleurs parfaitement à l’aise avec cette vérité que la propriété n’est pas un métier. Depuis que ces logements idéaux ne sont plus que des placements, voire de minables rentes jusqu’à décrépitude, les escaliers ne sont plus balayés, les ascenseurs sont à l’arrêt, il n’y a plus de lumière dans les couloirs, les boites aux lettres sont défoncées, la peinture est défraîchie, les rats se promènent, les cafards sortent des éviers et courent le long des plaintes, les punaises mangent les jambes des enfants et les vieux tout autant mais qui va se plaindre et à qui ?
Allez, le mieux est de tout recommencer !
Imaginez un peu.
Là, par exemple, juste en face de ce vieux rêve d’avenir, voici le tout nouveau projet d’un architecte adoubé par la ville, une cité toute neuve avec des quantités de T1, de T2, de T3 et de T4 rangés dans des tours belles et fonctionnelles, toute une vie sociétale en mixité sociale avec des classes moyennes calmes et ordonnées en accès à la propriété et des ménages modestes mais heureux locataires de logements super neufs. Leurs enfants joyeux et leur sens inné de la convivialité mettront un peu de vie dans la déprime des cadres, tandis que les nouveaux propriétaires en costume de ville leur serviront de modèle de réussite sociale et puis, autour des tours, ce sera magnifique, il y aura un grand parc entièrement végétal où les petits joueront en sautillant gaiement tandis que les adolescents pleins de projets d’insertion seront occupés à embellir le quartier, encadrés par des animateurs investis avec eux dans le ramassage ludique des canettes de soda et des papiers gras, oui, pourquoi pas redessiner un art de vivre ouvert et agréable à proximité du quartier en plein boum des affaires portuaires ? Ah ce sera le rêve !
Oh mais j’y pense, n’est-ce pas justement le concept innovant de cette fière cité dressée là, face à Bellevue, comme un chateau fort avec ses quatre tours, ses grilles fermées et ses balcons bien gardés par les parapets ?
Pas exactement, car cet ensemble immobilier encore neuf à ce jour n’a jamais eu pour but de règler les problèmes de logement pourri des habitants d’ici, mais de promouvoir une cité idéale fondée sur un principe de mixité sociale sans société du tout, adaptée aux silhouettes dessinées des maquettes en 3 D, dont l’épanouissement personnel est garanti par l’aisance naturelle propre à la blancheur culturelle.
Entre ces deux ensembles où je vois l’histoire s’empiler en strates de misère et de projets urbains, je me demande ce que vaut le rêve de l’architecte. Ce jeune guetteur debout face à la rue Caravelle doit certainement le savoir mieux que moi. Il n’y a pas de Cité Radieuse à Saint Mauront.
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