Retour de Beyrouth

Billet de blog
le 23 Oct 2016
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Je me suis rendu à Beyrouth pour participer aux travaux d’une université de la ville à propos des sciences de l’information et de la communication, et, en rentrant, j’ai eu envie de livrer aux lecteurs de « Marsactu » les impressions de retour – car il me semble qu’elles concernent aussi Marseille.

Retour de Beyrouth
Retour de Beyrouth

Retour de Beyrouth

Une grande ville en déclin

 

Beyrouth frappe par le dérèglement de son espace urbain : les voitures y circulent n’importe comment, il n’y a pas de réseau de transports en commun convenablement organisé pour une ville de cette importance, capitale d’un pays, de surcroît, mais, partout, subsistent des souvenirs, en images ou en expressions diverses, de l’époque de l’empire ottoman où Beyrouth connaissait la richesse et la grandeur urbaine d’un port important. Ce qui a tué Beyrouth, c’est, bien sûr, d’abord, la guerre du Liban, entre 1975 et 1986, au cours de laquelle l’État a montré sa faiblesse dans le conflit entre les forces chrétiennes et les forces islamiques, mais sans doute ne faut-il pas s’arrêter là pour comprendre la situation contemporaine de cette ville. Ce serait même trop simple de réduire à la guerre la responsabilité du déclin de Beyrouth, même s’il ne faut pas en dénier l’importance. Mais, au-delà, c’est une dégradation de la situation urbaine qui frappe cette ville, que l’on peut lier à trois causes. La première est l’absence d’économie de production dans une ville qui, comme port, s’est toute entière consacrée au commerce, aux échanges, aux circulations dans la Méditerranée, entre l’Est et l’Ouest. De ce fait, le déclin du transport maritime et les risques inhérents à la situation géopolitique de la région ont entraîné la diminution de l’activité et l’appauvrissement de la ville. Une deuxième cause du déclin de Beyrouth est sans doute l’absence de projet de développement urbain d’ampleur de nature à donner une cohérence aux politiques urbaines engagées dans la ville. La ville a grandi sans objectifs, sans cohérence, un peu au hasard, et, de ce fait, elle est aujourd’hui comme un géant sans forme. Enfin, l’absence d’entretien du patrimoine urbain et une activité de transports sans logique de réseau et sans développement de transports en commun achèvent de faire de Beyrouth un espace sans logique et sans avenir prévisible. La construction des grands immeubles donne une illusion d’activité, mais, derrière ces immeubles, la ville ne vit pas pleinement.

 

Des pouvoirs sans politique

 

La politique urbaine, à Beyrouth, semble être toute entière livrée aux affrontements entre entités politiques opposées et entre communautés – ethniques ou religieuses. De ce fait, le développement urbain se situe en-dehors des logiques politiques et semble livré à des conflits d’intérêts entre acteurs qui s’approprient, de façon presque féodale, leurs parties de la ville. On a le sentiment, devant la ville, d’y retrouver une forme de symptôme des difficultés des pouvoirs institutionnels de s’imposer au Liban et d’y engager des politiques fortes, déterminées, dans une orientation précise. De plus, quand je me trouvais à Beyrouth, la ville semblait en proie à une crise de l’enlèvement des déchets : les ordures jonchaient les rues. Quant à la circulation automobile dont j’ai parlé, elle est aussi, dans son désordre et dans son absence de plan, une manifestation de l’absence de contraintes et d’impératifs politiques de nature à exprimer un pouvoir actif et reconnu par les citoyens.

 

De Beyrouth à Marseille

 

Mais voilà : si je parle un peu de Beyrouth dans Marsactu, c’est qu’il me semble que la situation de cette ville pourrait annoncer ce que Marseille finira par être si les responsables politiques et les pouvoirs de cette ville ne prennent pas garde aux logiques de son devenir. Trois aspects me semblent, en particulier, des symptômes inquiétants de l’absence d’une politique urbaine digne de ce nom. Il s’agit, d’abord, de l’affaiblissement de l’entretien des immeubles – en particulier des immeubles anciens, dans le centre de la ville. Il est urgent d’élaborer une réelle politique de l’entretien du patrimoine architectural et de la mettre en œuvre, pour pouvoir être sûr que la ville ne se dégradera pas. Il s’agit, ensuite, de la fuite des activités du centre et de l’affaiblissement économique de la ville. « Marseille est devenue une destination incontournable de tourisme de loisir », disait récemment le maire, J.-C. Gaudin[1], « mais aussi une ville de tourisme d’affaires et de congrès ». Le problème, c’est que l’économie d’une ville ne saurait se réduire au tourisme, et une véritable ville ne saurait n’être qu’un lieu de loisirs. D’autant plus que ces propos du maire rencontrent les conclusions d’une étude récente de l’Inspection générale des Finances et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le C.G.E.D.D. qui montre que Marseille comprend 10 à 15 % des commerces vides, sans activité : c’est de cette façon que les villes s’appauvrissent[2].

 

On a le sentiment, aujourd’hui, d’une véritable urgence à ce que Marseille se dote, enfin, d’une véritable politique économique, cesse de naviguer à vue, et, surtout, s’engage dans une économie urbaine allant au-delà du loisir, pour retrouver une économie réelle fondée sur l’échange et la circulation, et, en particulier, sur la revitalisation du port, et pour profiter de la naissance de la métropole urbaine pour penser l’économie urbaine à son échelle en engageant une politique de circulation et de transports permettant au réseau métropolitain de devenir un véritable espace économique. Faute d’une telle politique, Marseille risque de se retrouver demain comme Beyrouth : une ville pauvre vivant sur le souvenir d’une grandeur passée, mais aujourd’hui disparue.


[1] « Rendre Marseille plus attractive », entretien avec « 360° », revue de l’Aéroport de Marseille-Provence, juin 2016.

[2] C. Prudhomme, « Le déclin commercial des centres-villes s’aggrave » (Le Monde Économie et Entreprise, 21 10 2016).

Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Comparaison très intéressante. “… l’absence de projet de développement urbain d’ampleur de nature à donner une cohérence aux politiques urbaines engagées dans la ville. La ville a grandi sans objectifs, sans cohérence, un peu au hasard, et, de ce fait, elle est aujourd’hui comme un géant sans forme. Enfin, l’absence d’entretien du patrimoine urbain…” On n’est pas loin de Marseille…

    En 20 ans, durée cumulée des mandats de l’équipe municipale actuelle, il y avait le temps d’engager des politiques urbaines de long terme. Où sont-elles ? Elles sont remplacées par quelques totems censés faire illusion, mais qui n’apportent rien au tissu urbain ni à la qualité de la vie des Marseillais : un nouveau stade Vélodrome ici, un bout de tramway au centre-ville (la périphérie restant oubliée au nord comme au sud), une patinoire – et pourquoi pas un téléphérique…

    Quant à l’état du centre-ville, abandonné au profit de quelques centres commerciaux, la municipalité se serait honorée en faisant respecter les lois et règlements existant plutôt que de quémander une “zone franche” auprès du gouvernement. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les signaux d’alarme de sa déliquescence sont tirés :
    https://marseillemissionpossible.wordpress.com/2013/12/05/centre-ville-decrepi-cherche-regles-durbanisme-desesperement/
    https://marseillemissionpossible.wordpress.com/2015/05/21/y-a-t-il-un-pilote-pour-sauver-lhyper-centre/
    https://marseillemissionpossible.wordpress.com/2015/06/10/marseille-un-grand-axe-pietonnier-de-saint-victor-a-la-plaine/

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  2. LaPlaine _ LaPlaine _

    Une quasi gémellité qui ne nous rassure pas sur l’avenir de Marseille. Comment peut-on conserver cette classe politique locale sans idées, sans vision d’avenir, une forme d’irresponsabilité publique que devront corriger les générations suivantes si tant est que cela soit encore possible.

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  3. Renardsauvage Renardsauvage

    Excellent article ! Quel gâchis, notre ville est aux mains d’incompétents et il s’agit d’un euphémisme.

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    • Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

      Bonjour. Merci pour votre petit mot. Restons en contact si vous le souhaitez. Voici mon courriel : . Amicalement.

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