Réflexions d’une sage-femme
Réflexions d’une sage-femme
Suite à l’article consacré par Marsactu à ma carrière de sage-femme, voici quelques précisions qui me tiennent à coeur de partager.
Je voudrais d’abord faire l’éloge du travail collectif. Fin 2020, je ne “ferme pas le cabinet du 33 rue Sibié” mais je m’en retire en laissant la place à mes jeunes consœurs avec qui je travaille depuis des années et avec qui je continuerai la réflexion autour de nos pratiques.
Cette dimension collective de notre démarche de sage-femme à La Casa de naissance est essentielle et il est important de souligner que la création de cette unité d’accompagnement global a été un travail d’équipe, mûri et pensé en groupe et non pas du ressort de ma seule initiative.
De la sacralisation du “naturel” à l’accompagnement des parents.
Il est vrai que les débuts de ma carrière ont été marqué par un mouvement de révolte contre l’hyper-médicalisation (ce sont années 80) et, en réaction, par la sacralisation du « naturel ». L’évolution remarquable des pratiques en obstétrique et en pédiatrie, l’humilité à laquelle nous conduit nos expériences professionnelles du fait de nos inévitables déboires, les nécessaires compromis liés à la pluridisciplinarité, ont apporté plus de maturité.
Le projet d’un accouchement naturel peut être un souhait, un désir, il ne peut être un but en soi. Dans notre unité de La casa, sur la période 2018/2019 pour 188 suivi de grossesse, seules 117 aboutiront à une naissance purement physiologique c’est-à-dire sans aucun geste ou aide médical, soit 62%. 38% des femmes bénéficieront, outre de notre accompagnement, des soins de l’équipe de la maternité d’Aubagne.
Ainsi, l’équipe de LCN, au fil du temps, a appris à se défaire de la vision de la physiologie comme critère de réussite de notre travail
L’essentiel est d’apporter aux parents le soutien, les repères, leur permettant de vivre l’événement comme la “mise au monde de leur enfant” que ce soit par voie basse ou par césarienne, avec péridurale ou sans.. Nous constatons que les vécus de maltraitance obstétricales sont souvent liés à un manque d’anticipation et de préparation de la femme, de son partenaire, et donc une trop grande passivité vis à vis du corps médical. S’il est préparé en amont, le dialogue parents/équipe médicale est aujourd’hui possible car à l’intérieur des maternités les pratiques ont beaucoup évolué. Partout nous voyons plus de respect pour les processus naturels donc moins d’interventionnisme, plus de liberté laissée aux parents, un accueil du bébé respectueux du lien précoce. Nous sages-femmes avons à aider les parents à se préparer à la naissance dans un dialogue adulte, fait de liberté et de confiance, avec l’équipe de la maternité où ils ont choisi d’accoucher, que ce soit à La Casa ou ailleurs.
Le projet est le soutien de la parentalité naissante
Dans sa recherche sur la dépression postnatale, ( La naissance du premier enfant, 1990) Patrizia Romito conclut : « … les femmes ne trouvaient pas lourd de s’occuper de leur bébé. Ce qu’elles trouvaient lourd c’était de le faire tout le temps, dans de mauvaises conditions et sans que le travail qu’elles accomplissaient fut véritablement reconnu, ni par leur compagnon, ni par la société dans son ensemble ».
La société postindustrielle a interrompu la chaine des transmissions issue des cultures populaires et familiales. Elle les a remplacées par une vision productiviste (rapidité, performance, technicité), mécanique (un corps machine, fonctionnel), soumise aux savoirs d’expertise (le scientisme, la gestion, le contrôle). Préoccupée par la maitrise du risque, elle enferme l’événement naissance dans sa seule dimension médicale. La dimension symbolique est alors saturée de signifiants désubjectivants (dépistage, prévention, prédiction, gestion, contrôle, protocole) et de prise en charge du corps par le soignant (soigner, réparer, compenser, corriger)qui évacuent la dimension psychique et humaine de la naissance.
Enfin, la femme se trouve écartelée entre les modèles de performances maternelles, professionnelles, conjugales et sociales. L’adaptation à son nouveau rôle est d’autant plus difficile qu’elle se retrouve très souvent, comme l’observe P.Romito, isolée avec son nourrisson et absorbée dans des tâches non reconnues.
L’expérience du devenir parent et d’humaniser le petit d’homme, comme l’expérience de la mort, est devenue une expérience individuelle, par là, soumise aux aléas des héritages culturels, socio-économiques, psychiques.
En réponse à l’isolement et au désarroi parental, des espaces collectifs s’inventent et constituent une amorce de réponse au besoin de partage autour de la naissance et de la parentalisation : Maisons vertes et lieux d’accueil parents-enfants, ateliers en PMI, groupes de préparation à la naissance, accompagnement postnatal par les sages-femmes, par les psychologues de maternité ou d’unité Parents-bébés…
Ces lieus constituent un net progrès par rapport au désert d’il y a 30 ans. Mais il y a encore beaucoup à faire pour « faire village » autour du petit humain : une femme ne doit pas rester seule avec son bébé. C’est un enjeu politique, féministe, sociétal majeur.
Notre motivation de sages-femmes engagées dans l’accompagnement pré et postnatal, se nourrit de l’idée de Winnicott : « Ce dont un enfant a besoin c’est de parents qui ont confiance en eux ». Cette confiance se construit chaque fois qu’il est permis à une femme, un homme de contacter, pour eux-mêmes et pour leur bébé, la puissance de leurs propres ressources, au sein d’un environnement disponible, cohérent et contenant.
Marseille, Janvier 2020
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