POUR ZINEB (contre Zemmour)
Le 2 décembre 2018, Zineb Redouane mourait à l’hôpital des suites d’un tir tendu de grenade lacrymogène. Cette dame de 80 ans habitait Noailles, quartier historique du ventre de Marseille, frappé trois semaines auparavant par le drame de la rue d’Aubagne, quand deux immeubles s’effondrèrent, tuant huit personnes. Atteinte en plein visage alors que, penchée à sa fenêtre du quatrième étage, elle ferme ses volets pour éviter que ne pénètre chez elle le gaz qui saturait l’air à la fin d’une manifestation contre l’habitat indigne, Zineb devient la neuvième victime d’une violence qui, à bien y regarder, n’est plus très loin de faire système.
Revenons d’abord sur le 5 novembre 2018. Des deux immeubles écroulés, le premier appartenait à la Ville. Le deuxième était aux mains de plusieurs propriétaires privés, qui louaient leurs biens sans entretenir l’édifice – l’un de ces marchands de sommeil s’avère être conseiller régional LR. Le 19 octobre 2018, après une énième alerte, une évacuation et une expertise, un arrêté de péril validé par le service municipal de prévention des risques avait autorisé le retour des locataires dans leurs logements. Violence de l’abandon.
Le samedi 1er décembre 2018, alors que, vivement refoulée de devant la mairie, la manifestation tourne à l’émeute, le premier substitut du procureur de la république est présent aux côtés des forces de l’ordre. « Juge et partie », en quelque sorte. Pour cette raison, l’affaire Redouane sera dépaysée. Quand un juge d’instruction demande la saisie des lanceurs de grenade pour examen balistique, le commandant de la CRS 50, sur zone ce soir-là, refuse de les livrer. Aujourd’hui, après trois ans d’instruction et un signalement de l’IGPN, la hiérarchie connaît l’identité du tireur, mais n’a pas prononcé un seul blâme. Violence de l’impunité.
Ce soir-là, au moins à deux reprises, les forces de l’ordre ont utilisé les façades pour faire ricocher leurs grenades sur les manifestants. Une première fois sur le Vieux-Port, en rebond sur la façade latérale du Burger King. Et une autre sur l’immeuble de Zineb, 12 rue des Feuillants. Le protocole obligeant l’agent à tirer en cloche n’a pas été respecté. Peut-on imaginer la même « bavure » sur les Champs-Elysées ? Le décès d’une habitante des beaux quartiers parisiens serait-il resté impuni ? Violence du mépris.
A l’automne 2018, à travers tout le pays, le mouvement des Gilets jaunes est à son apogée. Le gouvernement panique et va réagir avec brutalité : mains arrachées, yeux crevés, des centaines de blessés et d’emprisonnés pour l’exemple. Et Zineb, tuée à sa fenêtre. Les Gilets jaunes la considèrent comme une de leurs martyrs, même si le ministre de l’Intérieur de l’époque a prétendu que le maintien de l’ordre n’avait fait aucun mort. Violence du déni.
Revenons à Marseille, chez Zineb. C’est Zemmour – déjà lui –, qui avait publié dans Le Figaro cette phrase en off d’un adjoint au maire chargé de l’urbanisme, en 2003 : « Il faut nous débarrasser de la moitié de la population, le cœur de la ville mérite autre chose. » Récemment, l’expert Valls a recyclé la même lubie en direct sur RMC – au moment où Macron, comme à Beyrouth quelques mois plus tôt, tançait les élites locales et leurs « chicayas ». Valls : « Sur Marseille il faut tout reprendre à zéro. Les quartiers sont au cœur de la ville, il faut tout raser, tout reconstruire, repeupler autrement ces quartiers. » Pour exister à tout prix, ne jamais craindre l’outrance. Violence du vrai « grand remplacement ».
Habitante de Noailles, Zineb aimait prendre le café en terrasse avec ses amies sur le cours Belsunce. Ancienne gérante d’hôtel, elle faisait des allers retours entre Marseille et Alger. La dame était chez elle ici autant que là-bas, incarnant le lien fort qui unit ces deux villes par-dessus la mer et les cicatrices de l’histoire. Violence de la politique des visas.
Ce lien têtu fait la nique aux rancœurs instrumentalisées par les gouvernements des deux rives, à ce jeu de miroirs qui ne renvoie que du vide et enfante des monstres. Nouvel adversaire idéal de Macron, Zemmour veut bannir les Zineb. Son patronyme berbère indique pourtant que ses ancêtres peuplaient le Maghreb bien avant l’arrivée des Français, des Turcs ou même des Arabes. Mais ça n’intéresse pas celui que les moqueurs surnomment le Gollum de CNews, et dont l’esprit bat la campagne en quête d’un « précieux » apocalyptique : une identité française archaïque, fermée, revancharde. Violence d’un passé aliéné.
Zineb, elle, n’a jamais eu besoin de renier ses racines. « Je passe et je suis là, comme l’Univers », disait Fernando Pessoa. Elle fait partie de la même mosaïque marseillaise que formaient dans leur immeuble branlant les huit de la rue d’Aubagne : Simona, Pape, Fabien, Taher, Chérif, Marie-Emmanuelle, Ouloume, Julien… Comme ses voisins, Mme Redouane était le vivant portrait d’une ville qui, malgré tous les vents contraires, reste ouverte sur le grand large.
Zineb est bien l’un des noms de Marseille – du Marseille populaire que Valls, Zemmour et quelques autres voudraient effacer.
En ce 1er décembre 2021, elle est et restera présente à nos côtés.
Bruno Le Dantec est l’auteur de
« La ville-sans-nom – Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent » (Chien rouge 2007)
et, avec Mahmoud Traoré, de « Partir et raconter – Une odyssée africaine » (Lignes 2014)
Un hommage à Zineb Redouane aura lieu jeudi 2 décembre à 18h au 12 rue des Feuillants, Noailles.
Et une manifestation en sa mémoire le samedi 4 décembre à 16h sur le Vieux-Port.
Du 13 novembre au 15 décembre, un mois contre les violences d’Etat :
http://DU1311AU1312.NOBLOGS.ORG
13111312@RISEUP.NET
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