Portraits : Le Peuple de la Plaine – Le vieil homme et la bière
L’autre soir, tard dans la nuit, alors que l’heure de la fermeture approchait dans le bar désert, un vieil homme entra. Il demanda une bière, la voix presque éteinte, comme si chaque mot pesait lourd. Hésitant à lui dire que nous allions bientôt fermer, je finis par lui servir cette bière qu’il but lentement, sans un mot, sans un geste de trop. Le silence s’étira comme un fil ténu, reliant sa solitude à la mienne. Et cela devint une habitude. Chaque nuit, à la même heure, il revenait, s’installant dans ce coin du bar jusqu’à la fermeture.
Mon jeune serveur s’impatientait de plus en plus. Pour lui, ce vieillard n’était qu’une silhouette de trop, une entrave à la fin de son shift. Il le regardait comme un obstacle entre lui et son foyer, un retard à la douce intimité qui l’attendait au-delà de ces murs blêmes.
De mon côté, je voyais autre chose dans ses yeux ternis — une solitude muette, un vide qui, chaque soir, semblait croître en lui. Ici, dans notre bar, sous les lumières fades, il trouvait un semblant de refuge, un répit fragile où l’obscurité du quartier semblait suspendue. Ce n’était pas grand-chose : quelques tables, une odeur de bois fatigué et de bière, une lumière vacillante. Mais pour lui, c’était un lieu où l’angoisse perdait, ne serait-ce qu’un instant, son emprise.
Il buvait sans hâte, chaque gorgée repoussant le moment redouté où il se retrouverait seul, face au silence glacé de ses pensées. Un soir, mon serveur, excédé, se décida à le raccompagner fermement vers la sortie, poliment mais sans une once de chaleur. Le vieil homme s’éloigna, courbé, englouti par la nuit.
Ce n’est qu’en fermant le bar, seul dans l’obscurité revenue, que je compris pourquoi ce départ forcé m’avait troublé. Là, sous le néon qui clignotait faiblement, je me retrouvai, moi aussi, face à cette sensation de vide. Comme lui, je savais que dehors, dans le monde, l’ombre du néant attend, prête à s’immiscer dès que les lumières s’éteignent.
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