Oxygène

Ma chambre au centre-ville donne sur une cour intérieure commune à plusieurs immeubles gérés par plusieurs copropriétés différentes. Le quartier est bruyant et on sent le diesel quand on respire. Jusqu’à il y a un mois, tous les matins à 6h00, je me réveillais en sursaut au son de la porte de la réserve du troquet en face qui s’ouvrait sur la cour en grinçant. Le cuisinier installait un lourd tonneau pour tenir la porte ouverte, et commençait son va et vient pour décharger la camionnette de livraison des sandwichs et salades. Avec son succès grandissant auprès des clients des bureaux du quartier, il a commencé à servir aussi des plats chauds. Au bruit matinal s’ajoutait donc désormais l’odeur infecte des sauces et plats qu’il préparait à n’importe quelle heure du jour ou du soir.

Ensuite il a fini par ne plus supporter l’odeur de sa propre cuisine et il a installé un système de ventilation qui portait les odeurs dehors, directement en face, dans ma chambre. L’été je souffrais moins de ce problème car je fermais pour laisser la climatisation faire son travail, mais pendant les inter-saisons, je ne pouvais plus ouvrir la fenêtre pour aérer même pendant que j’allais prendre une douche le soir, car en revenant, il fallait s’endormir au milieu de ces odeurs. Je n’étais pas la seule dans cette misère. Il y avait une pétition en cours, les syndics des deux copropriétés étaient saisi, et des actions étaient en cours.

Et puis le coronavirus est arrivé. Pendant l’intersaison. Qui m’aime autant au ciel pour m’avoir fait ce cadeau, même provisoire? Ma fenêtre est ouverte du matin au soir en ce moment. J’entends les oiseaux, parfois le miaulement des deux chats qui vont se dorer au soleil dans la cour. L’après-midi, je déplace mon lit dans les rayons de soleil sous la fenêtre, et je fais la sieste dessus. La porte arrière du troquet est fermée. Et surtout je respire, de l’oxygène. Une merveille.