Nous, enseignants, demandons des comptes sur l’abandon des familles de notre collège

Billet de blog
le 5 Juin 2020
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Des enseignants du collège Z.., Marseille, témoignent de la détresse des familles de leurs élèves durant le confinement et interpellent les autorités de tutelle de leur collège.

Nous, enseignants, demandons des comptes sur l’abandon des familles de notre collège
Nous, enseignants, demandons des comptes sur l’abandon des familles de notre collège

Nous, enseignants, demandons des comptes sur l’abandon des familles de notre collège

Lettre ouverte aux représentants des collectivités locales et aux autorités de l’Education Nationale, rédigée par un collectif d’enseignants d’un collège du centre ville de Marseille.

Etat d’urgence sociale et solidarité.

Depuis des années, nous alertons régulièrement les autorités de tutelle du collège Z.. sur la fragilité sociale d’une partie du public accueilli. Nul ne pouvait prétendre ignorer, avant cette crise, que les conditions d’existence de certains de nos élèves étaient déjà dramatiques, que certaines situations ne tenaient qu’à un fil.

Aujourd’hui, nous n’alertons plus, nous dénonçons, nous vous interpellons solennellement, et nous vous demandons de rendre des comptes.

Des comptes précis, chiffrés et sans langue de bois, aussi clairs et lisibles que ceux des associations qui ont mené en première ligne les combats de cette “guerre” contre l’isolement de familles n’ayant plus rien à manger.

La brutale décision de confinement a plongé les familles les plus précaires dans une situation inédite de total dénuement. Disparition des maigres ressources suite à perte d’emploi; fermeture de la cantine pour les enfants; fermeture des marchés populaires où les prix sont plus abordables que ceux des grandes surfaces; rupture des liens pouvant exister avec les diverses administrations, subitement injoignables.

Une partie de la population a été laissée à l’abandon par les pouvoirs publics.

Les conditions du confinement ont parfois été terribles: certains de nos élèves ont vécu dans des logements très dégradés, indignes, dans des squats, des caves, tout logement où il est impossible de préparer à manger, difficile de se laver, parfois logés dans des hôtels payés très chers par des structures étatiques (mais dormant sur des matelas à même le sol, à quatre dans une chambre, sans pouvoir rester debout dans la chambre ), ou sous la menace de marchands de sommeil qui exigent l’argent des loyers en toutes circonstances.

Depuis des années, mairie, conseil départemental, état, région, métropole… ignorent délibérément l’urgence du logement social à Marseille, au mépris de toutes les lois.

Qu’attendez-vous ? D’autres morts ? Après ceux de la rue d’Aubagne ?

Nous vous demandons de rendre des comptes.

L’urgence alimentaire et pour les produits de première nécessité (comme le savon, utile, durant une pandémie..) n’a pas plus été prise en compte.

La Ville de Marseille n’a pas été capable de coordonner une action de solidarité d’ampleur en faveur des plus précaires. Elle ne sait que communiquer a posteriori et s’autoglorifier en récupérant les actions des autres, celles des citoyens et des associations qui ont pris en charge de façon massive et inconditionnelle la solidarité dans chaque quartier de cette ville.

Le Département, chargé, paraît-il de la solidarité, n’a pas non plus réussi à montrer autre chose que son profond mépris pour ceux qui manquaient pourtant de tout.

Notre colère vient de notre expérience: nous, enseignants solidaires, avons accompagné les familles auprès des maisons de la solidarité. Ce dispositif opaque, labyrinthique, dont les informations qui nous parvenaient étaient parcellaires voire contradictoires, nous l’avons éprouvé. Nous n’avons trouvé que de la difficulté rajoutée à la difficulté des familles.

Accès téléphonique impossible ; tri des familles sur des critères inventés en fonction des personnes et invérifiables­; refus d’aider une famille sans titre de séjour; orientation systématique vers les associations du Secours Populaire et de la Croix Rouge­; demande d’un courrier préalable émanant d’un “travailleur social”­; incohérence de la réponse qui devient soudain favorable, quand un enseignant appelle suite à un refus d’aider une famille.

Pourtant, dès la veille du confinement, nous avons alerté, demandé que des colis alimentaires soient livrés en urgence au collège par le Département, en charge des cantines, pour que les familles viennent les chercher.

Sans doute un tel dispositif aurait-il été trop simple à mettre en place; sans doute aurait-il permis de soulager tous ceux qui avaient besoin d’une aide d’urgence; sans doute aurait-on vu un peu trop la solidarité en action.

Ce ne sont pas vos valeurs.

Vous avez préféré ajouter un parcours du combattant à des familles déjà épuisées et terrorisées par la menace de la maladie et de la faim.

Nous vous demandons de rendre des comptes: quelle somme représente l’aide apportée par le Département aux familles de notre collège? Combien de familles sont concernées?

La Métropole aurait quant à elle mis sur pied des distributions d’aide alimentaire, dont nous n’avons eu connaissance dans aucune communication officielle. Sans doute son représentant pourra-t-il nous donner avec précision les montants des sommes engagées, le nombre de familles ayant généreusement pu bénéficier de ces aides au collège.

L’État, représenté par le préfet, en collaboration avec le recteur, serait fortement intervenu, via le “plan pauvreté”. Au collège Z…, qui compte une majorité d’élèves boursiers, combien de familles ont-elles été concernées? Plus ou moins d’une dizaine en tout? Pour plus ou moins de cent euros par famille? Peut-on sérieusement parler d’un” plan pauvreté” dans ces conditions?

Nous avons soif de transparence.

Nous n’avons vu jusqu’à présent que saupoudrage et évitement.

Regarder la misère en face est douloureux, surtout quand elle porte le visage de nos élèves.

Nous vous demandons de rendre des comptes pour ce que vous n’avez pas fait.

Nous portons haut la voix des familles qui n’ont pas aujourd’hui l’énergie pour se faire entendre, occupées à survivre, tout simplement.

Mais demain? Le malheur, l’inquiétude permanente, la relégation sociale pourront conduire à une révolte légitime. Avec quelles conséquences?

Vous avez choisi, et vous vous êtes battus énergiquement pour cela, d’être des responsables politiques, et vous avez été irresponsables.

Vous êtes les POUVOIRS publics et vous n’avez rien fait.

Ne rajoutez pas aujourd’hui l’obscénité de votre autosatisfaction à l’irresponsabilité dont vous avez fait preuve.

Nous vous demandons de rendre des comptes.

À Marseille, le 14 mai 2020, un collectif d’enseignants d’un collège de centre ville de Marseille.

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