Ne démolissez pas Noailles !
Ne démolissez pas Noailles !
Par Joëlle Burle, architecte spécialisée en bâti ancien, docteur en histoire, patrimoine et villes méditerranéennes.
Le 5 novembre, deux immeubles marseillais s’effondrent, sous les gravats on retrouvera Simona, Fabien, Nasser, Taher, Chérif, Oulame, Marie-Emmanuelle et Julien. Le secteur est bouclé. Les immeubles contigus évacués. Très vite, dans la nuit du 8 novembre, une tractopelle abat les maisons mitoyennes. On est rue d’Aubagne, dans le quartier appelé Noailles, au cœur du centre historique de Marseille, en 2018. Comment expliquer cette catastrophe ? Comment rendre compte de l’état déplorable du centre historique marseillais ? Comment comprendre l’empressement qui a suivi pour raser les bâtiments mitoyens qui auraient pu être stabilisés ? L’évènement prend tout son loLsens quand on l’inscrit dans une série. Depuis le XIXe siècle, l’urbanisation libérale de cette ville se donne pour objectif la modernisation du centre-ville aux dépens des tissus les plus anciens. En 1843 démarre un processus de réduction de la ville historique qui, tristement, se poursuit en 2018. Démolir, effacer les marques de l’histoire, déposséder les habitants de leur passé collectif, pour mieux spéculer, pour mieux déplacer les populations que l’on préfère voir à la périphérie. Ne peut-on faire mieux ? Nul ne doute que les élus marseillais aient un amour démesuré pour cette ville, mais on est bien forcé de reconnaître une carence en culture et en histoire urbaine. Ils passent à côté de la ville ancienne, de ce morceau de ville fragile, rare et précieux pour l’art, l’histoire et la vie présente.
Conserver – réhabiliter, le seul projet soutenable
Soyons clairs démolir, évacuer, recycler les matériaux des bâtisses anciennes pour les remplacer par des constructions neuves est un non-sens en termes de développement durable. Si la réhabilitation du bâti semble plus chère qu’une construction neuve, c’est faux si on cumule au coût de la construction, le coût de la démolition et du recyclage des matériaux évacués, et cela sans même prendre en compte les dommages humains, le déplacement et le relogement des habitants. De plus, au regard de la configuration particulière du site, une reconstruction neuve en contre-bas du cours Lieutaud, exécutée selon les normes actuelles du BTP, imposerait des travaux de soutènements très onéreux si on ne veut pas prendre le risque de voir déstabiliser les bâtiments contemporains du cours Lieutaud. Il faut garder en mémoire l’effritement de la butte des Carmes dans les années 1970. La colline s’est éboulée peu à peu jusqu’à sa démolition complète. Ce morceau de ville historique est un morceau de ville vivant. On ne peut ignorer sa relation à la vie présente et le besoin de maintenir sur place sa population. Scruter ces restitutions cartographiques inédites permet de sentir aujourd’hui la ville historique qui n’est plus, une étape essentielle à la reconnaissance et la mise en valeur de ce patrimoine urbain qu’il faut apprendre à aimer. Il présente une occasion inégalée d’ouvrir un grand chantier sur la réhabilitation du bâti et faire monter en excellence les savoir-faire traditionnels locaux dans l’art de construire. Il faut procéder, le plus rapidement possible, à la mise hors d’eau des maçonneries par le remplacement et la réfection des toitures dans l’attente d’un diagnostic approfondie. Investir publiquement sur le maintien du bâti, c’est avant tout protéger le patrimoine historique de la ville, tant architectural et social. Ne démolissez pas Noailles !
1995
Le quartier de Noailles appartient à l’histoire de cette ville et au passé commun de ses habitants. Les enjeux vitaux de la question environnementale doivent placer, plus que jamais, la réhabilitation de ces édifices, du patrimoine bâti au cœur de nos préoccupations. Ce quartier appartient à l’AVAP. L’Aire de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine de Marseille doit protéger ce morceau de ville. Que cette protection soit effective, au regard des traces encore présentes de la ville du XVIIIe siècle. Elles apparaissent dans un parcellaire et un bâti qui survivent et qui méritent toute notre attention. Il faut sauver le visage de cette ville d’Ancien Régime qui tend à s’effacer.
1702
Avec l’extension de la ville voulue par Louis XIV en 1660, la cité s’étend à l’Est par le quartier de Belsunce mais également au Sud sur l’axe de l’actuelle rue de Rome. À la fin du XVIIe siècle, la rue d’Aubagne s’amorce au cours St Louis, tout près du très chic quartier du grand Cours, le cours Belsunce. Au nord de la voie, quelques rares maisons éparses sont bâties. Mais l’actuelle rue Jean Roque, appelée rue Neuve est bâtie dès 1702. Elle est la première voie habitée longeant le domaine des Capucins, en direction des nouveaux remparts. Le quartier se compose alors essentiellement de jardins et de demeures isolées, dont celle de Pierre Puget qui souhaitant s’éloigner du centre avait construit une grande demeure dans le secteur de Fongate, près de la porte du plan Saint-Michel.
1785
Au cours du XVIIIe siècle, entre 1751 et 1779, s’ouvrent les rues Chateauredon, Piscatoris (actuelle rue Armand Bédarride) et Fongate. Le cours des Citoyens, l’actuel cours Julien, est une promenade aux lisses extérieures des remparts, créé quelques années avant la révolution de 1789. L’appellation des « Citoyens » de 1785 témoigne du progrès des idées de certains hommes éclairés, sous une monarchie qui a encore le pouvoir absolu. Un clin d’œil aujourd’hui au peuple de La Plaine qui se bat pour que l’espace public s’aménage en concertation avec les habitants du quartier. Les années comprises entre 1785 et 1828 sont marquées par la Révolution et le démantèlement des domaines religieux. Les terrains et les bâtisses des Capucins (voir carte de 1702) sont intégrés au Domaine National. Le couvent est supprimé en 1791, sur son emplacement la municipalité construit une place publique et un marché en plein air, l’actuel marché des Capucins. Le couvent des Bernardines devient le siège du Musée des tableaux, de l’École des beaux-arts et de l’Académie.
1828 et 1884
Le XIXe siècle est celui des grandes opérations d’urbanisme qui vont éventrer et transformer de façon radicale les tissus anciens ; la rue Impériale, actuelle rue de la République et la rue Colbert morcellent la ville médiévale. Le quartier Noailles sera transformé par le prolongement du cours Lieutaud. Le conseil municipal vote le prolongement du cours Lieutaud en 1861. Il s’agit de créer une communication directe entre la nouvelle gare projetée au sud et le plateau St Charles afin de diminuer le charroi de la rue de Rome. La voie doit avoir une largeur minimale de vingt mètres et se prolonger jusqu’au bd du Musée, actuel boulevard Garibaldi. L’architecte Espérandieu y travaille alors sur les nouveaux locaux des Beaux-Arts et de la Bibliothèque qui seront achevés entre 1864 et 1875 et qui abritent actuellement le Conservatoire. La voie est déclarée d’utilité publique en 1863. Classée Route Impériale, sa pente ne doit pas excéder 3% de dénivelé et la topographie du site impose d’énormes dénivellements. Le prolongement du cours Lieutaud se réalise en contrebas du cours Julien avec la création de deux ponts pour rétablir les liaisons des rues d’Estelle et d’Aubagne. Mais précisons que la prolongation de cette voie, créée à la fin du XVIIIe siècle par M. Lieutaud, est à l’étude depuis 1822. On en rediscute en 1834. Un plan a même été approuvé en 1839. La lenteur de l’opération est le résultat de la participation et de la concertation des propriétaires qui tenaient à préserver leur immeuble. La voie de l’expropriation n’a jamais été envisagée. Et contrairement à la rue Impériale, actuelle rue de la République, le cours Lieutaud est un véritable travail de suture entre les nouvelles constructions du XIXe et les immeubles existants, datant pour la plupart du XVIIIe siècle.
Commentaires
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Conserver réhabiliter, le seul projet soutenable: non et non.
Faut-il tout démolir et reconstruire à neuf: non et non.
Ce sont des hommes et des femmes sans moyens que l’on condamne à vivre dans ces immeubles souvent peu confortables, dont la structure étroite sur rue étroite laisse peu passer la lumière, avec souvent des pièces aveugles en alcove, et ne permet pas de développer dans une réhabilitation immeuble par immeuble des appartements de taille diverses susceptibles d’attirer des familles dans un confort normal pour une qualité de vie. La réhabilitation immeuble par immeuble n’est ni durable ni rationnellement économique.
Le réalisme doit s’imposer: il faut ilot par ilot étudier en détail; faire l’inventaire de ce qui vaut le coup d’être conservé et réhabilité immeuble par immeuble ou préférentiellement par groupe d’immeubles mitoyens pour recomposer une diversité de types de logements. Il faut aussi savoir dans les ilôts les plus denses en occupation au sol, dégager des cours, faire entrer de la lumière . Il faut enfin pour les immeubles à reconstruire à la place d’immeubles démolis retrouver l’ordonnancement des façades et des styles dans l’esprit du lieu; c’est à un projet de conception de détail,ilot par ilot qu’il faut s’attaquer : la bonne connaissance historique sera précieuse pour accompagner et souvent guider cette oeuvre durable de mise à niveau du centre;
Ce n’est pas être barbare ou ignorant que de prôner une telle démarche.
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Merci pour le cours d’un bout d’histoire de Marseille!
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pouvezvous en dire plus survk effritement duquartier des carmes en 1970? comment etzit ce quarhier avant sa destruction reconstguction? merci
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