Mon frère, Smain
Mon frère, Smain
Pour certains il est l’imam des Bleuets, le guide spirituel qui fait – enfin faisait – les sermons du vendredi en français sur des sujets comme les mérites de la Sadaqa (aumône obligatoire) ou comment concilier sa spiritualité et son quotidien en tant que citoyen français. Pour d’autres il serait l’imam salafo-frériste antirépublicain qui a défrayé la chronique pour des histoires d’apologie du terrorisme et de misogynie mêlées à de sombres affaires de drogue.
Pour moi il est juste mon frère, Smain.
Vu le traitement médiatique de ces trois dernières semaines, notamment sur la situation de mon neveu qui a été exposée d’une manière profondément abjecte, j’aurai dorénavant cette crainte de donner à manger à des vautours qui n’attendent que le prochain prétexte pour lui tomber dessus.
Tout d’abord je précise que je n’ai jamais voulu dire que je suis sa soeur pour la seule raison que je n’ai pas envie d’être sollicitée pour savoir si fumer une cigarette c’est haram ou makrouh ou dire à quelle heure est prévu le Tarawih.
Mon entourage proche sait que mon frère est imam, qu’il s’appelle Smain et qu’il aime photographier la nature. Mes amis, ma belle-famille, mes collègues de travail, parfois des gens rencontrés ça et là… le connaissent et savent que nous partageons les mêmes croyances, mais que nous les pratiquons avec une intensité différente.
Je connaissais ses pages Facebook ou Youtube que je follow. Je regarde même souvent les vidéos qu’il y poste ou celles dans lesquelles il a pu apparaître comme celle qui pourrait être le début d’une blague « un rabbin, un imam et un curé parlent de l’OM » mais je n’avais pas idée de sa « force de frappe » IRL.
Je savais qu’il était connu et apprécié, qu’il avait un peu de visibilité mais j’avais mésestimé à quel point jusqu’à cette fermeture administrative annoncée par le préfet qui l’a rendu un peu plus célèbre.
J’ai croisé lors de la première conférence de presse des personnes qui fréquentent cette mosquée par praticité, d’autres qui y viennent parce qu’ils aiment sa manière de parler, d’aborder les sujets de société. J’ai aussi rencontré des gens qui le connaissent depuis plus longtemps. Qui l’ont connu il y a 20 ans quand il avait choisi de pratiquer un peu plus assidûment sa religion. Les débuts d’Ismail.
D’autres encore sans accointance particulière avec lui qui ont fait le trajet, par deux fois, pour lui apporter du soutien. Par simple fraternité. Voir que ces soutiens ne se limitaient pas qu’à la communauté musulmane m’a fait chaud au coeur.
Mes proches ont eux été choqués, abasourdis par la manière dont mon frère a été dépeint sur BFM, dans Le Parisien… Tous ont trouvé ce bashing très violent, en plus d’être complètement mensonger. Leur support indéfectible a été une bulle d’air dans cette ambiance asphyxiante.
J’ai eu un aperçu des méthodes peu scrupuleuses qui peuvent être employées pour appâter un public friand d’histoires de barbus à éliminer du paysage français. On aura été jusqu’à parler du montant des allocations qu’il percevrait pour son grand appartement dans le centre-ville (spoiler : c’est pas 2000 euros, même quand on a sept enfants à nourrir).
Une trentaine d’années à peine séparent cette feuille rédigée en juillet 89 sur une famille d’origine algérienne bien assimilée qui partage un couscous avec feu Mr Vigouroux alors maire de Marseille, et ce reportage dans un journal catholique sur un imam qui a organisé dans sa mosquée une rencontre avec un rabbin au lendemain des attaques du 7 octobre.
J’ai vu que mon compte LinkedIn était un peu plus visité que d’habitude. Pas de quoi devenir parano mais suffisamment pour comprendre qu’on a fait le rapprochement avec moi et que désormais l’image du dangereux séparatiste colle à notre nom de famille.
Je suis inquiète que les voix des imams marseillais ou d’ailleurs en France, des élus et acteurs de la vie locale qui connaissent son investissement soient si peu entendues. Par peur… mais de quoi au juste ?
Selon moi l’islamophobie n’est qu’un moyen acceptable et décomplexé de taper sur les noirs et les arabes. Mon grand-père a connu le code de l’indigénat, mon père les ratonnades de 1973, à notre tour nous payons. Serons-nous un jour enfin considérés pour ce que nous sommes, à savoir marseillais ?
Dans une période qui a rarement été aussi trouble que celle que nous traversons, le mot d’ordre devrait être d’appeler à l’apaisement. Nous paierons tous cette dédiabolisation des idées de l’extrême-droite et du danger qu’elles représentent pour l’ensemble des citoyens, pas uniquement ceux de la communauté musulmane.
Je suis extrêmement reconnaissante pour toutes ces fois où j’ai eu besoin de mon frère et qu’il a toujours répondu présent. Ces dernières années, ces dernières semaines.
Maintenant on sait un peu plus qui il est, et moi aussi.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.