Mes châteaux d’If: Surveiller ou peindre à Tanger.
Mes châteaux d’If: Surveiller ou peindre à Tanger.
Tudieu, je suis carrément à la bourre ce vendredi et je croule sous les bandes dessinées sorties en janvier. Avec ce grand soleil sur Marseille, c’est un peu difficile de se poser devant l’ordinateur pour composer, d’autant que Zulma vient de m’envoyer « L’ Âge d’or du capitalisme de surveillance » de Shoshana Zuboff qui sort en poche. Un livre manifeste sur ce démoniaque internet qui retrace toute l’histoire de Google et consorts. C ‘est surtout un livre qui te convainc d’une chose qu’on avait peine à imaginer il y a vingt ans : La collecte de données humaines sans aucun encadrement ; c’est à dire que toutes les informations que tu donnes par ton smartphone sont disséquées, utilisées et vendues. On a rien sans rien, diras-tu ! La nature humaine comme matériau, il fallait y penser. Et ce matériau est une nouvelle marchandise . Comment le surplus comportemental est devenue une valeur et a trouvé un cycle de réinvestissement. Zuboff montre comment tout cela s’est élaboré de manière cachée. Les employés de Google étaient priés de ne pas parler de ce programme. Aujourd’hui que tu es prisonnier, consentant par moment, de tes applications, tu ne peux plus vraiment t’en libérer. Sauf à fuir dans une roulotte dans le Limousin et faire l école au tipi, essaie de vivre sans mot de passe, ni portable, hein ? Doctolib, Pronote, Insta, Revolution permanente, Dezzer, Banxo, Oui sncf, Navigo, couplé désormais avec tes offres culturelles, tu ne comptes plus les applications qui facilitent la vie, paraît-il. ( une erreur s ‘est glissée dans la liste, sauras-tu la trouver?)
Et toutes ces applications tendent à se relier pour ton plus grand bonheur et ton immense liberté. La seconde étape de cette colonisation virtuelle fut l’accoutumance à Facebook et à toutes sortes de réseaux sociaux. Tenez, Amazon avec ses « conversations », elles effondrent vos résistances, et vous devenez un acheteur compulsif dans un Eden commercial. Vos paroles deviennent des comportements analysés a leur tour. Le PDG de Google, Sundar Pichai disait : « Nous voulons vous aider à faire ce que vous avez à faire dans votre monde réel et nous voulons le faire à votre place » Trop cool, non ? Saviez vous que Microsoft avait aménagé de faux appartements dans des villes du monde entier pour enregistrer des volontaires. Pour capter des flux de paroles. La smart TV de Samsung était tellement smart qu’elle enregistrait tout ce qui se disait à proximité de la télévision, pour ton bien, bien sur. Dés 2018, Amazon a signé des contrats dans le BTP pour installer ces enceintes DOT dans les plafonds de toutes les pièces. Des données sont ainsi acquises sur les gens sans leur consentement. Grace à Alexa et Echo, ces interfaces, on rentre dans un capitalisme de surveillance encore plus agressif, indique S. Zuboff. Son livre de 800 pages est un tantinet long mais très complet sur ce changement dans le capitalisme.
Si on a moins de temps ou un tennis à 17h, on pourra se référer au livre de Cédric Durand Techno-féodalisme paru chez Zones en 2020 pour une version light et marxiste de ses thèses. Le gars, économiste cheveyrand, explique comment les plateformes deviennent des fiefs d’où partent des boucles de rétroaction dont deviennent sujets les utilisateurs. Ceux la nourrissent ainsi eux mêmes leurs propres peurs en envoyant des messages anxiogènes.
Il montre comment des citadelles comme la Chine dicte ce message : « La confiance perdue quelque part sera partout limitée. » Les personnes discréditées socialement, par exemple si elles ne paient leurs amendes, se trouvent privées de toute sorte de déplacements. On comprend a posteriori comment cette idée s’est étendu sous le covid à nombre de pays. Le crédit social est arrivé en France sous la forme du pass sanitaire et vaccinal. Un mauvais comportement est sanctionné par des restrictions : interdit de se rendre au restaurant, à l’hôpital, au cinéma, pour les non vaccinés.
Le monde est beaaaauu, comme le claironne ma vendeuse de limonade sur les plages de Marseille.
Aussi, pour échapper à tout cela, il y a heureusement Tanger sous la pluie, une belle bande dessinée sur le peintre Matisse parti pour le soleil du Maroc et sa fameuse lumière chère à Delacroix. Matisse déchante et se trouve aux prises avec le mauvais temps. Il va y découvrir Zohra, une prostituée qu’il peint au grand hôtel de la ville, le Villa de France. Zohra l’envoûte pendant les séances de peinture avec un conte qui se déroule à Bagdad. Le dessin est beau, les couleurs agréables en cette année 1912, deux années avant que ne s’abattent sur l ‘Europe la bêtise et l’emballement guerrier de la grande guerre. Les réflexions du peintre nous apprennent sa souffrance. Il parle seul dans sa chambre à Cézanne son maître : « Je ne sais pas si vous avez connu ce terribles moments de doute vous aussi. Quels efforts monstrueux on doit sans cesse déployer…comme c’est pénible de peindre » A qui le dis-tu ? Et d’écrire parfois quand il fait si beau à Marseille en janvier.
Tanger sous la pluie. Fabien Grolleau. Abdel de Bruxelles. Dargaud, 2022, 21 euros.
L’ Age d’or du capitalisme de surveillance. Shoshana Zuboff. Zulma, En poche, 2022. 13,50 Euros.
Techno-féodalisme, Cédric Durand, Zones, 2020, 18 euros.
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