Mes châteaux d’If: Histoire populaire de la rue d’Aubagne.

Billet de blog
le 17 Nov 2024
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Mes châteaux d’If: Histoire populaire de la rue d’Aubagne.
Mes châteaux d’If: Histoire populaire de la rue d’Aubagne.

Mes châteaux d’If: Histoire populaire de la rue d’Aubagne.

Le procès se déroule à la caserne du Muy. (3eme arrondissement de Marseille) depuis le 7 novembre et pour six semaines.

Le jeudi 14 novembre 2024, je me rends au tribunal Hors norme du procès de la rue d’Aubagne. Le tribunal présidé par le juge Gand a décidé de joindre dans la même procédure plusieurs personnes accusées par les parties civiles. Cela en même temps que Marseille Habitat, la société para municipale qui a durant des années employé l’argent public à ne rien faire pour l’habitat dégradé, ou le cabinet Liautard, un syndic de copropriétés, qui a empoché durant des années des honoraires sans rarement faire son travail de syndic.

Devant les juges ce matin sont auditionnés deux experts, F. Bardot et F.Barbet, entendus sur le bouffement, mot préféré ces derniers jours, du mur du 65 rue d’Aubagne. Ils reviennent sur les sols calcaire et argile après qu’on ait entendu les explications de deux autres experts du bâti, Fabrice Mazaud et Henri de Lepinay, des tronches dans leur domaine. On les comprend très bien tant ils sont à l’aise dans leur domaine. Une avocate de la défense tente depuis 9 h de semer le doute sur l’état du bâtiment. Son objectif: montrer que les pluies excédentaires de l’année 2018 ont pu provoquer après une année de sécheresse l’affaissement du bâtiment. On cherche même un ruisseau qui passerait dans la colline. On trouve un thalweg mais pas le chemin pour noyer les habitants dans ce galimatias.

Les experts architectes et ingénieurs expliquent patiemment que malgré les pluies récentes, “C’est trop court…on a rien pour démontrer que l’eau irait directement vers les immeubles.” La défense contre attaque avec des schémas et extrapole autour du mur mitoyen. Il s’agit pour chaque défenseur de renvoyer la pluie vers les autres, voir de se défausser de ses responsabilités.

Un avocat du cabinet Liautard se demande comment on peut se fonder pour savoir qui dit vrai. “Entre vous et l’étude Sol Essais...” L’avocat de Marseille Habitat se lance: ” Entre le 63 et le 65, on est relié par des boutisses.” Les boutisses sont des pierres dans les murs qui alternent avec les panneresses. La pierre lancée dans l’œil du voisin tombe encore à l’eau.

On cherche son chemin. Seule certitude pour l’instant: La présence d’eau dans les caves. On verra plus tard qu’au rez de chaussée, c’est la présence de pisse. La porte de l’immeuble ne ferme pas.

Les experts Mazaud et de Lepinay vont à rebours de ce que le péquin moyen croit de la construction. Il ne serait pas sans conséquence de détruire des murs soi disant non porteurs dans un appartement, rajouter du poids, mezzanines, salles de bain et surtout tout caler avec du béton rigide. Ils insistent sur les forces des matériaux, sur le vivant au cœur des matériaux anciens, faits de pierres, terres et autres ingrédients trouvés sur place. Le mortier racontent-ils, sert à disperser les forces à l’œuvre. “Le travers moderne c’est la rigidité. Dans l’ancien la terre est le seul liant.

 

Le lendemain, le 15, le tribunal, les journalistes, ceux de La Marseillaise, La Provence, Marsactu, Libé, le Monde et l’ AFP tout au moins, les avocats et le public écoutent les témoignages des familles. Je les cite car c’est eux qui vont vous raconter avec leurs mots ce qui se dit au tribunal. David Coquille de la Marseillaise insiste sur l’absence de Julien Ruas, l’adjoint chargé des risques et de la prévention à la Mairie, par exemple. Luc Leroux du Monde doit parler à un public qui lit le drame dans toute la France mais qui ne vit pas forcément à Marseille. Dans certains médias, on parle de 78 parties civiles et de 12 prévenus, d’autres n’en comptent que 11 soit 9 personnes et deux sociétés de plus qu’à l’instruction initiale. Jean françois Valentin, gestionnaire de Liautard ou Christian Gil de Marseille Habitat ne s’attendaient pas forcément à être jugés.

Du coté propriétaire c’est la douche froide pour Xavier Cachard, ex-vice président du Conseil Régional, un proche de Renaud Muselier. Dans son livre Le Système Guerini Renaud Muselier écrit: ” Parmi eux, le sénateur maire Bruno Gilles et maître Xavier Cachard, qui sont mes plus fidèles partenaires de combat depuis de nombreuses années.” Maitre Cachard surnommé le Pianiste était alors à la tête du comité des étudiants en droit, traduction: chef des fachos. Renaud Muselier n’hésite pas à défendre son bilan à Marseille: ” L’habitat a été rénové” (p58 du Systéme Guerini.)

Xavier Cachard, propriétaire et avocat du syndic Liautard “a tenté de jouer la montre” d’après l’instruction. Il déclarait ” En tant que propriétaires, on nous traite d’assassins. mais un propriétaire n’est pas responsable des parties communes.” On lira en regard le texte de Noureddine Abouakil dans la revue Vacarme sur les techniques utilisés par la Mairie pour vider les immeubles de ses occupants.

Dans la revue Vacarme89-chantier-BLD-02, on lit Claude Valette, adjoint au maire Jean Claude Gaudin qui explique: ” Le Marseille populaire, ce n’est pas le Marseille maghrébin, ce n’est pas le Marseille comorien. Le centre a été envahi par la population étrangère, les Marseillais sont partis. moi je rénove, je lutte contre les marchands de sommeil et je fais revenir des habitants qui payent des impôts.” (cité par Bruno Le Dantec) Combien de mensonges au mètre?

 

Les familles et voisins racontent à la barre qui étaient Simona ou Fabien, deux des huit victimes directes de l’effondrement.

On pourrait se demander à quoi ces récits servent-ils? Ils racontent qui sont les gens qui vont mourir dans un quartier moyenâgeux et pauvre du 20éme siècle géré par des margoulins. Ils vont raconter ce que les riches font aux pauvres depuis qu’ils possèdent des immeubles, des propriétés ou des terres.

Sur les écrans apparait Simona, sourire au lèvres, en robe d’été. Vous lirez dans les journaux qu’elle vient de Tarante en Italie. Qu’elle est partie de Paris et qu’elle a trouvé à Marseille une ville accueillante, “Elle s’est sentie chez elle” raconte ses parents à la barre. Son père, chevaux blancs les mains dans le dos, s’exprime beaucoup: ” Elle disait, tu rencontres des gens qui te disent bonjour, le soleil et la mer…” Simona va reprendre des études avec Intermade, une couveuse d’activité et préparait un Master économie sociale et solidaire.

MEFIEZ VOUS DES APPARTEMENTS MIGNONS.

Ses parents racontent un logement qui les effrayait. “Choqué par le logement, intérieur très neuf, un vrai contraste entre l’extérieur et l’intérieur” Des photos montrent quelque chose de coquet au troisième étage coté cour. Son père raconte une visite à sa fille et continue: “ Dans ma chambre les carreaux se cassaient, je l’ai vu tout de suite.” Pas de lumière d’escalier , un escalier qui penchait, une porte démontée. Ne croyez pas qu’il s’agit du seul immeuble de la ville. 4000 autres seront évacués après novembre 2018. Il y en a pléthore des immeubles fantasques comme ceux ci. Les propriétaires comme l’avait documenté David Coquille, suite à Balance ton taudis dans la Marseillaise, sont de toutes sortes, malfrats multi propriétaires couverts par leur syndic, petits vieux avares, et autres variétés d’investisseurs. Il y a même des propriétaires fauchés.  Du taudis au Airbnb comme dirait l’écrivain Victor Collet. Ici un article qu’il publie sur le site de Lundi Matin.

Chez Simona, il y a un espace sous la porte si grand qu’on peut y passer la main. Ses parents qui ont tous les deux travaillé dans le secteur de la sécurité, notamment du bâtiment pour son père, la supplie de partir. Elle même entreprend des démarches attestés par des SMS avec son amie Anissa. La visite de sécurité de Richard Carta, si elle l’a rassuré ne l’empêche pas de vouloir partir. Le 18 octobre 2018, ils sont pourtant évacués par les pompiers. Ce jour là elle n’était pas sortie de son logement.

Encore en octobre 2018, sa propriétaire lui demande de ne pas se doucher. La proximité avec des fils électriques devient dangereuse. “Des gouttes d’eau coulent du plafond” Elle ira se doucher chez Sophie au 5 étage qui, elle a échappé miraculeusement au drame. Simona, elle craint de rester enfermée.

LES ÉCORCHES DE LA VIE.

A la reprise de séance, Léo, 26 ans, orphelin de ses deux parents dont l’un, Fabien, est mort dans son appartemment vient parler de son père, Fabien Lavielle. On projette des photos de Fabien tout sourire, tee shirt du Massilia Sound System, photo avec Gari Greu. Fabien trop gentil, trop malade, usé par l’amiante et qui fera mille boulots, mille misères sera aussi serveur à la Plaine. Léo perd sa mère Dominique à ses 8 ans, quelques temps après la séparation de ses parents. Son père malade, presque mourant, mais “tout sourire le point levé“. Un libertaire aimant la musique et les arts. Léo ne connaissait l’appartement que le jour de l’emménagement mais était stressé que son père demeure ici.

Fabien devait se rendre à un rendez vous le matin du 5 novembre avec son propriétaire. Il appelle sa mère pour lui dire qu’il ne peut plus sortir de son appartement, lui aussi au troisième étage mais coté rue d’Aubagne. Fabien était de l’assemblée de la Plaine qui se battait contre la montée en gamme de la Place et la gabegie financière préparée par la Mairie. ( Pujol. La chute du Monstre.) Il ne sortira pas vivant de l’immeuble.

 

La rue d’Aubagne témoigne de son coté populaire lors de ce procès. L’historien Vincent Quivy y revient. On l’écoutera interrogé par David Haccoun sur Radio Galère dans l’Emission Voix Marseillaises. Ils remontent la rue d’Aubagne depuis le 18ème siècle à partir de la quincaillerie Empereur en passant par la maison de naissance d’ Alexandre Marius Jacob. l’anarchiste cambrioleur dont la troupe Manifesten Rien a fait une piéce.  Le bar Frédéric fréquenté par les anarchistes dont Louise Michel se situait aussi rue d’Aubagne. Les défenseurs de la République, tels Gaston Crémieux, martyr de la Commune, venait au café Bernard au numéro 41. Une rue d’Aubagne populaire, politique et qui change à partir des effondrements.

A bientôt pour la suite.

Vincent Quivy auteur de “Rue d’Aubagne Marseille, quand l’histoire d’une rue raconte la France” aux éditions du Rocher.

Renaud Muselier. Le système Guerini. Jean claude Lattés; 2011

Victor Collet. Du taudis au Airbnb. Agone 2024

Philippe Pujol. La chute du monstre. Seuil. 2019.

Bruno Le Dantec. Vacarme. Habiter Marseille. Marseille en guerre et La Ville sans nom. Éditions du Chien Rouge, Édition actualisée. 2024.

 

Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Très intéressant et bien écrit, merci !

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Oui, merci pour ce récit. Merci également pour la bibliographie.

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