[Mes châteaux d’If] Chauffe Marcel
Christophe Goby a longtemps écrit pour la revue Silence, le mensuel CQFD, il collabore aujourd'hui au Monde Diplomatique aux pages livres. Il tient ici une chronique littéraire qui embrasse le monde dans toute sa diversité. Comment aborder le changement dramatique du climat ? En deux bandes dessinées et un documentaire sur d’habiles profiteurs du système.
Le château d'If (Crédit : Milena/Flickr)
“Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles”, disait Xavier Bertrand en octobre en parlant de Marseille et de la rue d’Aubagne où son propre parti a brillé, comme chacun sait. Emmanuel Reuzé n’a pas réfléchi et lui a répondu comme Guy Bedos : “Faut pas prendre les cons pour des gens”. Ce troisième tome, sur la même lancée que les précédents promet un gros succès éditorial : ça veut dire que Fluide Glacial va en vendre beaucoup. Les quatre scénaristes exploitent les failles du système occidental. Le harcèlement publicitaire, la génétique prédictive pour les enfants, le gigot connecté ou la poubelle intelligente, voilà une liste non exhaustive des sujets traités jusqu’au paroxysme. On trouve aussi un horodateur sur lequel il faut entrer sa durée de stationnement, sa carte grise, son numéro de permis de conduire ou son rib. Toute la bureaucratie qui résume cette société du contrôle généralisé. À force de supprimer des postes dans l’éducation nationale, on organise des cours dans le stade de France, le loyer des étudiantes se règle en “faveurs sexuelles” mais avec l’aide de la CAF. Pousser le curseur au maximum pour révéler l’horreur du système. Un système qui nous veut du bien et que la majorité souhaite. Drôle jusqu’au rire nerveux, mais ô combien dramatique sur un graphisme volontairement figé.
De l’autre côté du ring, l’album Le monde sans fin de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovi est un cours de haut vol sur l’énergie. Des chiffres, des stats, des graphiques qu’on avale heureusement grâce au dessin de Blain qui essaye, sans y parvenir, à nous faire rire. Les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique sont au cœur de ce réacteur qu’est Jancovici. Le polytechnicien maîtrise son sujet et connaît sur le bout des doigts la production de bois en 1860, la mortalité en rapport avec les cancers, jongle avec des chiffres et des comparaisons entre les niveaux de vie, il explore les flux, nous sort quelques lois humaines qu’il estime intangible.
“…C’est comme si chaque terrien avait, à peu près, 200 esclaves qui bossaient pour lui en permanence”. À ceci prés que certains humains gaspillent le travail de milliers d’autres, et que des millions sont esclaves du système qui les a appauvris. Instructif, on y apprend le coût de chaque énergie, ce que coûte dans notre monde, équipé de véhicules individuels, le pétrole ou l’électricité. Qu’est-ce que représente l’énergie d’un passage d’aspirateur ? 10 cyclistes ! Jancovici met le doigt sur les fausses solutions comme l’éolien ou le solaire. Il néglige le solaire thermique, et non pas photovoltaïque qui n’est pas développé et doucement on comprend qu’il veut démontrer que le nucléaire est la solution la plus acceptable en terme d’énergie.
Blain lui rappelle Tchernobyl, Jancovici parle des erreurs des équipes soviétiques, Fukushima ? Un malheureux Tsunami. Mais quid des accidents de Three Mile Island, de Winscale, de l’ensemble des fuites en France, des mensonges des nucléocrates ? L’auteur s’appuie sur les rapports de l’UNSCEAR et ces braves nucléocrates affirment qu’on ne peut conclure à une augmentation des cancers de la thyroïde, ni en Europe, ni au Japon. Jancovici déplore le choix émotionnel des Allemands qui sont passés au charbon en couplant leur bouquet énergétique avec les ENR. Il propose ces énergies non carbonées avec du nucléaire, mais regrette que pour parvenir à suivre la demande, il faille une éolienne tous les kilomètres. Les installations solaires occupent des terres agricoles désormais. “Une centrale solaire d’1 GW doit couvrir 1000 hectares”. Mais pourquoi Jancovici ne parle pas de l’ensemble des toitures capables d’accueillir du solaire ? Résultat, il prône les surgénérateurs qui seraient capables de produire bien plus d’énergie avec le même uranium. Là encore combien coûtent ces recherches qui durent depuis des années ? Rien là-dessus et sur les milliards accordés au projet ITER à Cadarache ou aux projets EPR. La question du coût des déchets n’est pas non plus abordée. C’est simple, il y a Bure.
Si l’on excepte ce gros morceau, les idées de Jancovici semblent raisonnables : diminuer la voiture individuelle, réduire les transports dont on s’aperçoit que l’empreinte carbone la plus élevée est produite par les riches, soit dit en passant. Mais jamais Le monde sans fin ne relève les inégalités mondiales à leur juste mesure.
Il y a plein de choses qu’on te présente comme des améliorations environnementales et qui ont été créées pour des raisons tout autres.
Les entreprises se préoccupent-elles d’environnement ? Un dessin avec un industriel devant une usine répond : “Nous avons des ruches sur le toit et les gobelets à la cantine sont recyclables. Et nos collaborateurs viennent une fois par an en vélo”, voilà peut-être la mesure de ce que chacun à son échelle réalise pour stopper le désastre. “Il y a plein de choses qu’on te présente comme des améliorations environnementales et qui ont été créées pour des raisons tout autres.”, explique-t-il en parlant de l’écoulement du gaz de pétrole liquéfié. En somme, soit nous laissons la famine et la maladie s’occuper de réguler une population toujours plus avide de biens et de transports, soit nous parvenons à organiser la sobriété. Prenez les 45 millions de tonnes de pétrole utilisées en France par an, 60% sont pour la voiture individuelle, 10% pour les avions, 17% pour les camions et 18% les utilitaires. À nous de jouer et Jancovici semble proposer un doublement du réseau ferroviaire français plutôt que de subventionner l’éolien et le solaire. Bref si l’État français le voulait, il faudrait remettre toutes les petites lignes de chemin de fer sur les rails. Précisons que le billet TER est subventionné à 75 % par nos impôts avant achat. À cela il faudrait ajouter le télétravail, le covoiturage, le bus et le vélo électrique qui malgré son besoin de batterie produit 100 fois moins d”émissions que pour une bagnole. Rappel : Il existe aussi le vélo sans batterie et la marche à pied.
Christophe Blain illustre à merveille les propos de notre ingénieur, mais on le préférait quand il dessinait Viva Maria dans Blueberry. Ça faisait moins flipper ! Car tout couillon qu’on est, on se culpabilise sans trop se demander si les plus riches ne brulent pas toujours plus vite les ressources de la planète.
Arnaqueurs
Les rois de l’arnaque, eux, n’ont pas l’ombre d’un scrupule. Mardoché Mouly dit Marco l’élégant et sa fabuleuse équipe de pieds nickelés n’ont pas hésité à trafiquer sur le marché des quotas d’émissions de CO2 mis en place après le protocole de Kyoto. Marco, arrivait à embrouiller les banques. Le gars de Belleville racontait déjà des histoires pour dégager du flouze. Sa rencontre avec Gregory Zaoui dit le cerveau l’a décidé à attaquer le marché de l’écologie. Ce droit à polluer démarré sur la bourse Bluenext en 2005 va être leur poule aux œufs d’or. Les deux lascars s’associent avec quelques filous comme Arnaud Mimran, trader et ex-époux d’Anna Dray, fille du milliardaire assassiné. En quelques années, en ne payant pas la TVA et en transférant leurs avoirs dans des paradis fiscaux, ils vont amasser des millions qu’ils vont craquer de Paris à Las Vegas. Ce documentaire hilarant et troublant de Guillaume Nicloux relativise nos efforts dérisoires pour l’écologie.
Courrier International a sorti un Hors série sur le réchauffement climatique en septembre-octobre. On pourra s’y référer pour la catastrophe en cours. Fin des forets, fin de l’eau, fin du monde… tout y est. Le Monde Diplomatique de novembre y ajoute son grain de sable sur la COP 26 et sur la question du nucléaire si chère à Jancovici. Nous accumulons du retard et les ventes de SUV ne semblent pas démentir cette envie folle d’en finir.
Les Rois de l’Arnaque, documentaire de Guillaume Nicloux sur Netflix.
Faut pas prendre les cons pour des gens, Reuzé. Bernstein, Haudiquet et Rouhaud. Fluide Glacial. 2021. 12,90 euros.
Le monde sans fin, Christophe Blain/Jean Marc Jancovici. Dargaud, 2021, 27 euros.
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