MARSEILLE ET BETHLÉEM : LE SENS D’UN JUMELAGE
Le maire de Marseille a annoncé le jumelage de Marseille avec Bethléem, en Palestine. Il s’agit de l’initiative de soutien à la Palestine qu’il avait annoncée ces jours derniers.
Le jumelage de deux villes
Que veut dire le jumelage de deux villes ? Deux villes situées dans deux pays différents décident d’établir des liens entre elles. Ces liens sont, bien sûr, d’abord, culturels, mais si tout se passe bien, ils peuvent s’inscrire dans d’autres domaines, notamment dans le domaine politique et dans le domaine économique. En s’associant, ainsi, les villes dites « jumelles » acquièrent plus de force et peuvent jouer dans l’espace public international un rôle qu’elles ne sont pas, a priori, destinées à jouer. En se « jumelant », des villes deviennent des acteurs de leurs pays en établissant des échanges entre elles qui permettent des échanges entre les pays. Sans doute faut-il ajouter que ces liens entre deux villes de pays différents font apparaître en quoi elles sont « jumelles », c’est-à-dire en quoi elles ont les mêmes orientations, les mêmes activités, les mêmes conceptions de la vie urbaine. Les villes jumelées se révèlent un peu, en quelque sorte, l’une à l’autre des aspects nouveaux d’une identité qu’elles partagent.
Marseille et la Palestine
L’initiative de ce rapprochement entre Marseille et de Bethléem n’a pas lieu n’importe quand. Il s’agit de susciter un mouvement d’échanges et de liens entre une ville française et une ville palestinienne, au moment de la guerre, mais cette initiative est possible, parce que Marseille et la Palestine sont proches à bien des égards. D’abord, Marseille est habitée par de nombreux juifs et par de nombreux arabes qui font de la ville un espace d’échange entre ces cultures et de dialogue entre ces populations. Marseille partage avec la Palestine cette multiplicité de liens à la fois politiques et culturels, unissant des juifs et des arabes, des populations issues d’Europe, du Proche-Orient et d’Afrique du Nord, des habitantes et des habitants partagent, ainsi, une identité commune : celle de la Méditerranée. Le lien essentiel entre Marseille et la Palestine est là, entre la ville et la mer. Après tout, les fondateurs de Marseille venus de Phocée auraient tout aussi pu être venus de Palestine, cela n’aurait pas changé grand-chose au destin de la ville et à ce qu’elle est devenue.
Qui est Bethléem ?
Bethléem est le lieu mythique d’où, paraît-il, est issue la famille de David, un des premiers rois d’Israël. C’est aussi là que Jésus serait né il y aurait 2025 années, dans une « crèche ». Bethléem est, ainsi, une ville où se mêlent, en se retrouvant, plusieurs cultures, plusieurs pays, qui partagent une histoire commune. Située en Palestine, elle est habitée aujourd’hui par des palestiniens musulmans, mais y vivent aussi des chrétiens palestiniens, qui sont une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde. C’est ainsi que ces deux histoires, l’histoire juive et l’histoire chrétienne, se réunissent à l’histoire musulmane (David porte le nom de Daoud dans l’histoire de l’islam). L’importance de Bethléem est qu’il s’agit, ainsi, d’un lieu de rencontre. Mais il s’agit aussi d’un lieu de migrance : quand ils trouvent ce qui deviendra la crèche où naîtra Jésus, Joseph et Marie sont en voyage, ce sont des migrants. Bethléem est ainsi un lieu dans lequel des voyageurs se découvrent et se parlent, construisant une identité fondée sur de la rencontre. C’est pourquoi le passé mythique de Bethléem est proche de celui de Marseille, également ville de rencontre, ce qui donne du sens au projet de jumelage imaginée par les deux municipalités.
Marseille et Bethléem
Même si l’une est une grande ville où vit une importante population et où elle a de nombreuses activités et l’autre une petite ville, Marseille et Bethléem sont des villes proches l’une de l’autre sur le plan de la culture. Ces deux villes sont des villes dans lesquelles s’est construite une économie du voyage sur laquelle elles se fondent. Si celle de Marseille est une économie du voyage commercial et Bethléem une économie du voyage de tourisme et de pèlerinage, ces deux villes sont des lieux du voyage, du marché, de l’échange. L’histoire et le mythe de la fondation de ces villes sont aussi fondés sur du voyage : c’est en venant d’ailleurs que des grecs de Phocée ont fondé la ville, et c’est en venant d’ailleurs et en cherchant un endroit où passer une nuit de voyage que les parents de Jésus vont donner naissance au mythe fondateur de Bethléem. Mais, dans le même temps, ne nous trompons pas : cette figure du voyage dans les deux villes fait d’elles des villes qui échappent aux pouvoirs établis dans leurs pays. Marseille sera toujours un lieu de contestation du pouvoir central, tandis que le personnage assez connu qui naît à Bethléem conteste le pouvoir établi par les porteurs de la loi. C’est ensuite, et le personnage de Jésus n’y est pour rien, que les chrétiens construiront une culture de l’ordre et de la normalité.
Marseille et la géopolitique
En s’associant ainsi à Bethléem, Marseille entend manifester son rôle de toujours dans la géopolitique. Il ne s’agit pas seulement de partager l’histoire et la culture, il s’agit bien, par ce jumelage, de contribuer à l’établissement de dialogues et d’échanges entre une ville située en France et une ville située en Palestine, c’est-à-dire au croisement de la culture juive et de la culture arabe, aujourd’hui au cœur du conflit. De cette manière, il s’agit de contribuer à ce que le monde en finisse avec les guerres, à ce que le Proche-Orient et la Palestine cessent de ne vivre que dans la guerre comme depuis 1948. Mais ce jumelage pourra permettre de mieux comprendre la dimension internationale – ou transnationale – des villes et de l’urbanité. Dans un pays, on peut dire qu’un ensemble d’habitantes et d’habitants devient une ville quand ils instaurent entre eux des relations d’échange, et, surtout, quand ils accueillent des voyageurs venus d’ailleurs qui pourront, à leur tour, s’y installer. Ce jumelage nous rappelle le rôle des villes dans les réseaux d’échanges et de relations qui forment la mondialité et qui fondent la géopolitique, la ville, la polis, à l’échelle du monde, de la terre, gè, dit-on en grec. Lieu majeur de la géopolitique parce que s’y rencontrent des voyageurs, des marins, des commerçants et des habitants venus de tous les lieux du monde, Marseille noue ainsi un lien avec Bethléem, lieu où des voyageurs venus d’ailleurs rencontrent des habitants de la ville, et, en donnant naissance à un juif imaginant le christianisme, est à l’origine de ce qui sera une entreprise majeure de la géopolitique, à laquelle contribue Marseille.
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