Marseille 2050 : la ville affranchie
Après 25 ans de court-termisme, que pourrait être un projet politique de long terme pour Marseille ? Comment ouvrir de nouveau nos imaginaires ? Dans un contexte de recomposition mondiale de nos relations à la Terre, à quoi pourrait bien ressembler la ville en 2050 ?
En 2050, le monde aura changé. On comptera probablement au moins 2 degrés en plus. On se sera depuis longtemps engagé dans une importante descente énergétique. L’économie sera redevenue circulaire. Les sols dans leur épaisseur seront des ressources sanctuarisées. Nos villes auront retrouvé une grande autonomie alimentaire. Faute de sable, le béton sera obsolète : les nouvelles constructions seront donc rares, au profit des réhabilitations. Les cours d’eau et les rivières urbaines, et leurs bordures ombragées, auront été restaurées. Les voitures auront disparu de la ville, en dehors de celles à usage collectif. À partir de ce nouveau contexte écologique, voici 5 propositions pour penser Marseille à l’horizon 2050.
1) Commençons avec l’eau, une structure urbaine aujourd’hui oubliée, mais fondamentale. Bien que très coûteuse, la réalisation d’un réseau d’eaux usées séparatif est une priorité en termes de salubrité publique. Il s’agit de collecter séparément égout pluvial et sanitaire – ce qui permet notamment que les eaux de pluie puissent retourner à la mer sans avoir été salies puis coûteusement et imparfaitement nettoyées.
Pour se protéger de la chaleur (en bannissant la climatisation trop gourmande en énergie), on retrouve la solution des anciens, qui passe par la mise en eau de la ville, à travers un système sophistiqué de rigoles issues du canal de Marseille. L’eau coule, clapote et s’évapore, favorise les végétaux, permet de faire pousser de grands arbres : tout cela rafraîchit, apaise et embellit la ville, pour les plus riches comme les moins riches.
2) La disparition progressive de la voiture individuelle s’accompagne du rapprochement de l’habitat et du travail, et renforce donc la mixité urbaine. Pour les besoins de transports restant, on dispose de voies pénétrantes apaisées en mode doux (45 mn de vélo entre Aubagne et Marseille). La création de nouveaux tramways étant très onéreuse, on favorise la création d’un réseau très dense de bus locaux en site propres dans toute la ville. À l’échelle du département, un réseau dense de bus express, avec une grosse cadence entre les villes d’Aix, Vitrolles-Marignane, Marseille et Aubagne, qui forment une tache urbaine quasi continue.
La quasi-disparition des voitures en ville permet aussi une désimperméabilisation des sols (terre battue, pavés montés sur sable…), réduisant les risques d’inondations, et la libération de nombreux espaces pour le jardinage. Cela permet aussi la disparition des « laveuses-décapeuses des sols à eau chaude à haute pression » (210 000 € l’unité).
3) Marseille redevient une huerta, un jardin nourricier au sein d’un département ayant quasiment retrouvé son autonomie alimentaire. On distingue 2 échelles dans le projet agricole. Au niveau municipal d’abord, on développe des jardins nourriciers, des potagers, des plantes comestibles, non seulement dans les espaces privés et publics favorables, mais jusque sur les balcons. Le bénéfice est à la fois alimentaire, culturel et social ; on vit de nouveau avec la saisonnalité. Cela va avec la mixité urbaine et la présence de l’eau. On créera des fours à pain publics dans les 111 quartiers de Marseille. On note la présence d’animaux dans la ville – des chèvres et des moutons pâturant dans des espaces que l’on conserve en friche ; des ânes et des chevaux pour le ramassage des ordures ; des poules chez les gens qui ont des jardins, pour les œufs et la réduction des déchets domestiques.
Par ailleurs, à l’échelle du département, qui est quasi-autonome sur le plan alimentaire, de véritables espaces de production dédiés sont mis en place (en agriculture non industrielle et non chimique). Ils permettent, en plus d’assurer une production locale, de transformer, valoriser puis vendre les fruits et légumes en circuits ultra-locaux. Un système logistique intégré est par ailleurs inventé à l’échelle du département, avec des lieux de dépôt de la nourriture avant la desserte fine vers des cibles prioritaires (écoles, marchés, épiceries…), afin d’assurer un maillage fin de la distribution, et de ne plus avoir à se soucier du problème du « dernier kilomètre ». Ces lieux sont aussi des espaces de formation et d’échanges.
4) Concernant l’urbanisme, on préfère aux grands projets coûteux les programmes réversibles et agiles (permettant un changement de fonction pendant la durée de vie de l’ouvrage). De nombreux mégaprojets d’autrefois sont ainsi affectés à des fonctions nouvelles : par exemple, le mall de Grand Littoral et la galerie marchande du stade Vélodrome sont devenus des plateformes logistiques alimentaires, des piscines (naturelles) ou autres équipements publics utiles ; et suite à l’écroulement du trafic maritime, la tour CMA-CGM est transformée en écomusée de la French Tech.
L’évolution démographique à cet horizon est incertaine ; mais en cas de besoin de logements supplémentaires, on valorise la réhabilitation. Dans les cas où la construction est indispensable, on pense les nouvelles réalisations à proximité d’infrastructures de transport publics existantes (stations de métros), et avec des matériaux trouvés localement (pierre, bois, chanvre, terre crue…).
Pour éviter que les investissements publics dans les équipements viennent augmenter uniquement la rente privée, on redistribue la rente immobilière à travers un système de logement social (qu’il soit géré en régie, ou en coopérative d’habitants). La solution consiste simplement à appliquer l’antique loi de 2000 sur la solidarité et le renouvellement urbain (SRU) à l’échelle des communes ; et au-delà, jusqu’à à l’échelle des quartiers.
Autre innovation, on intègre la participation citoyenne dans les marchés publics, dans des MPIP (marchés publics d’initiative populaire).
Loin d’un nouveau projet de gentrification, il s’agit au contraire de lutter contre la paupérisation, contre la spécialisation sociale, pour renforcer la mixité sociale et l’inclusion des diversités.
5) Même étalées sur 30 ans, tous ces chantiers ont bien sûr un coût réel, qui sera rendu supportable par une véritable politique économique.
Précisons d’abord les limites de l’intervention municipale : son rôle est de créer les conditions d’une vie sociale et économique épanouie – et non de « fabriquer » de toutes pièces une image économique flatteuse, en subventionnant des grands groupes et enseignes ou des infrastructures disproportionnées aux besoins réels.
Toutes les dépenses de communication, liées à « l’image » ou à « l’attractivité » deviennent sans objet dans une ville bien gérée. La réduction des dépenses passe également par la suppression d’équipements et de grands projets inutiles.
L’intégralité des ressources de la ville peut ainsi être affectée à un espace urbain hospitalier, fonctionnel, beau et paisible. C’est en faisant la ville pour ceux qui l’habitent que celle-ci devient séduisante et attractive.
De nombreux emplois nouveaux sont créés par cette politique. Par exemple, la souveraineté alimentaire et la revitalisation des centres villes par la dynamisation des commerces de proximité favorise la création d’emplois d’artisans, commerçants, TPE et PME. L’augmentation de la part des emplois privés et indépendants contribue à la mixité urbaine, à la qualité des espaces publics et à la résilience de l’économie locale.
Le modèle économique mis en place met un terme à la prolifération des « externalités négatives » (pollutions, nuisances, maladies, injustices, dégradation des liens sociaux…). En cessant de mimer le fonctionnement d’une entreprise concurrentielle, en cessant de structurer leur développement sur des logiques purement financières court-termistes (flux touristiques, taxe professionnelle etc.), la ville crée les conditions d’une économie prospère, riche d’« externalités positives » et d’« effets utiles ».
L’ère de l’abondance des Trente Glorieuses est derrière nous, avec les nombreux maux qu’elle a engendrés : dégradation de l’alimentation, nouvelles maladies (allergies, obésité, cancer), augmentation des injustices, Sixième Extinction de la vie sur Terre.
Le vieux modèle financiariste du 20e siècle pouvait éventuellement avoir un sens dans un monde de croissance continue ; mais il est clair qu’il n’en a plus dans un monde qui œuvre au sein des limites et des contraintes du système vivant planétaire. Émancipés du « réflexe croissance » et affranchis de l’individualisme, nous pouvons de nouveau formuler un véritable projet politique.
Jean-Noël Consalès, maître de conférences en Urbanisme et Aménagement du Territoire à Aix-Marseille Université
Emmanuel Delannoy, consultant en biomimétisme, cofondateur de Pikaia
Baptiste Lanaspeze, fondateur des éditions Wildproject
Paul-Hervé Lavessière, géographe-urbaniste, cofondateur de l’Agence des Sentiers Métropolitains
Nicolas Mémain, artiste, cofondateur du GR2013
Marion Schnorf, fondatrice de la Cité de l’Agriculture
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