L’HABITAT ET LES INÉGALITÉS À MARSEILLE
Le logement et l’architecture sont certainement l’un des symptômes les plus voyants des inégalités dans une ville : les inégalités frappent le paysage urbain, sans doute sont-elles le premier fait politique que l’on peut percevoir en marchant dans la rue.
Photo : Clara Martot
Les taudis et les gratte-ciel
Ce qui frappe à Marseille, ce sont les différences entre les quartiers dans le domaine des habitations et des constructions et dans celui des logements. Ces différences peuvent se voir dans tous les quartiers de la ville : peut-être, après tout, s’agit-il d’une sorte d’égalité, mais bon. Dans tous les quartiers de la ville, des immeubles magnifiques, bien entretenus, qui ont leur place dans le patrimoine architectural de la ville peuvent voisiner avec des immeubles – s’agit-il encore même d’immeubles ? – laissés à l’abandon, sans entretien, sans réparations, sans souci apporté aux personnes qui les habitent ni à leur place dans le paysage de la ville. Une telle dégradation des constructions marseillaises tient à des années d’inaction, à la fois au nom des excès du libéralisme (laissons les propriétaires ne rien faire, car, après tout, c’est à eux) et en raison de l’absence d’une véritable politique urbaine recherchant l’égalité entre tous les habitants de la ville.
Bien sûr, c’est bien dans le domaine d logement, de la construction et du paysage que les quartiers Nord se distinguent des quartiers Sud. Tandis qu’à Marseille, les quartiers Sud ont pu faire l’objet d’une attention plus soutenue dans le domaine de l’urbanisme, les quartiers Nord ont vu se succéder les constructions de barres et de cités dans l’urgence de donner un logement à celles et à ceux qui en avaient besoin, sans souci du paysage urbain qui allait naître de ces entassements d’immeubles d’habitation, de ces tours et de ces amoncellements de logements sans ordre et sans souci d’une politique d’urbanisation d’ensemble.
C’est, bien sûr, de cette manière qu’il faut comprendre l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne il y a cinq ans. Ce ne sont pas des accidents de terrain qui ont entraîné ces morts, c’est le mauvais état des constructions, le manque d’entretien de la voirie et des installations de distribution d’eau et d’énergie. Les propriétaires de ces immeubles portent une lourde responsabilité dans cet événement, mais aussi les municipalités qui se sont succédé auparavant en raison de leur absence de politique équitable du logement et de l’aménagement et, bien sûr, les acteurs du marché de l’immobilier comme les agences, qui ne voient pas dans les immeubles des habitations, mais des pourvoyeurs de loyers.
Les inégalités environnementales
C’est en ce sens qu’il s’agit d’inégalités environnementales. Les inégalités environnementales sont de trois ordres. D’abord, il s’agit des inégalités dans le domaine du paysage : qu’il s’agisse de la qualité de leurs constructions et de celle de leurs aménagements, tous les quartiers de Marseille n’ont pas été traités de la même manière par les politiques municipales et par les entreprises qui y interviennent. Ensuite, il s’agit des inégalités d’entretien des constructions : les quartiers défavorisés se dégradent plus vite, car les autorités de la municipalité et, surtout, celles de la métropole, ne se sont pas préoccupés de la même manière de l’entretien de tous les quartiers. Enfin, il s’agit des inégalités de qualité de vie : au-delà des immeubles d’habitation, il s’agit aussi de l’inégalité selon les quartiers dans la présence de commerces de qualité, dans la desserte de transports en commun, dans l’installation d’équipements culturels. Ne nous trompons pas : ce que l’on appelle l’environnement ne saurait se réduire aux petites fleurs, mais il s’agit bien de l’ensemble des usages de l’espace dans nos pratiques sociales. C’est le sens d’une véritable égalité écologique entre tous les quartiers de la ville et entre tous ses habitants.
Une absence d’esthétique dans les quartiers neufs
Dans le domaine de l’esthétique urbaine, les inégalités se situent moins entre les quartiers et les milieux sociaux qu’entre les époques. À cet égard, d’ailleurs, Marseille n’est pas pire que les autres villes qui ont été aménagées n’importe comment – notamment après les années soixante. Dans le début de ces années-là, à Marseille, il a fallu aller vite. Il a fallu aller vite, notamment pour loger, dans l’urgence, des familles venues d’Algérie (les familles de ceux que l’on a appelés des « rapatriés » alors qu’ils n’étaient pas nés en France), puis, toujours dans l’urgence, pour donner un logement aux travailleurs venus parfois de loin, pour se mettre au service des entreprises françaises qui n’avaient pas assez de salariés. C’est cette urgence qui est à l’origine de l’absence de projet esthétique, mais, après l’urgence, on n’a pas su donner à ces cités et à ces quartiers la qualité des paysages que leurs habitants étaient en droit d’attendre.
À la recherche de l’égalité : pour une véritable politique municipale de gauche du logement
Peut-être le logement est-il un des domaines dans lesquels la municipalité de gauche dirigée par B. Payan pourrait le mieux marquer de son empreinte le paysage de la ville et sa revendication de l’égalité entre toutes celles et tous ceux qui vivent dans cette ville. C’est qu’en réalité, nous sommes devant une nouvelle urgence. Il s’agit, d’abord, d’une urgence de solidarité. La ville doit s’en prendre aux inégalités qui peuvent conduire des familles d’habitantes et d’habitants à ne pas disposer d’un logement digne et salubre. Pendant ce temps, les excès de l’architecture des grands immeubles de luxe des quartiers Sud polluent le paysage d’une façon peut-être irrémédiable. C’est pourquoi il s’agit, ensuite, d’une urgence écologique : c’est tout le paysage de la ville qui est à réinventer pour qu’il s’agisse réellement d’un paysage et non d’une accumulation de constructions sans ordre, sans projet esthétique, sans cohérence. C’est en ce point que l’écologie urbaine peut réellement être reconnue comme l’articulation de l’environnement et de la politique. Mais c’est aussi en ce point qu’une véritable politique de gauche se distingue d’une politique de droite : elle fait porter son action sur la qualité des paysages et des espaces et elle intervient pleinement dans ces domaines, alors qu’une politique de droite laisse agir la concurrence sans intervenir, dans une sorte de déni. Mais ne nous trompons pas : les inégalités architecturales et l’absence de projet esthétique dans l’aménagement des quartiers populaires jouent un rôle majeur dans les explosions de violence comme celle qui ont pu survenir à Marseille et qui pourraient bien surgir de nouveau si rien n’est fait pour permettre à tous les quartiers de la ville de proposer aux habitantes et aux habitants de la ville une véritable esthétique du paysage. C’est une véritable égalité dans le domaine de la politique de l’habitat et de l’aménagement que l’on attend d’une municipalité de gauche.
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