LES JUGES NE SONT PAS DES ARMES
En mars 2024, Éva Thiébaud et Jean-Marie Leforestier avaient publié, dans « Marsactu », une information concernant le chirurgien Michel Assor qui, après dix ans de plaintes de patients et de confrontations avec l’ordre des médecins, continuait à exercer. Après qu’une première plainte pour diffamation eut été annulée par le tribunal de Marseille, il attaque aujourd’hui, en appel, notre « Marsactu ».
Un médecin ou un « charlatan » ?
Le docteur Michel Assor a fait l’objet de plusieurs plaintes. « Marsactu » nous apprend, par exemple, le 22 mars 2024 qu’il a été poursuivi devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins pour « charlatanisme ». Il a aussi été visé par des plaintes pour « escroquerie ». Et, en février dernier, il a été interdit d’opérer par le même Conseil départemental de l’Ordre des médecins. Et nous en sommes à la plainte de sa part contre « Marsactu » pour diffamation. C’est un peu comme si l’arroseur voulait nous jouer l’histoire de l’arroseur arrosé, sauf qu’il s’emmêle dans le tuyau d’arrosage parce qu’il ne sait pas très bien comment l’utiliser. Le journal est, ici, pleinement dans son rôle : celui d’informer, c’est-à-dire d’expliquer aux lecteurs qui sont, dans la réalité, les personnages dont il parle dans ses mots. Aujourd’hui, il s’agit de savoir si l’un de ces personnages de l’espace public est réellement le médecin qu’il se targue d’être ou s’il usurpe cette qualité de médecin dont il se pare sans en avoir le droit. Certes, sans doute, le docteur Assor a-t-il soutenu sa thèse de doctorat et a-t-il été reconnu par les autorités compétentes comme docteur en médecine, mais peut-être est-ce ensuite que les choses se sont gâtées, entre les opérations ayant fait l’objet de plaintes de patients pour violences et les plaintes pour escroqueries. Ce sera donc à la justice de décider si M. Assor exerce réellement une activité vraiment médicale ou non.
Le rôle de l’information dans la médecine
On mesure bien, ici, l’importance de l’information dans le domaine de la médecine. C’est qu’il ne s’agit pas seulement d’une activité mise en œuvre dans des cercles restreints d’initiés sans grande importance dans le domaine public, mais, comme toute activité réellement publique, destinée à tout le monde, la médecine est un domaine dans lequel l’information est très importante, car c’est notre santé qui est en question. C’est pourquoi la médecine a une grande place dans ce que l’on appelle « l’espace public », dans le champ de l’information et du débat. Et, à l’inverse, ce sont bien les médias et l’information qui ont donné à la médecine, depuis toujours, une place considérable dans la société. Le médecin ne se contente pas de soigner – encore que c’est bien sûr très important, mais, en plus, il prescrit, il informe, il explique : ainsi est-il un acteur de la communication. Négliger cette part essentielle de l’activité médicale serait réduire le rôle du médecin à une activité technique. Mais la parole et le langage fondent la médecine, à la fois dans le domaine de l’échange singulier entre le médecin et son patient et dans le domaine public de l’information médicale dans l’espace du débat. C’est ainsi que l’Ordre des médecins, les institutions médicales, le domaine de la recherche, font de la médecine une activité pleinement publique.
La diffamation : une remise en cause dans l’espace public
Dans l’espace public, il arrive que l’on invoque une diffamation. Mais, au fait, que désigne ce terme ? La diffamation consiste à donner à quelqu’un une mauvaise réputation, à faire en sorte qu’il fasse l’objet d’opinions et de jugements défavorables. La diffamation remet en cause une personne dans l’espace public. On songe, bien sûr, à Beaumarchais et à Rossini, et à la tirade de Figaro sur la calomnie et sur sa puissance. Quelqu’un qui a un rôle dans l’espace public, comme, justement, un médecin, n’a plus la possibilité de jouer pleinement son rôle s’il est discrédité par une information négative le concernant. C’est pourquoi M. Assor porte plaine contre « Marsactu », parce qu’il sait très bien qu’après des informations comme celle qu’il attaque en justice, il ne pourra plus pleinement faire l’objet d’une véritable reconnaissance dans la société. Diffamer quelqu’un, c’est l’empêcher d’avoir une place dans le débat et dans l’opinion. La fama, c’est l’opinion, la rumeur, le jugement du peuple, et, donc, diffamer, c’est faire obstacle à la formulation d’un jugement positif sur une personne qui revendique un statut public. Mais le docteur Assor devrait peut-être réfléchir à deux fois avant de porter cette plainte : en effet, si, comme il y a lieu de le penser, « Marsactu » a bien vérifié ses informations avant de les publier, un échec devant les juges aurait, pour lui, un effet encore plus dévastateur dans l’espace public.
L’instrumentalisation de la justice
Mais il faut aller au-delà du simple cas de la plainte de M. Assor, et comprendre ce que ce débat fait apparaître sur les relations entre les juges et les médias et sur la place des juges dans l’espace public. En effet, il importe de comprendre que les juges ne sont pas des armes. En portant plainte, M. Assor voudrait utiliser les juges dans son combat contre « Marsactu », mais là où il risque de se heurter à un obstacle réel, c’est que les juges ne sont pas là pour cela. Ils ne sont à la disposition de personne, ils sont seulement là pour dire le droit, pour rappeler ce que nous disent les lois, pour ordonner leur application, c’est-à-dire pour leur donner leur rôle public. La justice n’est pas un outil dont nous pourrions nous servir pour nos petites affaires. Une telle instrumentalisation de la justice est quelque chose de grave car elle contribue à la dégradation de la société dans laquelle nous vivons. En réduisant les juges à des serviteurs, comme voudrait le faire M. Assor, on dévalorise la justice dans notre pays et cela contribue à réduire les rapports sociaux à de simples rapports de force. Certes, les enjeux ne sont pas toujours les mêmes, mais la remise en cause du droit est du même ordre. Là se trouve la véritable menace à laquelle nous sommes exposés. C’est bien pourquoi la plainte de M. Assor pourrait bien se retourner contre lui et le discréditer encore davantage, car à ses condamnations pour « charlatanisme » et « escroquerie », il risque de se voir ajouter une condamnation pour plainte abusive.
« Marsactu », les médias et la justice
Mais c’est assez parlé de M. Assor. C’est de Marsactu qu’il faut parler à présent. Le vaste mouvement de solidarité qui s’est formé autour de cette plainte nous rappelle que le journal est bien présent, lui, dans l’espace public, et se voit pleinement reconnaître sa place dans l’information marseillaise. Au lieu de l’affaiblir, la procédure engagée contre lui le renforce, au contraire, en faisant apparaître que les « marsacteurs » et les « marsalecteurs » ne sont pas des consommateurs d’information, des avaleurs de nouvelles, vraies ou fausses, mais qu’ils font partie d’une société entendant défendre et encourager le droit des marseillaises et des marseillais à une véritable information critique et décidée à mieux connaître leur ville et à mieux la comprendre – jusque dans ses difficultés et dans ses défauts. Comme tous les médias, et même, sans doute, un peu plus que les autres, « Marsactu » reste la voix du peuple, la vox populi, justement parce que, dans ses lignes, dans ses textes et dans ses images, il n’y pas de deus qui règne.
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