LE RETOUR DE LA PESTE

Billet de blog
le 22 Mar 2020
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LE RETOUR DE LA PESTE

 Souvenons-nous : c’était en 1720. Les acteurs principaux du commerce maritime de Marseille avaient laissé entrer dans le port un bateau porteur de marchandises qui étaient destinées à leurs marchés. Mais, en plus de ces marchandises, il était porteur d’une peste qui a infesté la ville entière. Cette histoire, qui fait partie de la mémoire de la ville, a été notamment racontée par Raymond Jean, en 1983, dans son beau livre, « L’Or et la soie». L’histoire se répète-t-elle ?

Les ports et le coronavirus

Peut-être s’agit-il des deux faces d’une même pièce d’or, celle du port. D’un côté, le port est ce qui a permis à Marseille de se développer, de connaître la prospérité, de pleinement vivre son identité méditerranéenne, tant sur la plan culturel que sur le plan économique. De l’autre, la ville a toujours vécu ce que l’on peut appeler les risques liés à cette ouverture à l’espace méditerranéen, en particulier, puisque c’est ce qui nous occupe aujourd’hui, la maladie, qu’il s’agisse de la peste, en 1720, ou du coronavirus, aujourd’hui. Sans doute s’agit-il d’une forme double de l’identité d’un port, à la fois ouvert aux échanges, aux relations avec les peuples d’autres nations et d’autres cultures, à une vie internationale, et ouvert aux risques, aux menaces, qui sont liés à la propagation des dangers, qu’il s’agisse des dangers politiques, puisqu’un port a toujours été une place recherchée en temps de guerre ou de conflit entre des pays, ou dans des dangers sanitaires, puisque les ports ont toujours été des foyers de diffusion des maladies venues d’ailleurs, en raison, justement, de la multiplicité des échanges dont ils sont le cœur. C’est cette expérience de l’ouverture des ports que Marseille connaît aujourd’hui en ouvrant son espace à ce que l’on peut appeler l’intrusion du coronavirus à travers toutes ses activités d’échange et de circulation. Mais, dans le même temps, sans doute les ports, comme Marseille, ont-ils toujours connu des activités de recherche et de réflexion dans le domaine médical, justement parce qu’ils ont toujours été interpellés comme étant des foyers de propagation de maladies venues d’ailleurs, parfois même de loin.

La ville connaît une activité diminuée

Cependant, si nous devons réfléchir à ce que peut signifier cette figure de la peste dans une ville comme Marseille, nous devons réfléchir à sa dimension économique. C’est, précisément, parce que l’économie doit penser les incidences que peuvent avoir sur elle des événements comme la survenue et la propagation de maladies qu’elle ne peut être pleinement qu’une économie politique. Il n’y a que les penseurs libéraux, les acteurs du libéralisme sous toutes ses formes, en particulier celle que l’on appelle aujourd’hui le néolibéralisme, pour s’imaginer, ou faire croire, que l’économie peut ne pas être politique. C’est justement au moment de la naissance du libéralisme moderne, au milieu du XIXème siècle, que Marx publiera la Critique de l’économie politique, puis Le Capital, des ouvrages dans lesquels il construit une rationalité pleinement politique de la vie économique. Or nous sommes aujourd’hui, à Marseille comme partout dans le monde, dans les pays dominés par le libéralisme, confrontés à la violence de la maladie qui vient s’attaquer à l’économie en imposant une diminution de l’activité. Cette violence même de la maladie nous rappelle, justement, la dimension pleinement politique de l’économie. La baisse de l’activité va entraîner une baisse des bénéfices des entreprises et le chômage va connaître une poussée, liée, en ce moment, à cette diminution de l’activité. Une anecdote pour illustrer cela : le poissonnier de mon quartier, chez qui je me sers, m’a annoncé, hier, qu’il allait fermer, sans savoir pour combien de temps, en raison, justement, de la diminution de l’activité de la pêche, liée à la baisse de la consommation de poisson, elle-même liée à la maladie.

Repenser la solidarité urbaine

Pour toutes ces raisons, sans doute la maladie devrait-elle nous imposer de réfléchir à ce que l’on pourrait appeler une forme urbaine de la solidarité. Marseille va, sans doute, comme en 1720, finir par sortir de cette forme de torpeur liée à la maladie. Toutefois, pour commencer, la ville doit pleinement manifester sa dimension de polis, d’espace politique, en mettant en œuvre les logiques qui constituent des réponses à cette menace, qu’il s’agisse d’une organisation satisfaisante des institutions et des organismes de la santé publique, d’une véritable régulation des échanges et des circulations, qui aille au-delà du couvre-feu, de l’interdit ou de la répression, qui, une fois de plus, semblent être les seules réponses des pouvoirs, ou d’une véritable politique de l’information de ses habitants sur l’évolution de la maladie et sur les différentes manières de s’en préserver. La ville ne peut pleinement constituer un espace politique que dans la mise en œuvre d’une politique de la solidarité.

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