Sylvabelle 2 Le monde d’avant est encore là
Sylvabelle 2 Le monde d’avant est encore là
Le monde d’avant est encore là
Dimanche 15 mars, c’est le jour du premier tour des élections municipales et nous y allons à pied. Des mesures sont prises pour qu’on fasse la queue éloignés les uns des autres et que deux personnes seulement entrent en même temps dans la salle où l’on vote. Pour suivre les consignes, j’ai pris mon propre stylo mais je n’ai aucune protection. Nous rencontrons des voisins et des amis que nous saluons sans les toucher pour suivre les consignes présidentielles mais nous plaisantons sur les mesures de sécurité du bureau de vote. Manifestement personne ne se sent vraiment concerné. Les médias commencent à parler plus sérieusement de confinement mais on préfère encore parler de « distanciation sociale », terme inintelligible et bien mal approprié. Le soir, le covid-19 fait la place aux résultats des élections et reprend un rôle secondaire. C’est plutôt par la question de l’annulation ou non du second tour des élections qu’il se montre dans les débats qu’en tant que drame sanitaire. De toutes façons, il y a encore peu de personnes contaminées, hospitalisées ou décédées. Une allocution présidentielle est programmée pour lundi 16 à 20h et l’on ne sait pas encore si le second tour sera annulé.
Lundi 16, les choses s’aggravent et se précisent mais sans grand chambardement encore. Toutefois, je décide d’annuler une installation téléphonique chez ma mère de 93 ans pour ne pas prendre le risque de laisser entrer quelqu’un chez elle. J’appelle Orange et je demande l’annulation de la venue du technicien le matin même. L’employée qui me répond n’a manifestement reçu aucune consigne car elle me dit que je ne peux pas annuler un rendez-vous si je ne le fais pas au moins 48h en avance. J’argumente sur la situation nouvelle et l’âge de ma mère. Elle décide d’aller demander à son chef ce qu’il faut faire. Clairement les informations commencent à passer mais de façon approximative car elle accepte ma demande et m’explique ce que je devrai faire pour reprendre rendez-vous. Ce problème réglé, je me dépêche d’aller chez le dentiste qui a avancé mon rendez-vous pour cause de fermeture du cabinet aujourd’hui. Un contexte inhabituel crée une atmosphère étrange chez le dentiste mais rien qui ne paraisse très inquiétant. Je lui demande cependant quoi faire si je souffre puisque le cabinet ferme. Il plaisante et me conseille « d’aller mettre un cierge à ND de la Garde ». Je ne savais pas alors que ce ne serait bientôt plus permis ! Je reprends ensuite le fil de mes activités et je me rends chez un marchand de fruits et légumes où aucune précaution d’aucune sorte n’est prise. Il y a plus de monde que d’habitude pour un lundi matin mais rien d’autre.
Le soir, la deuxième allocution présidentielle a lieu et cette fois le propos est plus dramatique. Nous sommes en guerre. Le confinement n’est pas nommé mais il est sous-jacent aux propos présidentiels. L’annulation du second tour des élections n’est pas actée mais elle est implicitement renvoyée à la décision gouvernementale du lendemain. La dramatisation est toute entière axée sur la crise sanitaire et ses conséquences sociales, économiques, nationales. Jeudi 12, Emmanuel Macron laissait filtrer un changement dans son libéralisme fermement défendu jusque-là. Les services publics semblaient reprendre quelques sens dans la gestion collective mais tout cela semblait bien convenu. Lundi 16, le propos était quasi humaniste et philosophique et l’appel à l’union sacrée des Français résonnait comme l’écho des souffrances historiques.
Bref, pour en revenir à mon petit quotidien personnel, je me suis dit qu’il me restait jusqu’à mardi midi pour régler tout ce que je pourrais avant le confinement. Je n’ai à aucun moment pensé que je serai malade, que la morbidité était extrême, que la question médicale allait dès le lendemain nous occuper entièrement.
Toute la journée, j’avais ressenti le caractère étrange, inédit des événements mais pas vraiment leur caractère violent et mortel. Durant ces quelques jours, et depuis le début de la contamination en Chine, j’ai bien sûr réfléchi à ce que pouvaient signifier ces événements mais je ne les ai pas ressentis comme quelque chose qui pouvait vraiment changer ma vie. D’ailleurs rien n’avait encore changé dans ma vie.
Mardi matin 17 mars, c’était les dernières heures avant le confinement. J’ai couru toute la matinée pour faire des envois que je jugeais urgents, aller chercher des commandes que j’avais déposées la semaine précédente dans des magasins qui allaient fermer, etc. Et surtout, il me fallait régler les changements dans la vie quotidienne de ma mère. Son infirmière pourrait-elle continuer à venir tous les jours, et son aide-ménagère ? Qu’avait-elle en réserve pour se nourrir pour plusieurs jours ? Comment allait-elle organiser sa solitude ? etc.
Il était devenu manifeste qu’il fallait changer mon quotidien mais j’étais encore dans l’idée d’un événement subit dont on ne savait pas vraiment la durée. En fait, dans l’idée du provisoire. La petite heure de queue que j’ai faite devant le super marché pour approvisionner ma mère et le grand vide des rayons de ce magasin m’ont ramenée à la réalité. Rien n’était plus comme avant. Même les souk el fellah de l’Algérie des années 80 étaient mieux achalandés. Le personnel du magasin me dit que c’était l’approvisionnement, la distribution des marchandises qui était défaillante. Quand même, en quelques heures, plus rien dans un magasin, j’étais effectivement stupéfaite et bien prête à entendre que « nous étions en guerre ».
Après avoir réaménagé la cuisine de ma mère pour qu’elle puisse se débrouiller un peu mieux si son aide à domicile venait à manquer, je suis rentrée chez moi en voiture dans des rues presque vides. A 10h, tout paraissait normal, à 12h30 j’étais en infraction !! Le reste de ma journée s’est passée à annuler les rendez-vous que j’avais pris avant, non pas bien avant mais la semaine d’avant, quelques jours avant !
Le premier ministre annonça le report du second tour des élections municipales et le confinement. J’avais l’impression d’avoir fait la course depuis deux jours pour laisser une situation claire dans mon agenda du monde d’avant.
Aujourd’hui mercredi 18, je suis restée à la maison avec mon compagnon. J’ai des provisions, il fait beau, je peux sortir dans mon jardin et j’ai une flopée de travail en retard. Ma fille est chez elle avec beaucoup de travail à domicile mais quoi de plus habituel pour une universitaire.
Alors qu’est-ce qui a changé ? Car quelque chose a déjà changé…
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