MARSEILLE : UN MARCHÉ MÉDITERRANÉEN (4)
LE MARCHÉ DE LA PLACE SÉBASTOPOL
Comme sur beaucoup d’autres places (la figure urbaine même de la place est même liée au marché), il existe un marché, place Sébastopol, dans le 4ème arrondissement. Parlons aujourd’hui de lui, car il a toute sa place dans notre revue des marchés de la ville.
La place Sébastopol
La place Sébastopol, dans le quartier du Camas, est une petite place bordée par un entrepôt, aujourd’hui occupé par l’entreprise Weldom, qui a dû être le siège d’une fabrique installée là, si l’on en croit l’association entre l’ancien entrepôt et une maison dotée d’une belle porte qui devait être le siège des bureaux de la fabrique en question. C’est le signe que cette place est ancienne. On peut y voir, d’ailleurs, une très belle maison sur l’un des côtés, une maison un peu séparée des autres, comme à l’écart, trop belle, peut-être, pour se mêler aux autres.
Sur la place, on peut voir, dans un coin un buste de G. Rébuffat, l’alpiniste, qui montre, lui aussi, que la place n’a pas été habitée par n’importe qui.
Et puis, surtout, sur la place, on peut voir un manège. Même si celui que l’on peut voir de nos jours est bien neuf et, sans doute, moins beau que celui sur lequel les enfants, autrefois, venaient faire du cheval, il est le signe de ces usages vivants de la place.
Selon le « Dictionnaire historique des rues de Marseille », d’A. Blès (Jeanne Laffitte éd., 2001), la place Sébastopol a été créée en 1863 et aménagée en 1865. Son nom était destiné à commémorer une victoire de la France et de la Grande-Bretagne , en 1855, contre l’armée russe. Ces armées avaient conquis la ville, située en Crimée (cela ne vous dit-il pas quelque chose ?) à l’issue d’un siège qui avait duré un an. Il existe, d’ailleurs, à Paris, une station de métro « Réaumur-Sébastopol », située au carrefour du boulevard de Sébastopol, qui va de la gare de l’Est à la Seine, et de la rue Réaumur, c’est-à-dire en plein centre du Paris haussmannien. Ce nom de place, « Sébastopol », est, ainsi, contemporain de la naissance de l’urbanisation contemporaine dans la deuxième moitié du XIXème siècle.
Un petit marché sur une petite place
Le marché de la place Sébastopol est un petit marché qui habite une petite place. Il ne s’agit pas d’un grand marché, mais plutôt un marché de voisinage : ce sont les habitantes et les habitants du quartier qui fréquentent ce marché. Les voisins se retrouvent entre les étals de ce marché, on s’y parle, on s’y demande des nouvelles de la petite famille. Même les marchands, sans doute, font partie de cette « famille Sébastopol » et le marché qu’ils y installent offre aux voisins la dynamique des échanges et le son des paroles et des voix, comme celle du poissonnier qui propose de véritables enseignements sur la pêche et les façons de préparer le poisson. C’est qu’à Sébastopol, ce sont les voix qui font la musique, comme souvent dans les marchés (la musique du son des voix fait partie de ce qui les caractérise), mais peut-être plus encore ici que dans d’autres marchés de Marseille, parce que les voix se connaissent, et, par conséquent, se reconnaissent. Dans les cheminements de ce marché, on ne fait pas de longues courses, on n’y fait que des voyages assez brefs, le temps de faire quelques achats et de rencontrer quelques voisins. À la différence d’autres marchés de Marseille, ce marché-là est celui du temps et de l’espace de tous les jours. Il n’est pas conçu pour des découvertes et pour de longs périples, mais bien plutôt pour faire vivre le quotidien dans les échanges et dans l’économie locale de la ville des marchés et de la consommation. Le marché- de la place Sébastopol représente les petits côtés de Marseille, ses petits espaces et les relations du voisinage dans une vie de quartier rendue plus active par ce marché – à moins que ce ne soit plutôt l’inverse : peut-être est-ce plutôt parce que la vie du quartier est active et dynamique qu’elle a besoin de se manifester dans ce marché. Cela rend d’autant plus insupportable l’invasion de la place par les motos qui occupent les trottoirs en empêchant les déambulations ordinaires du marché.
Des achats quotidiens et une consommation sans excès
L’économie quotidienne dont le siège est la place Sébastopol s’exprime dans un marché qui n’est pas celui d’excès de consommation, mais au contraire, celui de l’économie d’une consommation que l’on pourrait qualifier de raisonnée. C’est une rationalité quotidienne de l’économie qui se met en œuvre sur ce marché qui pourrait, ainsi, se lire comme le lieu d’une rationalité urbaine de l’économie marseillaise. Sur le marché de cette place, il ne faut pas s’attendre à une course effrénée à la consommation comme dans d’autres lieux de l’économie marseillaise, mais il s’agit bien, plutôt, d’une économie de la modération. Peut-être est-ce ainsi la signification de ces échanges quotidiens du marché et des rencontres. En contribuant à construire et à aménager le quotidien de la distribution et de la consommation, les marchés comme celui de la place Sébastopol nous protège, ils protègent celles et ceux qui vivent dans le quartier de course à la concurrence (un mot formé à partir de courir) et à l’inflation qu’ils ne parviendraient pas à maîtriser. Si l’on réfléchit bien, c’est le sens de cette petite stèle en hommage à l’alpiniste, qui a forme d’une toute petite montagne : quand on habite la place Sébastopol et quand on y fait son marché, on n’est pas pris par l’ivresse des montagnes, mais, au contraire, on parvient à maîtriser le folie des courses et des fuites en avant en se protégeant des excès par la modération de l’économie quotidienne qui se met en œuvre entre voisins qui se connaissent. Dans cette place et dans ce marché, il y a quelque chose de l’économie politique voulue par l’éthique protestante des villes, très forte dans les villes du seizième siècle dont nous parle l’historien et philosophe Max Weber (1864-1920). Peut-être cette modération de la consommation et des échanges est-elle le signe, sur la place Sébastopol, d’une forme de résistance aux excès de la folie de l’économie quotidienne qui nous entraîne dans des déluges de consommation : ceux-là pourraient bien, à plus ou moins long terme, finir par nous noyer dans les vagues et les tempêtes sans retenue du libéralisme contemporain.
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