MARSEILLE : UN MARCHÉ MÉDITERRANÉEN (10)
LE MARCHÉ AUX PUCES
À Marseille comme dans les autres grandes villes, il existe un « marché aux puces ». Allons un peu voyager parmi nos amies les puces.
Qu’est-ce qu’un marché aux puces ?
Appelé ainsi parce qu’on est censé y vendre et y trouver des marchandises pleines de puces étant donné qu’elles son très anciennes, le marché aux puces est, comme bien d’autres marchés, à la limite entre le public et le privé, entre l’économie marchande reconnue, légitime, et l’économie marchande du troc, une économie marchande mise en œuvre par des particuliers, des sortes de marchands d’un jour, au lieu de l’être par des commerçants reconnus et rémunérés pour cela. Au marché aux puces, nous vendons ce dont nous ne voulons plus dans notre maison et nous achetons ce qui nous séduit parce que c’est porteur d’une histoire ou, tout simplement, parce que nous préférons acheter ce dont nous avons besoin en-dehors des circuits officiels du commerce. Le marché aux puces désigne l’installation du marché informel dans un espace conçu pour lui. Ce simple nom a deux significations. Des vêtements mangés par les puces sont des vêtements vieux, mal entretenus, que l’on ne peut plus porter, et qui sont infestés par ces petits insectes qui viennent les envahir en s’y nichant partout. Mais, en même temps, les puces désignent un logement que l’on connaît bien, que l’on habite depuis longtemps, qui a vieilli avec nous, et avec lequel on a une certaine familiarité. Les puces manifestent notre quotidien avec la familiarité d’un endroit ou d’objets qui sont à nous, qui représentent notre personnalité.
Brève histoire du marché marseillais aux puces
Le marché aux puces de Marseille a connu plusieurs lieux. En 1920, il s’ouvre rue Peyssonnel, dans « l’enclos Peyssonnel », situé entre la rue Peyssonnel et la place Saint-Lazare, un lieu d’habitation pour des familles pauvres ou précaires, en particulier pour des gitans. Cet enclos fut détruit en 1941-1942, et le marché aux puces s’est tenu dans la rue Peyssonnel elle-même, jusqu’en 1981. Il fut alors installé boulevard du Capitaine-Gèze, jusqu’en 1988, quand il s’ouvrit, dans le même quartier, chemin de la Madrague dans les locaux d’une usine désaffectée, l’usine Alstom. C’est là qu’il se tient de nos jours. Le marché aux puces s’est, ainsi, toujours tenu dans des lieux situés à la périphérie de la ville, comme, d’ailleurs, le marché aux puces de Paris. De même qu’il s’agit d’un marché situé à la frontière entre l’économie instituée et l’économie informelle, le marché aux puces se situe à la frontière de la ville, dans des lieux où l’on n’est ni tout à fait à Marseille ni tout à fait dans sa banlieue. Le marché aux puces est un marché de la limite. C’est ainsi qu’à Marseille, il est aussi un marché de la rencontre, entre les cultures et entre les identités, entre les peuples et entre les origines. Le marché aux puces nous permet de retrouver la diversité des langues et des modes de consommation et d’usage. Nous sommes à la limite entre les différentes façons d’habiter Marseille et à la limite entre l’économie instituée, celle des pouvoirs, et l’économie informelle qui, finalement, est un mode d’économie échappant, consciemment ou non, aux pouvoirs établis sur l’économie. Il est à la limite de l’économie politique.
L’accueil artistique du mur peint
Quand on arrive au marché aux puces, on est accueilli par une magnifique fresque d’Inti qui représente le visage voilé d’une femme tenant son cœur entre ses mains comme pour nous l’offrir. Elle semble veiller sur la marché en plongeant son regard sur lui – et sur nous par la même occasion. La présence de murs peints dans le marché aux puces fait de lui un espace urbain d’échanges et de troc, donc un espace d’économie urbaine, mais, en même temps, un espace d’art de ville qui, dans le même mouvement, se voit reconnaître une légitimité esthétique et l’inscrit dans le patrimoine de la ville. C’est qu’à Marseille, de nombreux sites de la ville manifestent une continuité entre leur fonction sociale dans l’économie et la politique de la ville et leur dimension artistique, celle qui leur est conférée par l’esthétique des murs peints. Grâce à ces murs, le marché aux puces n’articule pas seulement l’économie du marché et l’économie de l’usage, mais aussi l’activité commerciale et un projet esthétique qui contribue à ne pas réduire le marché aux puces à l’activité d’une économie de l’occasion et de la revente mais à faire de lui un espace nous séduisant par une décoration faisant des puces de la ville un domaine artistique.
Une géographie du gigantisme
De la même façon qu’il se situe à la limite de la ville, le marché aux puces se situe dans des dimensions proposant elles-mêmes une géographie du gigantisme. Dans ses nouveaux locaux, le marché aux puces de Marseille est au-delà des limites d’un marché ordinaire. Il est une petite ville à lui tout seul, avec, autour de la foule qui a du mal à se déplacer tellement elle est dense, des échoppes, des cafés, des boutiques : cela donne aux puces cette allure et ces dimensions d’une véritable ville. C’est la première sensation que l’on éprouve en entrant dans ce marché : la peur de s’y perdre, tellement il échappe à notre habitude des marchés comme ceux dans lesquels nous nous sommes promenés dans cette série.
Un brassage des cultures
On peut remarquer, ça et là, dans le marché aux puces, des drapeaux palestiniens. C’est qu’à la suite du déclenchement de la guerre de Gaza, la Palestine est devenue, dans notre pays, comme sans doute, dans d’autres, une sorte de modèle pour les cultures arabes, mais aussi pour une conception politique de la solidarité : le marché aux puces revêt ainsi une identité culturelle et politique qui lui est propre dans l’espace méditerranéen de Marseille. Le brassage des cultures que l’on peut voir dans les rayons et le brassage des langues que l’on peut entendre dans la foule sont les signes de l’internationalité du marché aux puces, plus importante, peut-être, que celle que l’on peut percevoir dans les autres marchés de Marseille. Le marché aux puces est aussi un marché aux voyages.
Une économie parallèle
Le marché aux puces échappe à l’économie ordinaire des autres marchés de Marseille. D’abord, il s’agit d’une « économie de deuxième vie » des produits et de la vente : le marché aux puces est un marché parallèle au marché du commerce considéré comme l’espace du commerce légitime. C’est une économie parallèle à l’autre qui se construit ici. Par ailleurs, cette économie parallèle n’est pas seulement mise en œuvre par des commerçants officiels et reconnus : il s’agit d’une économie dans laquelle se rencontrent les marchands et les échanges institués et ceux d’un jour, ceux qui se livrent aux échanges entre particuliers, celles et ceux qui ne sont pas des marchands reconnus. L’économie parallèle du marché aux puces propose une économie des valeurs d’usage et ne se limite pas à l’économie des valeurs d’échange. Cette « autre ville » que l’on découvre en entrant dans le marché aux puces est la ville d’une autre économie, différente, suivant d’autres lois et d’autres usages. Cette économie parallèle n’est pas dominée par la consommation effrénée du neuf, mais par la recherche d’une véritable valeur d’usage, renouvelée, en quelque sorte reconvertie par la distribution dans le marché aux puces. Finalement, on comprend mieux le recours à une ancienne usine pour l’abriter : même l’espace du marché aux puces est, à Marseille, un espace de la reconversion, de ce que l’on peut appeler une « deuxième vie » de l’économie urbaine et des échanges qui la font vivre.
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