Le chantier de la Corderie et les fouilles (suite)
LE CHANTIER POLITIQUE DE LA CORDERIE
On a l’impression que ce qui était, au commencement, un chantier immobilier, devenu, dans la suite, un chantier archéologique, est devenu ce que l’on peut appeler un chantier politique : une confrontation de projets, d’opinions et d’expériences sur le devenir d’un site urbain particulier.
Le chantier de la Corderie semble donner une autre signification au mot « chantier », une signification politique. Mais observons l’étymologie de ce terme même, « chantier », que nous employons tous les jours depuis le commencement du débat sur la Corderie. En effet, l’étymologie, qui nus raconte, en quelque sorte, de quoi est faite la naissance d’un mot et en quoi consiste son histoire au fil de l’histoire de la langue, a ceci d’intéressant qu’elle nous permet de mieux comprendre la dimension inconsciente de la langue et de ses usages dans la parole : en employant un mot, nous mettons son histoire en scène, et nous faisons apparaître dans le présent de la parole de quoi est faite la mémoire de la langue. Le mot « chantier », nous apprend, ainsi, le Nouveau dictionnaire étymologique de Dauzat, Dubois et Mitterand (Larousse), figure dans la langue depuis le XIIIème siècle : on en trouve un emploi dans un vers du poète Rutebeuf, et, comme beaucoup de mots français, il est issu d’une transformation d’un mot latin, en l’occurrence le mot canterius, qui désigne, en latin, un cheval hongre, c’est-à-dire un cheval châtré pour être employé dans les travaux agricoles, puis, sans doute en raison de la figure de l’étai que représente le cheval dans le domaine de l’agriculture, le mot a été employé en architecture, un chevron et un support sur lequel on fixe une vigne, pour finir par être employé comme il l’est aujourd’hui pour désigner l’espace dans lequel ont lieu des travaux de construction. Le mot poutre commence par désigner, lui aussi, une jeune jument, avant d’être employé, comme aujourd’hui, pour désigner une pièce d’architecture, comme le chevron. Finalement, ce que nous apprend l’histoire de la langue, c’est que le chantier porte, dans ses significations inconscientes que nous ont léguées nos ancêtres, la figure du cheval employé dans des travaux.
Un chantier devenu un chantier politique
C’est ainsi que le chantier, terme qui désigne un lieu où l’on travaille et où l’on dépose des matériaux, désigne un espace politique, d’abord parce qu’il s’agit de l’espace consacré à l’exercice d’un métier, d’une profession : en travaillant sur un chantier, en mettant en œuvre mon métier, je manifeste mon identité politique. D’ailleurs, c’est pourquoi il est toujours soigneusement écrit, sur les chantiers, « chantier interdit au public » : circulez, il n’y a rien à vois, un chantier est une propriété fermée dans laquelle le public n’a pas le droit d’aller. Et c’est bien ainsi qu’un chantier, quelle qu’en soit la nature ou la fonction, est toujours un espace politique : non parce qu’il s’agit d’un espace de débat, comme l’agora ou le forum, mais parce qu’il s’agit d’un espace qui est un enjeu de pouvoir, celui d’en limiter l’accès, d’en interdire l’accès au public. C’est bien de cela qu’il est question dans le chantier de la Corderie : il s’agit bien d’interdire l’accès du lieu au public et d’en faire une propriété privée réservée à un usage immobilier. Mais, en interdisant au public de venir sur le site et de le découvrir, en limitant la surface du site consacrée à l’expression de l’histoire de Marseille, on interdit au peuple de la ville de venir mieux connaître une part de son histoire, et, ainsi, de mieux la comprendre, d’approfondir sa signification. C’est bien pour cela que le chantier de la Corderie est pleinement devenu, au fil des jours, un chantier politique : au-delà du conflit entre le peuple et les promoteurs immobiliers, au-delà de la confrontation entre le peuple de Marseille et les pouvoirs publics à propos de ce que doit devenir un site important de la ville, le chantier de la Corderie est devenu le symbole du pouvoir. Désormais, c’est cela qui est en question dans ce petit coin de Marseille, au croisement de la rue d’Endoume et du boulevard de la Corderie : qui a le pouvoir sur la ville ? Quels sont les acteurs politiques qui ont le pouvoir de décider ce que deviennent les sites de Marseille ? Peut-on vendre la ville aux promoteurs ? Peut-on déposséder la ville de son histoire, et, au-delà, de son identité ? Le chantier de la Corderie est devenu un chantier politique parce qu’en ouvrant le sol, les pelleteuses ont découvert une part du passé de la ville qu’il importe de rendre à sa mémoire.
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