L’AOÛT MARSEILLAIS

Billet de blog
le 8 Août 2025
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Nous venons d’entrer dans le mois d’août. Réfléchissons un peu à ce qu'il représente, à Marseille, au-delà des réflexions convenues sur l’été dans la ville. Portons un regard sur l'août marseillais et sur les transformations qu’il apporte à Marseille. L’été, la ville n’est pas la même qu’au cours des autres saisons ; tentons de mieux comprendre cette ville que nous découvrons ces temps-ci.

L’été dans la ville

L’été est une autre façon de vivre la ville : l’intérieur nous protège, alors que l’extérieur devient une menace. La menace de l’extérieur est celle de la chaleur que le climat fait venir sur nous du dehors, tandis que nous nous protégeons d’elle en demeurant dans nos maisons. Alors que, l’hiver et l’automne, la figure du foyer est celle du feu qui nous protège du froid, l’été, c’est le contraire : le foyer nous apporte un peu de fraîcheur qui nous protège de la violence de la chaleur. Mais il n’y a pas que cela. L’été, le décor de la ville change : les vêtements que nous offrons aux regards des autres ne sont pas les mêmes, les terrasses des cafés se remplissent, les rues deviennent des espaces infinis de promenades, de vagabondages, d’errances, de parcours qui se mènent d’ordinaire dans l’intérieur des moyens de transport et que nous mettons en œuvre, l’été, autant que nous pouvons, en nous déplaçant à pied, tout en tentant de nous protéger de la chaleur comme nous le pouvons. C’est ainsi que la ville devient une autre scène, sur laquelle les acteurs que nous sommes ne sont pas les mêmes que dans le spectacle ordinaire que donne la ville : le spectacle que Marseille donne d’elle-même change l’été par rapport à ce qu’il peut être dans d’autres saisons. 

 

La chaleur urbaine

L’été, la ville connaît une sorte de suspension climatique : l’activité urbaine change, une sorte de torpeur saisit les habitantes et les habitants de la ville, et peut renforcer les inégalités. La chaleur urbaine n’est pas seulement une affaire de température, l’espace urbain tout entier se trouve frappé par cette attaque du climat contre nous. Au cours de l’été, le réchauffement climatique cesse de n’être qu’une théorie politique, il se place dans l’ordre du vécu, de la réalité de notre expérience de l’espace urbain. C’est ainsi que nous comprenons mieux l’importance des espaces  conçus, au commencement, pour protéger les habitants de la chaleur et du soleil : les kiosques, les auvents des maisons, les galeries urbaines et les protections des rues. Mais nous avons fini par oublier l’importance de ces protections et les formes contemporaines de l’architecture ne se soucient plus de ces contributions à l’allègement de la menace de la chaleur. Alors que l’architecture de Marseille comme de celles des villes du « Sud » étaient conçues pour cela, une sorte d’uniformité s’impose à l’architecture des villes, ignorant les particularités climatiques de chacune. L’été, à Marseille, nous permet de mieux comprendre le choc entre la violence de la chaleur et le recours à l’architecture et à l’urbanisme pour nous protéger d’elle, et, ainsi, pour fonder sur l’expérience du climat de nouveaux projets d’aménagement urbain. La chaleur urbaine nous conduit à inventer une ville nouvelle.

 

L’éveil et l’engourdissement se rencontrent

Se rencontrent, notamment cette année, la torpeur et la promesse d’un éveil politique et culturel à venir. La torpeur, c’est celle d’une incertitude, à Marseille, concernant les élections municipales : nous ne savons ni qui seront les candidats ni quelle sera l’adhésion à la politique menée depuis 2020 par la municipalité du Printemps ou l’importance de l’adhésion à elle de la population de la ville ni si cette politique sera rejetée et à quel point. Cette incertitude, qui accentue l’engourdissement de l’été, se double de l’attente de l’année politique et culturelle à venir. L’attente n’est pas qu’une incertitude, mais elle est aussi l’ensemble des choix que nous espérons pouvoir faire au cours de l’année qui vient. Mais, sans évoquer seulement la question électorale, l’été est un temps de l’année où certains d’entre nous sont plus disponibles que le reste de l’année pour des activités culturelles ou sportives. Au mois d’août, la ville n’est pas habitée comme d’habitude, les pratiques urbaines ne sont pas les mêmes, et cela non seulement en raison des vacances et des départs de certains que l’on peut considérer comme des privilégiés, plus encore en ce moment qu’à d’autres époques, mais aussi parce que nous ne travaillons pas de la même façon et que nos activités ne rencontrent pas l’engourdissement de la même manière qu’à d’autres moments de l’année.

 

L’autre rencontre : les habitants et les « autres »

Plus peut-être que d’autres villes, Marseille fait l’objet d’une sorte d’invasion : celle des touristes et des voyageurs qui viennent visiter la ville ou qui se servent d’elle comme d’un point de départ ou d’arrivée pour des voyages dans la région. Cette invasion est à la fois une violence, car, parfois, nous ne nous sentons plus chez nous, et un enrichissement, celui de la rencontre de l’autre. Marseille est à la fois un espace que l’on visite, faisant de la ville une sorte de musée, un peu mort ou assoupi comme tous les musées appelés à conserver des cultures disparues, et une ville qui trouve une vitalité et une énergie nouvelles dans l’activité des ces échanges particuliers avec celles et ceux qui viennent d’ailleurs. Ce « regard d’ailleurs » enrichit notre propre regard sur notre ville : grâce à lui, habiter la ville devient plus complexe, mais aussi nous risquons de nous perdre dans notre propre ville si nous n’y prenons pas garde. Cependant, ces échanges entre les habitants et les « autres » font de Marseille une ville pleinement ouverte, au lieu de s’enfermer dans des façons de vivre conservatrices et ignorantes de l’altérité. C’est que la rencontre entre les habitants de Marseille et les « autres » fonde la construction de leur identité : c’est toujours grâce au regard de l’autre et à ce qu’il nous fait découvrir de nous que nous pouvons mieux comprendre qui nous sommes et ce que peut bien signifier le fait d’habiter Marseille plutôt qu’une autre cité. Nous attendons de l’autre ce qui peut fonder notre urbanité, ce qui la construit en nous permettant de la formuler. Marseille se reconnaît toujours dans le mythe du voyageur venu de loin dans ce qui deviendra Marseille : c’est l’histoire du marin Protis rencontrant la belle Gyptis, fille du souverain, et inaugurant, par cette rencontre,  la ville qui deviendra Massilia, l’ancêtre de Marseille. À Marseille, dire l’autre, c’est se dire soi-même.

Commentaires

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  1. Regard Neutre Regard Neutre

    Dans ce texte sensible, Bernard Lamizet décrit l’août marseillais comme une saison de contrastes : torpeur et éveil, chaleur menaçante et vitalité des rencontres. Entre mutation urbaine, incertitudes politiques et ouverture aux « autres », Marseille se révèle à la fois vulnérable et inventive, miroir d’elle-même en transformation.
    Merci.

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