LA VIOLENCE À MARSEILLE
Ces jours-ci, c’est un peu l’heure du bilan de l’année écoulée. Dans le domaine de la violence, sous toutes ses formes, le bilan de Marseille donne des signes d’inquiétude.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, le nombre de morts et de blessés liés au narcobanditisme a atteint un niveau « historique », un niveau qu’il n’avait jamais atteint auparavant, selon les propos du procureur de la République de Marseille, N. Bessone, cité dans Le Monde du 22 décembre dernier. Et on peut noter un rajeunissement des auteurs de crimes du narcobanditisme et de leurs victimes. Les fusillades deviennent des événements ordinaires de l’actualité de la ville, qui, ainsi, semble, en quelque sorte, s’habituer à cette violence criminelle. Et il ne s’agit là que de la violence la plus sanglante et la plus évidente, celle qui est liée au trafic de stupéfiants. Il ne faut pas que cet arbre-là cache la forêt du reste des actes de violence qui polluent la ville et vont en faire, si la situation continue, une ville invivable.
Qu’est-ce que la violence ?
Ce que l’on appelle la violence est un ensemble d’actes destinés à dominer l’autre physiquement ou psychiquement sans qu’il puisse se défendre. Si la violence est aussi présente à Marseille, c’est que toutes les formes de banditisme y sont présentes, actives, mais aussi toutes les formes d’affrontements, notamment dans les « cités », ces sortes d’impasses de l’urbanisme qui ont fleuri à la périphérie de la ville depuis une cinquantaine d’années. Mais, à Marseille, la violence ne se limite pas à la violence physique : elle se manifeste aussi dans le domaine de l’économie : la violence économique dans la ville consiste, notamment, dans les fermetures d’entreprises, dans le chômage, dans l’absence des lieux et des organismes de formation. Le trafic des stupéfiants, prospère à Marseille, exerce une violence sur les consommateurs à la fois en les inscrivant dans une pratique de dangers et de règlements de comptes entre trafiquants et en exerçant une violence sur leur corps, mais aussi sur leur psychisme. Enfin, la violence, dans notre ville, ce sont surtout les inégalités, cette véritable fracture de plus en plus béante, qui sera bientôt irréparable, entre les quartiers, et, notamment, la fracture entre le Nord et le Sud, qui fait que, bientôt, Marseille ne sera plus une ville mais une sorte de puzzle raté. Il faudrait ajouter, dans les multiples formes de la violence dans la ville, celles qui consistent dans des obstacles à une véritable vie urbaine. La pollution atmosphérique et la pollution par la saleté, le manque d’entretien, les poubelles traînant dans les rues et les déchets mal gérés, font aussi partie de la violence faite à celles et à ceux qui vivent dans la ville, mais qui ne peuvent pleinement l’habiter. On pourrait désigner par le mot « violence » toutes les atteintes au droit de vivre dans un espace social. On peut enfin ajouter que la fermeture du métro à 21 heures 30, en principe « pour travaux », est une forme de violence, cette fois exercée par la Métropole, sur les habitantes et les habitants de la ville, car cette fermeture revient à faire violence sur leur temps.
Les lieux de la violence et les inégalités sociales
C’est bien pourquoi le nœud de la question de la violence est là : dans la persistance et même l’aggravation des inégalités sociales. Il n’y a pas de violence partout dans la ville. Ce n’est pas dans les quartiers du Sud qu’il y a de la violence. Au fond, il y a deux violences : celle qui tue et blesse les personnes et celle qui brise la ville et l’urbanité au point de, bientôt, la faire disparaître. La violence n’a pas la même intensité partout dans la ville. La violence, en réalité, est un symptôme, présent dans la ville depuis les années trente. C’est à ce moment qu’il s’est mis à y avoir deux Marseille. La première, c’est la ville qui se montre, la ville de la mer et du commerce légitime, la ville qui, deuxième ville de France, est une des capitales de l’espace méditerranéen, la ville de l’ambition économique et culturelle. L’autre Marseille, c’est celle qui est cachée, celle des trafics et du banditisme, celle de la violence, qui s’est mise à prospérer dans les années trente avec toutes les sortes de sinistres Sabiani. Cette Marseille-là n’a pas cessé de grandir dans l’ombre de l’autre, elle est l’origine de la violence et des mafias, des bandes et des règlements de comptes. Mais ne nous trompons pas : la croissance du banditisme marseillais et de la violence urbaine s’inscrit, en réalité, dans l’aggravation des inégalités et dans la dérive de la ville vers une situation de crise économique de plus en plus grave. Marseille est entrée dans un cycle d’affaiblissement de l’économie, de montée du chômage, d’aggravation des inégalités et d’aggravation de la violence.
L’absence d’une véritable police
C’est l’autre nœud de la violence à Marseille, lié, d’ailleurs, aux inégalités. Il n’y a pas de véritable police urbaine, au sens propre du mot « police ». La police, au commencement, ne se limite pas aux flics. La police désigne l’ensemble des institutions chargées d’organiser et de faire vivre la polis, la ville et l’urbanité, de permettre, ainsi, l’existence de l’habitation et de la citoyenneté. Mais, comme dans tous les pays et à toutes les époques, la police marseillaise a fini, au fil du temps, par emprunter les mêmes codes que les trafics et le banditisme : ceux de la violence. Au lieu de se livrer à une politique destinée à réduire la violence et à la faire disparaître, la police marseillaise s’est mise, dans quelques situations notables, à se livrer, elle aussi, à la violence. Or, quand la police se met, elle aussi, à des actes de violence, elle aggrave la violence urbaine et elle n’est plus la police. Une véritable police urbaine ne devrait pas se limiter à la violence policière, dont la répression est l’autre nom, mais elle devrait élaborer et mettre en œuvre, en concertation avec les institutions politiques municipales, une véritable politique de la ville, destinée à faire régner, dans l’espace urbain, une véritable sécurité.
Pourquoi Marseille devient-elle une ville violente ?
Pour comprendre la violence d’aujourd’hui, il faut, sans doute, comprendre l’histoire de la violence urbaine marseillaise. Deux explications historiques peuvent aider à comprendre la violence de la ville. La première, nous en avons parlé, c’est celle des années trente. À ce moment, une véritable crise économique et sociale se manifeste dans la ville. Elle est liée à l’accroissement de l’activité économique de la ville qui a lieu sans s’inscrire dans une véritable politique économique, mais le développement économique de la ville se situe dans une politique de courte vue et, surtout, est orienté par les acteurs économiques de la cité vers la recherche de leur seul profit. Tout se passe comme si la ville était absente de leurs objectifs. Cette absence de politique économique laisse le champ libre aux trafics et à la violence. L’autre explication est l’absence de lien entre la vie urbaine et l’urbanisme. Les cités ont proliféré n’importe comment dans la ville, en particulier dans les quartiers périphériques, notamment au Nord, et ce désordre urbain a suscité la violence dans l’absence de réflexion sur l’urbanité et de protection contre l’insécurité. Faute de pouvoir vivre dans des quartiers sûrs et aménagés, les habitants d’une ville paupérisée n’ont trouvé que la violence comme mode d’expression. Comme toujours, c’est aujourd’hui que nous payons le prix de cet aveuglement par la facture de la violence. Il est plus que temps d’y mettre un terme, et ce n’est pas le plan macronien « Marseille en grand » qui va y parvenir, car il ignore cet aspect de la ville. Marseille est devenue une ville violente en raison de l’aveuglement et du déni des pouvoirs et des institutions de la ville. Mais il y a d’autres raisons à la violence marseillaise. Marseille, d’abord, hésite encore, elle ne sait toujours pas – et elle n’a jamais vraiment su – si elle était une ville du Nord ou une ville du Sud. Ville du Nord pour les pays du Sud et pour leurs migrants, ville du Sud pour les pays du Nord, de l’Europe et pour leur commerce, Marseille n’a jamais su réellement quelle était son identité et c’est sur cette absence d’identité clairement affirmée que prospère la violence, qui est, comme toujours, la marque d’une absence d’identité. Comme si les auteurs de ces actes violents ne savaient, eux-mêmes, pas où ils sont ni dans quel monde ils vivent.
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