LA VERROUE DU VIEUX-PORT
Il faut parler de la grande roue qui ne sert à rien, qui a dû coûter les yeux de la tête pour être installée là, et qui pollue le paysage du Vieux-Port qui, sans elle, pourrait être un des sites les plus beaux du paysage urbain de Marseille. Il est urgent de s’en défaire.
Copyright Agathe Perrier
La « verroue »
Vous avez bien lu. Et il ne s’agit pas d’une faute de frappe (même s’il m’arrive d’en faire, comme à tout le monde, cette fois, ce n’en est pas une). Non. C’est un mot que j’ai imaginé, en voyant, une fois de plus, hier, sur le Vieux-Port, la « grande roue ». Je devrais plutôt dire : en me sentant agressé visuellement, une fois de plus, par la confrontation avec la grande roue. Car la roue est une verrue. Elle est une véritable verrue qui vient polluer le paysage du Vieux-Port à la fois par ses dimensions, qui sont considérables, excessives, compte tenu de la taille des constructions qui l’entourent, par sa forme, car il ne s’agit même pas d’une belle roue, mais d’un montage fait de bric et de broc : ce n’est pas seulement une roue, c’est une roue minable.
Le pire, c’est qu’elle ne sert à rien : chaque fois que je la vois, il y a deux ou trois personnes qui tournent (car, en plus, c’est cher : sept euros, je crois, pour les adultes, et cinq pour les enfants, d’après le site http://www.evous.fr). Toutes les autres nacelles étaient vides. À la fois parce qu’on n’a pas besoin de monter sur la roue pour voir le paysage et parce que, justement, comme elle tourne comme toutes les roues – c’est même pour cela que les hommes l’ont inventée, sans savoir ce que l’on en ferait un jour – on ne peut pas regarder le paysage quand on est installé dedans. Donc ou on est dedans et on ne peut pas s’arrêter pour regarder la vue ou on est dehors et la vue que l’on a est détériorée par cet engin.
La figure de la roue
Mais il faut réfléchir un peu plus loin, et comprendre le sens de ces roues. Je dis « ces roues », car j’ai connu la même, quand je vivais à Lyon, encore récemment : elle n’était pas devant le Vieux-Port, car il n’y a pas de Vieux-Port à Lyon, mais elle était sur la place Bellecour, un des plus beaux paysages urbains de Lyon, entre la place et les bords du Rhône. C’est une figure urbaine assez récente, un piège à touristes imaginé il y a peu, car sans doute ses concepteurs s’étaient-ils dit qu’il y a avait de l’argent à gagner en plus de ce que pouvaient rapporter les formes traditionnelles classiques de déplacements et d’activités touristiques.
La roue me semble avoir deux significations. La première est de lier la découverte de la ville et de son paysage à la loterie des fêtes foraines. Cette roue qui tourne, c’est un souvenir de la grande roue qui tourne et qui s’arrête au hasard en faisant gagner ou perdre ceux qui ont misé sur l’endroit où elle s’arrêterait. La figure de la roue, c’est la roue de la loterie. Il s’agit bien de réduire le paysage urbain à une activité de jeu, de faire de la ville un espace que l’on met en jeu – ce qui, d’ailleurs, est la signification du tourisme, le projet de la ville semblant d’utiliser cette roue pour tenter d’attirer des touristes. Le paysage du Vieux-Port est ainsi réduit à un paysage artificiel de kermesse. L’autre signification de la figure de la roue, c’est, sans doute, parce qu’il s’agit d’une figure de jeu, de faire de la ville un espace soumis au hasard et à la vie illusoire du jeu, au lieu d’en faire un espace de rencontre et d’échanges.
Le verrou du Vieux-Port
On peut aussi continuer à jouer avec les mots, car sans doute est-il nécessaire, devant une horreur pareille, de se réfugier dans le jeu des mots : cette roue, ce n’est pas seulement une verrue, ou une « verroue », c’est aussi un verrou, car elle ferme l’espace quand on regarde vers elle. Au lieu que l’espace du port soit ouvert, comme il le fut toujours, comme tous les ports, sur la mer et sur le large, il est fermé, verrouillé, par la présence de cette roue, car on ne peut pas lui échapper : où qu’on soit, sur le Vieux-Port, on la voit. C’est un verrou, cette roue, parce qu’il empêche le paysage et l’espace de s’ouvrir sur le large. C’est un verrou parce qu’elle empêche nos regards de s’ouvrir sur la recherche du monde. C’est un verrou qui contribue à enfermer encore davantage les habitants de Marseille dans une ville qui finit par être de plus en plus mise à la seule disposition du tourisme.
À cause du verrou de la grande roue, habiter la ville, c’est y avoir l’horizon bouché, fermé, par un appareil qui enferme ceux, rares, qui tournent lentement sur ses nacelles, dans un parcours sans but, et ceux qui la regardent dans un paysage piégé par la machine. Car c’est peut-être une autre signification de la roue : elle vient représenter la façon dont les constructions viennent polluer le paysage de la ville sans aucune réflexion sur la recherche d’une esthétique de la ville et de ses aménagements. La roue enferme le paysage dans l’espace du jeu, un peu comme les promoteurs enferment la ville dans la prison du marché de l’immobilier.
Il est urgent que l’on démonte cette grande roue, que l’on fasse sauter ce verrou, que l’on nous libère de cette verroue.
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