La titubation du monstre
Ce matin du 29 juin, une seule certitude est établie à Marseille : le plus dur reste à venir. Au terme d'élections à la participation déplorable et face à des défis vertigineux, la future Maire, et les autres élu·es de sa métropole à sa suite, devront imaginer un nouveau lien avec la population.
La titubation du monstre
Le monstre a fini par trébucher, mais aucun Saint-Georges n’est pour l’heure en droit d’aller vérifier si sa dépouille est bien inerte. Jusqu’aux dernières heures de la campagne, il aura exhalé ses râles, ses coups bas, ses tricheries mesquines. Le monstre, c’était aussi une incarnation, et alors que l’heure de quitter son fauteuil approche, on aura une pensée pour cet homme qui aura aimé Marseille. Il l’aura aimée beaucoup, certains disent même que Marseille aura peut-être été son seul grand amour. Lui, dont l’on raconte que ses conseillers l’ont soigneusement tenu à l’écart des réalités d’une ville en décrépitude, sera peut-être condamné à la sentence à la fois la plus juste et la plus cruelle que l’on puisse imaginer : la lucidité. Peine si terrible qu’on n’ose lui souhaiter, qui le verrait se retourner sur ses 25 ans de règne, et mesurer à quel point il a fini par causer du tort à celle qui était tout pour lui. Nous, nous aurons déjà tourné la page.
Le monstre est à terre, et plus rien ne masque le fait que le plus dur est à venir.
Rien n’est acquis ce matin, si ce n’est la dignité d’une ville qui a tâché d’ôter le pouvoir aux assassins de ses propres enfants. C’était bien là le minimum. Pour le reste, c’est un troisième tour tout en tractations et compromis qui se profile, afin que l’assemblée puisse désigner son élu, ou plus sûrement son élue. Moment historique qui verra pour la première fois une femme maire de Marseille, moment sacrificiel aussi : comment se colleter à une ville endettée, une administration en lambeaux, un pouvoir divisé, une intercommunalité hostile ? Ce premier mandat est quasiment une cause perdue, dédiée à encaisser des coups et déployer une énergie colossale, à devoir se salir moralement, aussi, sans doute, et ce juste pour que Marseille ébauche une refondation sur des bases à peu près stables. Ces défis connus de longue date s’alourdissent d’une participation électorale déplorable : la future maire ne pourra pas davantage se prévaloir d’un quelconque élan populaire.
Qu’est-ce qu’on fait ensemble ?
« Élue sur un programme », « élue sur un projet »… jamais cette phrase n’aura été moins appropriée qu’en ce lundi matin, au lendemain d’un processus électoral qui aura souvent viré à la farce et dont, d’ailleurs, nul ne peut ce matin prédire l’issue aussi bien politique que juridique. Certains maires de l’agglomération en ont eu le pressentiment pendant le confinement : l’heure n’est plus à parler de « nous », les mairies et « vous », les habitants. Comme dans les vieux couples aigris à force de routine, la question salutaire est « que faisons-nous encore ensemble ? » On parle souvent de “divorce” entre le peuple et ses représentants, mais ici le divorce n’est pas permis : à Marseille plus encore qu’ailleurs, on est bien forcés de vivre les uns avec les autres. On peut se barricader dans des lotissements fermés, on peut limiter ses enjeux à sa barre d’immeubles, on peut bien crier « je t’en foutrais du vivre ensemble » ou croire que l’enfer c’est les autres, toujours est-il que nous cohabitons.
Il en va de même pour l’échelon métropolitain, d’ailleurs : alors que la classe dirigeante des Bouches-du-Rhône n’a jamais été aussi féminine, il serait navrant que les hémicycles continuent à résonner des mêmes joutes virilistes que naguère, ces moments où la grandeur de la République se résume à des piques lancées d’un clocher à l’autre au-dessus du rideau de fer de Septèmes-les-Vallons. Que les habitants des différents quartiers de Marseille le veuillent ou non, leurs destins sont liés. Que les habitants des différentes communes de la métropole le veuillent ou non, ils partagent le même bassin de vie. Personne ne demande aux citoyens d’avoir envie de vivre ensemble, c’est juste un fait. Les uns y voient une richesse, les autres une malédiction, mais en tout cas, c’est comme cela, nous vivons ensemble et il faut faire avec.
La campagne marseillaise aura donné une visibilité inédite aux collectifs de citoyens, dont certains sont nés des récents drames et avanies qu’a subis la ville. Même dans les villes et villages plus conservateurs, l’engagement que les citoyens ne manifestent plus dans les urnes, ils l’expriment dans les associations. On a également vu émerger pendant le confinement des mouvements de solidarité remarquables. La vitalité civique, l’envie d’agir collectivement existent, tout l’enjeu pour les élues et élus sera de les mobiliser au-delà de leurs chapelles, clientèles et partisans habituels.
Présentés comme le dernier pilier à peu près stable de l’édifice démocratique, les maires sont à leur tour ébranlés par l’inévitable vague de défiance qui touche les représentants du peuple. Mais, le confinement l’a pourtant montré, ils et elles restent un repère pour la population. Faute d’avoir pour le curé ou le Parti d’avoir été remplacés, le ou la maire reste l’élément rassembleur par excellence ; pour autant, sa légitimité ne procèdera plus d’avoir réussi à demeurer sur le même siège pendant des générations. S’annoncent dans l’immédiat, au conseil municipal puis à la métropole, d’intenses mêlées faites de marchandages de compromis et de débauchages en tout genre. Ces tractations éloigneront encore un peu les décideurs d’une base électorale déjà à l’étiage.
Puissent ainsi la Maire de Marseille, et les élu·es des autres communes avec elle, ne jamais oublier de revenir sans cesse devant leurs citoyens, y compris les moins accommodants, pour leur poser la seule question qui vaille : « et maintenant, que faisons-nous ensemble ? ». C’est à cette seule condition que le monstre tombera enfin pour ne plus se réveiller.
Commentaires
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Je suis tout à fait d’accord : quoiqu’il arrive, ce n’est que le début, et la route va être rude, périlleuse, pour sortir la ville du marigot. La tâche est gigantesque. Une maire PM ne suffira pas. Ce sera un bon debut, mais ça ne suffira pas : seule, elle ne pourra rien. Ses 42 (+ 9 esperons le) conseillers auront une lourde charge, qu’ils ne pourront porter seuls. Nous en avons pour des années de boulot acharné. Nous devons agir ensemble. Citoyens de Marseille, nous avons notre part à accomplir. Quoiqu’il arrive. Le bulletin dans l’urne n’etait qu’une étape, essentielle, mais non suffisante. Nous ne devons ni nous reposer sur une équipe municipale PM victorieuse, ni nous laisser abattre par une éventuelle magouille politicarde qui maintiendrait une droite déliquescente à Bargemon.
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Tout à fait d’accord, c’est aussi avec le soutien et l’implication des citoyens que ce changement doit se faire .Et l’arrivée de la procureure Dominique Laurens qui s’attelle aux affaires peut aussi apporter du vent aux voiles…
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