LA MER, LES MURS, LA MORT (2)
Nous poursuivons aujourd’hui la réflexion engagée la semaine dernière sur la rencontre, au-dessus du cours Lieutaud, entre la rue d’Aubagne et la rue Estelle.
Les inégalités devant les dangers
C’est la première évidence qui frappe quand on se trouve confronté à l’histoire des menaces sur la ville : elle nous met face aux inégalités, elle nous rappelle que Marseille est une ville inégalitaire. Entre le Nord et le Sud, devant les risques et les menaces, devant la maladie et la prévention, les habitantes et les habitants des différents quartiers de la ville ne sont pas tous logés à la même enseigne. C’est le premier échec de la politique municipale dans notre ville. Alors que le rôle de la politique devrait être de permettre et de garantir l’égalité entre toutes celles et tous ceux qui vivent dans l’espace de la ville, elle ne fait qu’aggraver les inégalités. Devant la peste et devant la rue d’Aubagne, on a l’impression que rien n’a changé en trois siècles – et même, sans doute, depuis la fondation de la ville. Ce ne sont pas seulement le logement, les transports et l’éducation qui sont les domaines des inégalités, mais c’est quelque chose d’encore plus fondamental : la vie, la protection contre le danger et le risque de la mort. En ce sens, le croisement de la rue Estelle et de la rue d’Aubagne nous dit bien quelque chose qui se trouve dans l’inconscient urbain de Marseille : cette ville s’est fondée sur l’inégalité et elle les a maintenues – jusqu’à quand ? Peut-on dire que la municipalité élue en 2020 les a diminuées ? En tous les cas, ce sera une des significations du résultat des élections municipales de l’année prochaine : les électrices et les électeurs diront ce qu’ils en pensent.
L’aveuglement des pouvoirs
C’est une autre signification des événements que nous rapprochons : les pouvoirs semblent ne se rendre compte de rien, semblent incapables d’assurer l’une de leurs missions essentielles, qui consistent dans la prévention des dangers et la protection des habitantes et des habitants. Ce que nous avons appris de la peste et des effondrements, c’est que, dans la ville, les pouvoirs politiques sont toujours sont la coupe des pouvoirs du négoce et de l’argent. Le négoce a un peu changé : il s’agit aussi de l’immobilier, alors qu’il n’avait pas tant d’importance en 1720. Mais il continue d’exercer son pouvoir sur la ville dans une sorte de permanence. Mais nous ne parlons pas ici d’opposition entre les opinions et entre les choix politiques, nous ne parlons pas seulement de l’opposition entre la gauche et la droite, nous parlons d’une opposition entre les pouvoirs libres et les pouvoirs inféodés, comme toujours dans le libéralisme, aux entreprises, aux marchands, aux puissances du marché. Si les pouvoirs ne voient rien et semblent ne rien prévoir, s’ils semblent ne pas pouvoir nous protéger, c’est qu’ils sont aveuglés par ce pouvoir qui les dépasse, celui du profit et de la richesse, celui qui soumet la politique aux contraintes qui lui sont imposées par les choix des entreprises alors qu’elle devrait être décidée selon les choix des citoyennes et des citoyens.
La mer et l’argent
Comme tous les grands ports, Marseille articule la mer et l’argent. Qu’il s’agisse des activités du commerce et des échanges financiers (on parle, d’ailleurs, depuis longtemps, de « marine marchande ») ou, dans une sorte de régression contemporaine, des activités de tourisme et de loisir, c’est l’argent qui a conquis la mer, à Marseille. La mer n’est plus seulement un espace permettant à la ville de se donner un espace de vie écologiquement responsable et en mesure de garantir la santé des habitantes et des habitants de la ville : elle est devenue un espace destiné au marché. C’est l’argent qui a fini par dominer la mer qui se trouve, ainsi, chassée de l’urbanisme et des projets d’aménagement des quartiers de Marseille, alors qu’elle pourrait en être le cœur. Au lieu de constituer un véritable atout pour le développement et pour l’économie de la ville, elle est, peu à peu, devenue une source d’inégalités devant l’argent à Marseille. Au lieu d’être une source de vie pour la ville, elle y est devenue, à certaines époques, une source de danger. L’argent a fini par changer le sens de la mer, par ne plus lui donner une véritable place dans l’espace de la ville, on ne peut plus habiter la mer.
Les murs et l’argent
Quand nous parlons des murs, nous parlons de la conquête de la ville par les marchands de l’immobilier. Alors que l’immobilier devrait permettre d’habiter la ville, il finit, peu à peu, par nous en chasser, à force d’être livré au marché. Les murs ne nous permettent plus de vivre dans Marseille, de vivre Marseille, ils nous en excluent en raison des prix et des contraintes du marché. L’économie du logement a changé Marseille : d’une ville populaire qu’elle fut, elle devient, peu à peu, une ville qui a cantonné son peuple à certains quartiers, les plus éloignés possible des autres, de ceux qui sont habités par les classes sociales qui se les ont appropriés. Les murs se sont situés, à la fondation de la ville et dans ses premiers temps, au Nord du Lacydon, dans les quartiers situés autour de la mairie actuelle. Marseille était alors une petite ville. Puis, peu à peu, elle s’est agrandie, d’abord sous l’effet des mutations du port, en s’étendant au Sud du Lacydon, sur la rive Sud, celle des « arcenaulx », puis en conquérant de plus en plus de quartiers vers l’Est et vers le Sud, pour s’étendre vers le Nord. Mais le pouvoir de l’argent sur la pierre et les murs a peu à peu transformé la ville en un ensemble d’îlots séparés les uns des autres. L’économie du marché de l’immobilier a morcelé une ville qui était, au commencement, un espace unique, en la divisant et en séparant les habitantes et les habitants selon leur niveau de vie. Les effondrements de la rue d’Aubagne ont donné à cette séparation une dimension mortelle qui avait déjà envahi les quartiers Nord en les infestant d’une autre maladie urbaine mortelle, celle de la violence. C’est ainsi que la soumission des murs de la ville à l’argent a donné lieu à une mort aussi violente, elle, que celle de la peste.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
Rejoignez-la communauté Marsactu pour, vous aussi, contribuer au débat local. Découvrez nos offres
ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.