LA FÊTE DE PAINPLAINE ET PAINPLAIN
Vendredi 16 mai, rue Saint-Savournin, c’était la fête. À la Boulangerie Merlin, une nouvelle fête du pain réunissait, dans l’échoppe et dans la rue, les boulangers et leurs consommateurs de pain dans une grande « fiesta » de celles et de ceux pour qui manger du pain n’est pas seulement le déguster, mais aussi faire de lui de quoi fonder le lien social.
Qui sont Painplaine et Painplain ?
Painplaine et Painplain sont deux grands « amis du pain ». Ce sont deux copains qui habitent dans le quartier de la Plaine. Sans doute est-ce pour cela qu’ils s’appellent ainsi : les copains, ce sont ceux qui ont le pain en commun. Ils habitent rue Saint-Savournin, au coin de la rue du Loisir (tout un programme !). Je crois, d’ailleurs, que j’ai déjà un peu parlé de leur maison dans ma chronique de Marsactu. Ces deux amis partagent toutes sortes de fêtes, d’activités, liées au pain, parce que c’est là leur plus grand défaut : ils aiment le pain. Ils ne mangent pas du pain parce qu’il le faut bien, ou parce qu’il n’y a rien d’autre à manger, non, ils aiment simplement manger du pain, pour son goût, sa saveur, la variété de ses costumes, et, aussi, parce qu’en mangeant du pain que l’on partage avec les autres, on se fait des amis, des voisins, on leur parle, on discute avec eux du goût du pain. Et puis, quand on est fâché avec ses amis ou avec des gens que l’on rencontre, eh bien, on a envie de leur faire passer le goût du pain. Painplaine et Painplain parlent une langue qui est bien à eux, celle du pain marseillais. Ce n’est pas la même langue que celle que l’on parle ailleurs, je crois même qu’il n’y a qu’à Marseille que l’on entend vraiment la langue du pain et qu’on la parle. Savourer le pain, cela se dit, dans ce pays, le savourner. C’est pour cela que l’on a nommé la rue où habitent Painplaine et Painplain la rue Saint-Savournin, la rue du saint qui savourne. Mais, de ce fait, alors que, dans les autres pays, la langue du pain ne sert qu’à le déguster, la langue du pain d’ici, celle que l’on nomme le savournain, sert aussi à le savourner, c’est-à-dire à échanger avec les autres des mots et des miettes de paroles.
Une fête pour le pain
Comme, en même temps qu’une langue, des mots et des échanges, le savournain donne aussi naissance à une véritable culture, ce vendredi 16 mai, une fête était proposée par Painplaine et Painplain qui avaient invité tout le quartier chez eux. Il ne s’agissait pas de manger du pain (on en a, d’ailleurs, mangé plutôt moins que d’habitude), mais de faire la fête, ensemble, en hommage au pain, de rire, de parler, de converser. Les amis de Painplaine et Painplain avaient ainsi l’occasion de découvrir qui ils sont vraiment. Comme toutes les fêtes liées à des aliments ou à des usages alimentaires, la fête du pain nous permet de fêter notre vie de tous les jours, de nous rendre compte qu’au-delà des usages que nous mettons en œuvre quotidiennement, c’est la vérité de notre vie et de notre société que nous nous représentons les uns pour les autres. Faire une fête du pain, c’est comme faire la fête du vin, ou celle de la bière, ou même encore, comme cela se faisait au temps de ma jeunesse (je ne sais pas si cela se fait encore), la fête du haricot comme à Arpajon, dans la région parisienne. En faisant la fête du pain, nous nous découvrons vraiment.
Le pain et le lien
C’est que le pain, ce n’est pas seulement un aliment pour se nourrir, mais c’est aussi ce qui vient nourrir le lien entre les femmes et les hommes – depuis toujours. C’est, d’ailleurs, écrit sur le mur de la boutique Merlin, où habitent Painplaine et Painplain : le pain, c’est le lien. On pourrait même se mêler un peu de philosophie et de politique : partager le pain, c’est devenu un rituel dans un certain nombre de religions comme la religion chrétienne. Le pain, c’est l’une des premières formes que prend l’habitude des repas partagés, elle-même exprimant le fait de se trouver ensemble. En effet, le pain, c’est comme le café : il ne s’agit pas seulement de consommer, mais de consommer avec plaisir, en joignant à la consommation le plaisir du goût et celui de se retrouver avec les autres, dans la formation d’une culture partagée. La fête du pain, l’autre jour, était un ciment venant rendre encore un peu plus solide le lien qui unit toutes et tous ceux qui habitent le quartier. La fête du pain est aussi la fête de la rue et celle du quartier, comme, dans beaucoup de villes à présent, la fête des voisins. La fête de la rue est la première des fêtes que l’on peut faire pour donner du sens à la ville. En resserrant les liens qui nous unissent à nos voisins, nous retrouvons le lien social en trouvant en lui le goût, la saveur et le plaisir qui nous attachent pleinement à la culture que nous partageons en nous reconnaissant pleinement en elle.
Le pain et la ville
Et puis, rue Saint-Savournin, nous sommes à Marseille : le pain c’est aussi ce qui fonde la ville, ce qui la nourrit. Marseille est une grande ville qui a des caractères que l’on peut retrouver dans la fête du pain, chez Painplaine et Painplain. D’abord, Marseille n’est pas une ville intégrant toutes ses habitantes dans une urbanité unique donnant à toutes et à tous comme un modèle unique de ville partagée. Marseille est une agglomération de beaucoup de quartiers qui ont chacun une vie et des caractères propres. À l’Estaque, à la Belle-de-Mai, à Endoume et à la Plaine, on n’est pas dans la même ville, c’est à peine si on parle la même langue dans tous ces quartiers. Et, ainsi, sans doute chacun de ces quartiers a-t-il son pain. Le pain unit la ville, mais c’est en mettant ensemble tous les pains différents qui sont savourés par toutes les marseillaises et tous les marseillais. Le pain que l’on savourne chez Painplaine et Painplain a un goût que l’on ne trouve qu’en lui. Mais, de ce fait, la vie de quartier est peut-être plus importante à Marseille que dans les autres villes. On ne vit vraiment à Marseille qu’en vivant, d’abord, dans le quartier où l’on vit. Le pain n’est pas le même d’un quartier à l’autre, et c’est important que, grâce à lui, on puisse résister à la standardisation, à l’uniformisation, imposées par l’industrialisation, qui commence à envahir même l’alimentation. En ce sens, le pain est un des éléments qui nourrissent le politique. Notre expérience du pain est l’une des premières expériences de la polis, de la cité, de l’ensemble social dans lequel nous faisons de la politique, ne serait-ce, tout simplement, qu’en le partageant avec nos voisins. Et nous revoilà revenus à la fête de l’autre jour. En faisant la fête, Painplaine et Painplain résistent à la normalisation, ils résistent à une économie qui ignore les personnes qui la font : Painplaine et Painplain contribuent, dans la fête, à construire une véritable économie sociale et politique de la cité, nourrie, pensée et vécue au quotidien.
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