La Cité scolaire internationale

Billet de blog
le 6 Sep 2024
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La Cité scolaire internationale, établie dans le site Euroméditerranée, a connu sa première rentrée le 2 septembre. Clémentine Michel a parlé de cette rentrée, lundi dernier, dans Marsactu, mais j’aimerais lui consacrer ma chronique.

La Cité scolaire internationale Jacques Chirac (Photo : Clémentine Michel)
La Cité scolaire internationale Jacques Chirac (Photo : Clémentine Michel)

La Cité scolaire internationale Jacques Chirac (Photo : Clémentine Michel)

Un projet éducatif et architectural 

Ne nous trompons pas : ce projet a deux significations, à la fois dans le domaine de l’éducation et dans celui de l’architecture. Pour ses concepteurs, notamment l’architecte Rudy Ricciotti, il ne s’agissait pas seulement d’élaborer  une œuvre architecturale, il s’agissait aussi de concevoir un projet éducatif. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, sur une photographie que l’on peut trouver sur le site https//tourisme-marseille.com, les constructions figurant au centre de l’image comprennent des espaces intérieurs ouverts, comme le sont toutes les cours d’école, plantés d’arbres et de végétation, pour répondre à des exigences environnementales. Je ne parle pas de projet écologique, car on peut voir aussi, sur la photo, la tour CMA-CGM, l’emprise ferroviaire et le début de l’autoroute, qui ne constituent pas vraiment des projets écologiques. Quant au projet architectural, on ne peut qu’être étonné par la façon dont la cité éducative est comme enfermée, enserrée, entre les immeubles de logements et de bureaux d’Eruoméditerranée et les voies du chemin de fer ; cette construction ne peut pas respirer, elle est comme asphyxiée par les exigences de ce que l’on appelle le “transport multimodal” et par les impératifs de l’activité économique. On a bien le sentiment que les élèves et les enseignants de cette « cité scolaire » seront comme dans une prison, ou dans un ghetto, je ne sais pas quel terme employer, perdus et enfermés au milieu d’un espace urbain uniquement consacré à l’économie et à l’illusion de la croissance, sans qu’il ait été tenu compte des spécificités des activités d’enseignement ni des modes de vie d’enfants et d’adolescents.

 

La place de cette « cité scolaire » dans Euroméditerranée

On n’a pas prévu la construction de cette cité n’importe où à Marseille : elle s’inscrit dans l’espace urbain Euroméditerranée. Il s’agit donc d’un espace urbain, ou plutôt métropolitain, dévolu aux exigences d’acteurs économiques et financiers et à des entreprises. Il existe deux illusions d’ouverture de cet espace : il est soi-disant conçu aussi pour de l’habitation (des immeubles de logement s’inscrivent dans Euroméditerranée) et, donc, pour de l’éducation, comme on peut s’en rendre compte devant la présentation de la « cité éducative ». Mais on peut se demander si Euroméditerranée est véritablement connu pour de l’habitation. On a l’impression que, comme bon nombre de projets d’architecture et d’aménagement, il a été proposé par des concepteurs n’ayant jamais vécu dans l’espace pour lesquels ils ont élaboré leurs idées, et que ces architectes ou ces urbanistes ne savent pas vraiment ce qu’est la ville. On ne peut pas réduire une politique urbaine à un ensemble de fonctionnalités, la vie en ville ne se réduit pas à la recherche de l’efficacité et de la rationalité économique. Pour qu’un lieu pédagogique ait une place dans un espace de ville, il faut qu’il s’agisse d’un espace urbain, c’est-à-dire d’un espace dans lequel on puisse avoir envie de se promener sans rien avoir à y faire, d’un espace d’activités et de pratiques culturelles, c’est-à-dire d’un espace de paroles et de rencontres. Où a lieu la rencontre le long de voies de chemins de fer, où peut-on flâner quand on est coincé entre des trains et une autoroute ?

 

Quel projet pédagogique ?

Le projet pédagogique de la cité peut déjà se comprendre par le mode de sélection des élèves et par celui du recrutement des enseignants. Dans une école ordinaire, les élèves trouvent leur établissement en fonction du lieu où ils habitent. Depuis Jules Ferry (vous savez, ce curieux homme des cavernes qui avait imaginé de rendre l’école obligatoire et gratuite pour tous les enfants…), il n’y a pas de sélection pour être inscrit dans une école. Eh bien, dans la cité Jacques-Chirac, on est admis après s’être soumis à des opérations de sélection, car la cité dispose d’une dérogation aux obligations de la « carte scolaire ». Certes, nous dit-on, beaucoup d’élèves viendront des 2ème et 3ème arrondissements de Marseille, mais, tout de même, il faudra faire examiner son livret scolaire (au fait, je ne sais pas grand-chose car l’éducation a changé depuis que j’y travaillais, et, donc, je ne sais pas trop en quoi peut consister le livret scolaire en C.E.1.). Par ailleurs, les élèves seront admis dans une des cinq « sections internationales », définies par les cinq langues enseignées dans l’école dès le C.P., ce qui signifie que le bilinguisme est au cœur du projet de l’école. Il ne s’agit pas tant d’une dimension internationale des élèves que d’une culture internationale des apprentissages. Enfin, une autre sélection fonde le projet : celle des enseignants. Comme j’aime bien mettre mon nez partout, j’ai demandé à un syndicat des enseignants, qui m’a répondu ceci : « Les postes de cet établissement sont des postes spécifiques nationaux, donc des postes à profils où aucun barème n’est requis. Le recrutement des enseignants résulte d’un choix des inspections générales et du chef d’établissement ». Le projet de cette école repose ainsi sur un confortable « entre soi ».

 

La cité scolaire Jacques-Chirac dans la politique marseillaise de l’éducation

Que peut représenter une telle « cité scolaire » dans l’éducation à Marseille ? Quand on voit l’état de nombreux établissements scolaires « ordinaires » de la ville, on ne peut que constater un « deux poids, deux mesures » insupportable. La cité scolaire Jacques Chirac a, ainsi, toute sa place dans le rêve marseillais du président de la République. Ce projet, qui a, tout de même, mis sept ans à se réaliser, est une caricature de plus de la politique inégalitaire du président de la République. Cette politique cherche, consciemment ou non, à accentuer les inégalités, pourtant déjà bien élevées, qui organisent la séparation de la ville et de la métropole en deux espaces, celui des riches et celui des pauvres. En effet, comme – on nous le dit assez souvent – les moyens financiers de l’État ne sont pas infinis, pour donner au Jacques de la Cité scolaire, il faudra bien prendre au Pierre ou au Paul de la population éducative de la ville. Cette cité scolaire va être un verrou de plus empêchant l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique scolaire visant à réduire les inégalités – celles qui sont fondamentales parce qu’elles divisent la population dans l’âge de l’enfance et de l’adolescence, celui des apprentissages et de la formation de  culture. La cité scolaire Jacques-Chirac va être, à Marseille, un ghetto de plus, mais aussi une véritable provocation à l’égard des populations qui habitent Arenc aujourd’hui.

 

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