Habitat indigne ou habitants indignes ?
Habitat indigne ou habitants indignes ?
Habitat indigne ou habitants indignes ?
Un drame qui aurait dû être évité
Le silence pesant sur la politique municipale du logement se dissipe peu à peu et beaucoup de marseillais découvrent l’ampleur du désastre. Il faut rendre hommage à ceux qui, jours et nuits, s’efforcent de soulager la peine de ceux qui ont tout perdu et qui dépendent de la solidarité publique. Le nombre des plaintes déposées et leurs diversités permettront peut-être un jour de désigner les responsables et les coupables, et nous pourrions dès aujourd’hui les nommer. Nous connaissons aussi la lenteur et la lourdeur des procédures judiciaires comme la capacité des “intéressés” à rejeter la responsabilité sur les “autres” !
On ne saurait attendre de longues années avant de mettre en place les modalités et les outils afin qu’un tel drame ne puisse se reproduire et que les habitants de Marseille, quel que soit leur statut, leurs ressources ou leur origine, puissent vivre sans crainte et sans courir les risques d’être expulsés à nouveau.
Ils ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas
Depuis quelques jours des premiers diagnostics donnent l’ampleur du mal et les mesures d’urgence pour agir efficacement. Le gouvernement a mandaté le préfet en lui donnant des moyens d’actions qui court-circuitent l’appareil municipal défaillant. Une députée (Alexandra LOUIS) est en charge d’une concertation et du recueil des attentes des populations concernées. Ces premières mesures ne doivent cependant pas occulter l’ampleur de la tâche et la responsabilité incombant aux services de l’État.
Après un trop long silence, les élus locaux et les assemblées délibérantes semblent se mettre en marche. Le Maire, Jean Claude GAUDIN, a toutefois renoncé à tenir une séance du conseil municipal par crainte des débordements. (On notera que c’est la première fois depuis 70 ans qu’une telle décision est prise). Le Conseil Métropolitain (qui regroupe les élus de l’ex-Communauté Urbaine) s’est tenu le 13 décembre et avait à son ordre du jour un débat sur “l’habitat indigne”. Ce débat, souvent houleux, a fait apparaître, de la part de nombreux maires, quelles que soient leurs appartenances politiques, la méfiance, sinon le rejet d’un minimum de solidarité avec les marseillais. Ils ont, une fois de plus, mis en cause, de manière parfois virulente, la loi SRU qui prévoit une plus juste répartition des logements sociaux. Chacun a trouvé de bons prétextes : à Velaux , Ventabren, Puy-Loubier, Grans, Bouc-Bel-Air, Saint Cannat, Trets, etc. Les élus (souvent en accord avec leurs électeurs) préfèrent s’acquitter d’une amende importante plutôt que d’appliquer la loi républicaine.
Des propos similaires ont été prononcés le 14 décembre dernier lors de la séance du Conseil départemental présidé par Martine VASSAL par ailleurs adjointe au maire de Marseille et présidente d’Aix-Marseille-Métropole. Le Conseil a ainsi refusé, une nouvelle fois, de conditionner ses aides aux communes à la construction de HLM.
La date de la séance du Conseil de la Métropole AIX-MARSEILLE-PROVENCE n’est pas encore connue mais il est fort à craindre que la plus grande majorité des élus présents reprennent leurs précédents propos et fassent ainsi preuve de la plus extrême réticence à participer aux déboires des Marseillais. Il convient de rappeler que la fusion entre la Métropole, composée aujourd’hui de 98 communes, et le département des Bouches-du-Rhône est attendue dans les prochains mois. Martine VASSAL sera ainsi présidente d’une assemblée qui, de par la loi, sera en charge de l’urbanisme et du logement sur l’ensemble du territoire départemental et disposera des moyens juridiques et financiers à même d’y faire face.
Un programme d’intervention ambitieux mais peu crédible
En date du 8 et 9 décembre 2018, a paru un supplément publicitaire, dans le journal la Marseillaise (ce journal en grande difficulté est encore sous le contrôle du Parti Communiste), et financé par la Métropole AIX-MARSEILLE-PROVENCE, avec comme titre :
“Quelle stratégie face à l’habitat indigne et dégradé ?
Martine Vassal, présidente de la Métropole, a décidé d’agir avec une stratégie mobilisant 600 millions d’euros de fonds publics pour lutter contre l’habitat indigne et dégradé. Lutte contre les marchands de sommeil, construction de partenariats pérennes et renforcés, accompagnement, réhabilitations des logements dégradés… Ce document présente les principales mesures qui définissent la nouvelle stratégie territoriale.
Ce supplément de 12 pages est un programme d’intervention qui, s’il est rapidement et complètement mis en œuvre pourrait laisser espérer qu’enfin une politique cohérente et dans l’intérêt de tous pourrait être mise en œuvre. Un tel programme, publié sous forme de publicité payante, mais aussi l’histoire récente de la Métropole, ainsi que l’attitude des élus lors des séances décrites ci-dessus, nous autorisent à mettre en doute la crédibilité d’un tel programme.
En effet, les raisons de l’hostilité des élus vis-à-vis de Marseille et le “comportement égoïste” et récurrent de la très grande majorité des maires de toutes obédiences politiques sont, sans doute, partagés par la majorité de leurs électeurs. Ces derniers, d’élection en élection, expriment leur satisfaction des politiques menées par les élus auxquels ils renouvellent régulièrement leur confiance.
Cette confiance s’explique lorsque l’on analyse les revenus des habitants, comme on peut le lire dans une enquête publiée par le journal l’Express et qui révèle “d’importantes fractures sociales et économiques (Nathania Cahen et Pierre Falga, publié le 04/12/2015 à 06:50).
(Dans 84 des 119 communes du département, soit 71% d’entre elles, le revenu mensuel des habitants est même supérieur à la moyenne hexagonale (1649 euros). Mais les 852.516 habitants de Marseille ne pèsent pas loin de la moitié de la population du département et leurs revenus (1462 euros) sont, eux, un bon cran en dessous de la moyenne. Les dix communes où vivent les habitants les plus riches et les dix où vivent les plus pauvres sont bien séparées géographiquement. Les premières se situent pour l’essentiel dans un rayon de 10 kilomètres autour d’Aix-en-Provence. Il y a là quelques villages, comme Saint-Marc-Jaumegarde, Beaurecueil ou Châteauneuf-le-Rouge et d’anciens villages, comme Eguilles, Ventabren, Cabriès et Bouc-Bel-Air.
A Marseille, le taux de pauvreté est de 25,1% sur l’ensemble de la ville mais dépasse 39 % dans cinq arrondissements (les 1er, 2e, 3e, 14e et 15e). Dans le 3e, plus de la moitié des 45.000 habitants (l’équivalent d’Aubagne) vit sous le seuil de pauvreté, ce qui en fait la ville la plus pauvre de France, et de loin. Logiquement, la pauvreté est liée au chômage. En 2012, le taux de chômage (au sens du recensement) était de 12,7% sur l’ensemble de la France mais grimpait à 15,2% dans les Bouches-du-Rhône et atteignait 18,4% à Marseille.)
Si quelques communes comme Port-de-Bouc ou Port-Saint-Louis ont des ressources modestes ce n’est pas le cas de ses voisines comme Fos ou Martigues qui, pour la deuxième fois, ont reversé à chaque électeur un chèque-cadeau à la fin de l’année.
“Ici, personne ne veut partager, ni même voir arriver de nouveaux venus”
Une telle affirmation, venant d’un habitant d’une de ces communes, pourrait être le programme électoral de la plupart des élus des Bouches-du-Rhône.
Pour mesurer concrètement l’importance de cette “fracture” sociale et économique entre la ville de Marseille enserrée dans ses collines, et les autres communes du département, il suffit de vérifier sur place le nombre et la qualité des équipements publics à la disposition des habitants : stades, piscines, centres culturels, jardins publics ont fleuri dans la plupart de communes avec l’aide substantielle du Conseil Général grâce à la volonté des présidents successifs. Madame VASSAL s’est empressée de les imiter sans préjuger de leurs étiquettes politiques. Dans bien des cas, ces équipements sont largement surdimensionnés par rapport à la taille de la population communale. Quelques exemples : les équipements culturels et salles de spectacles de GRANS ou de VELAUX, le complexe sportif de VENELLE, le Stadium d’athlétisme de MIRAMAS, etc.
Cette analyse socio-économique de la Métropole doit être complétée par une analyse similaire interne à la Ville de Marseille, mais ce n’est pas le propos de cette note. Le lecteur se rapportera au rapport de Philippe Langevin publié par le Secrétariat social de Marseille qui a fait l’objet d’un récent débat et qui s’intitule : Pauvres à Marseille : Un besoin urgent de fraternité. ( contact@secretariatsocial.org )
Les bonnes intentions ne suffiront pas
Nous mesurons avec inquiétude la distance qui sépare les intentions des actes. De multiples obstacles vont, dans les prochains mois, remettre en cause les projets établis par des représentants du gouvernement et de la Présidente d’Aix-Marseille-Provence. Pour répondre aux urgences et aux attentes de la population en matière de lutte contre “l’habitat indigne”, il faudra, de la part de tous les citoyens qui partagent aujourd’hui indignation et colère, une veille attentive et une capacité à s’opposer à toutes les décisions qui mettraient en cause l’indispensable combat contre la fracture sociale et économique entre tous les habitants de la Métropole.
Nous avons décrit les “mauvaises raisons” avancées par les maires du département mais, par-delà les capacités financières des uns ou des autres et le nombre et la qualité des équipements publics, c’est aussi et peut-être être surtout la capacité des habitants de la Métropole à accepter le vivre ensemble et admettre que “l’autre”, quel que soit son origine, son statut, la couleur de sa peau, a aussi droit au respect et à la dignité. Ceci suppose qu’ils puissent bénéficier de conditions d’habitat satisfaisantes et à la mesure de leurs moyens dans toutes les communes de la Métropole.
SI “Un besoin urgent de fraternité” doit être au centre des programmes qui seront soumis aux responsables politiques de la Métropole, cela ne suffira pas. Il faudra aussi que les élus mettent en veilleuse leur clientélisme, et qu’ils acceptent, de gré ou de force, la mise en commun des moyens financiers indispensables. Faute d’une telle “”révolution” dans leurs comportements, ils devront s’attendre à la montée des colères et des violences sans doute incontrôlables.
A ce jour, il est encore temps de réagir comme le font depuis le 5 novembre les femmes et les hommes de bonne volonté qui ont, à Marseille, compris concrètement ce que signifie le mot solidarité. A Marseille comme dans toute la Métropole chaque habitant est digne de choisir le lieu où il souhaite vivre.
Alain FOUREST
Marseille,
17/12/2018
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Votre titre ne va même pas aussi loin que le dossier de la presse de la Métropole, où on peut lire en page 6 : “éradication de l’habitant indigne”. Un lapsus bien sûr, mais que ne dit-on pas des lapsus…
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