Notes sur la composition du gouvernement d’Édouard Philippe
GÉRARD COLLOMB ET GASTON DEFFERRE
Un nouveau gouvernement a donc été constitué, sous la direction d’Édouard Philippe, par E. Macron à la suite de son élection. Ce gouvernement appelle quelques réflexions propres à la culture politique marseillaise, en particulier sur un parallèle qui s’impose entre deux figures politiques, celle de Gaston Defferre et celle de Gérard Collomb. Au-delà, ce parallèle permet d’en mettre en œuvre d’autres qui permettent de mieux comprendre l’identité urbaine de ces deux villes.
Les deux hommes politiques de la social-démocratie
Gérard Collomb et Gaston Defferre sont parvenus aux mêmes fonctions et au même statut politique : l’un et l’autre sont devenus ministre d’État, ministre de l’Intérieur, occupant ainsi, l’un et l’autre, la même place dans l’ordre protocolaire des ministres. La seule différence entre eux est que Gaston Defferre, quand il est devenu ministre de l’Intérieur, en 1981, dans le gouvernement dirigé par Pierre Mauroy, le premier gouvernement nommé par François Mitterrand, était maire de Marseille depuis 1953, alors que Gérard Collomb, quand il devient ministre de l’Intérieur, dans le gouvernement, dirigé par Édouard Philippe, nommé par Emmanuel Macron, n’est maire de Lyon que depuis 2001, même si, comme Gaston Defferre à Marseille, il est comme depuis toujours une figure de la vie politique de la ville. Les deux hommes appartiennent, par ailleurs, l’un et l’autre, au Parti socialiste dans lequel l’un et l’autre se situent à la droite de ce parti, dans la mouvance que l’on pourrait appeler libérale de ce parti social-démocrate. C’est que la politique urbaine, dans les deux villes, se situe dans ce que l’on peut appeler une logique social-démocrate, ce qui serait sans doute plus juste que la dénomination « socialiste » que l’on a tendance à donner à l’appartenance politique de ces deux maires.
En comparant ces deux hommes politiques, on peut mieux comprendre ce qu’est la social-démocratie, que l’on peut définir comme une forme de compromis entre le libéralisme, une orientation politique fondée sur la liberté des entreprises et l’impossibilité pour l’État et le politique d’intervenir dans le marché, et le choix d’une forme de politique sociale, de ce qui se fait passer pour une attention portée aux classes populaires alors qu’il s’agit, en fait, d’une politique libérale cherchant à se faire accepter à la fois par les milieux populaires et par les milieux bourgeois ou les acteurs économiques.
Limites de la social-démocratie urbaine
S’ils n’ont pas occupé le pouvoir municipal pendant autant de temps l’un et l’autre, ces deux hommes politiques s’inscrivent, l’un comme l’autre, dans une tradition et une culture politique inscrite depuis longtemps dans leurs villes : Gaston Defferre a occupé le pouvoir pendant cinquante ans, et Gérard Collomb s’inscrit, finalement, dans une culture politique qui fut, en d’autres temps, celle d’Edouard Herriot, maire radical de Lyon de 1905 à 1957, après avoir été membre du gouvernement du Front populaire et président de la Chambre des députés puis de l’Assemblée nationale. Il a toujours existé à Marseille un courant social-démocrate des pouvoirs municipaux, comme peut en témoigner la figure de Gaston Flaissières, maire de 1892 à 1902, qui, lors de son arrivée à Marseille où il devient médecin en 1877, se présente comme « collectiviste », nom que l’on donnait alors au socialisme.
Il s’agit donc, dans le cas de Lyon comme dans celui de Marseille, d’une social-démocratie urbaine dont le souci est d’élaborer et de mettre en œuvre une politique urbaine tenant de concilier le libéralisme et l’amélioration des conditions de vie des classes populaires. Mais, et c’est encore la comparaison entre Defferre et Collomb comme entre Marseille et Lyon qui permet de mieux le comprendre, la limite de la social-démocratie est justement là : le libéralisme est fondamentalement inconciliable avec la qualité de vie des classes populaires et l’institution d’une égalité réelle parce que ce qui le définit est que le pouvoir sur l’économie échappe aux acteurs politiques choisis par le peuple. C’est ainsi, en particulier, qu’à Lyon et à Marseille, la dégradation des espaces urbains, en particulier dans les quartiers périphériques, s’est aggravée, en particulier en raison de la libéralisation du marché de l’immobilier à laquelle les pouvoirs municipaux n’ont rien fait. L’autre limite de la social-démocratie urbaine, sensible dans les paysages de la ville, est l’absence d’attention réelle portée à l’environnement et à la place de l’écologie dans les politiques urbaines.
En succédant, en 1995, à G. Defferre et à R. Vigouroux, J.-C. Gaudin aura installé, en quelque sorte, à la mairie, une social-démocratie de droite (il avait été élu conseiller municipal, en 1965, sur les listes « socialo-centristes » dirigées par G. Defferre), ce qui permet de comprendre qu’en se présentant comme n’étant ni de droite ni de gauche ou à la fois de droite et de gauche, la social-démocratie n’est qu’une sorte d’habillage d’une orientation politique libérale, c’est-à-dire, finalement, d’une orientation politique de droite, même si elle se maintient, notamment au pouvoir municipal, par des compromis avec les politiques de gauche.
La comparaison entre Lyon et Marseille
Mais le parallèle entre Lyon et Marseille s’inscrit, surtout, dans l’ancienne rivalité entre els deux villes. Sans doute peut-on mieux le comprendre en comprenant que, fondamentalement, Lyon est une ville du Nord et Marseille une ville du Sud. En France, la limite entre le Nord et le Sud passe quelque part entre Valence et Montélimar. C’est précisément ce qui permet de comprendre que deux villes qui, au moment de l’industrialisation, de l’arrivée du chemin de fer et de l’urbanisation contemporaine, au XIXème siècle, étaient sensiblement de même importance et de même poids économique, se sont éloignées l’une de l’autre, Lyon devenant une ville de plus en plus prospère, en particulier grâce à son implication dans les réseaux européens, et Marseille devenant, elle, de plus en plus pauvre, en particulier en raison du déclin des activités maritimes. C’est bien pour cela qu’il y a urgence, aujourd’hui, à construire un nouveau projet pour Marseille : c’est ce dont la comparaison entre les deux villes nous impose de mieux saisir l’urgence.
Commentaires
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Hou la ! Il me semblerait plutôt que la différence de niveau de développement (de richesse produite et partageable sur leurs territoires respectifs ainsi que d’emplois) entre Lyon et Marseille tient plutôt à la réussite d’une reconversion industrielle de Lyon dans le contexte d’une construction précoce de son organisation métropolitaine, associant les collectivités locales de diverses tendances et une chambre de commerce ayant un histoire industrielle plutôt que marchande… Marseille et les territoires qui l’environnent n’ont pu/su ni conduire cette reconversion (qui nous aurait conduit de la réparation navale, des mines de Gardanne et de la transformation des produits “coloniaux” à une base industrielle fondée sur les atouts présents dans notre recherche publique et dans notre écosystème naturel), ni organiser un tel fonctionnement territorial politico-économique.
Quand à la définition de la social-démocratie qui est donnée et l’analyse de ses conséquences urbaines, c’est faire bonne mesure des villes, notamment en Europe de nord, en Autriche, en Allemagne, qui ont historiquement conduit des politiques urbaines, sociales, de logement, de transport et d’environnement que l’on juge généralement comme plutôt bonnes, si ce n’est exemplaires.
S’il y a (entre autre) une critique à faire des années Defferre c’est probablement de ne pas avoir été assez social-démocrate et d’avoir verrouillé la ville dans cette polarisation territoriale et sociale : Nord pauvre et d’immigration récente/ Sud plus riche et d’immigration ancienne. Et s’il y a une critique à faire des années Gaudin c’est ne pas l’avoir été du tout… de toute façon les années Gaudin auront été un néant, un gouffre, une catastrophe dont la ville portera longtemps les stigmates et le poids…
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