A Marseille, l’association Wake Up Café s’est donnée la mission d’aider les détenus à préparer leur réinsertion. Dans cette ville où le taux de chômage dépasse la barre des 16%, cette étape est un parcours semé d’embûches. Structure existante dans trois villes françaises, la nouvelle antenne marseillaise du Wake Up Café vient d’ouvrir ses portes. Reportage.
Article publié en partenariat avec le Celsa – Sorbonne Université, école de journalisme, et le projet Celsud, blog de reportages à Marseille des étudiants en Master 2.
“On est bien ici, on s’attache vite ” confie Bilel, jeune détenu marseillais, tout en terminant la préparation du poulet curry en cuisine. Dans la rue Pautrier, à deux pas de la gare Saint-Charles, le Wake up café accueille une quinzaine de détenus du lundi au vendredi. L’association est installée dans un local lumineux de 200 mètres carrés. En aidant les détenus à trouver du travail, elle prépare leur réinsertion. Ils arrivent principalement des Baumettes, réputée comme l’une des prisons les plus dures de France.
Peu avant leur libération, certains obtiennent la possibilité de venir passer la journée dans ce centre, avant de retourner en détention le soir. Membres et détenus ont instauré un rituel quotidien : ils cuisinent et déjeunent ensemble. Thérapie, coaching professionnel, boxe et prise de parole en public, les journées des wakers sont chargées.
Une récidive réduite à 8%
Depuis la récente ouverture du lieu en décembre, Éléna et Julie enchaînent les visites aux parloirs. À terme, elles espèrent accueillir une quinzaine de détenus par jour, soit quelques centaines par an. Depuis sa création en 2014, l’association a accompagné 825 détenus, dont 8% de femmes. Leur principal succès : le taux de récidive, tombé de 60% à 8% en passant par la case Wake Up Café. Le projet existe grâce à ses financements à 50 % publics, venus du Ministère de la justice et du travail, ou encore les collectivités locales et régionales. Mais également grâce aux dons d’entreprises comme Accor, Carrefour ou Vinci.
Au Wake Up Café, l’accueil ne dépend pas du motif de la condamnation. Pour la simple raison qu’un détenu condamné pour crime est parfois plus facilement réinséré qu’un condamné pour trafic de stupéfiants, selon Guillaume Bosch. Pourquoi ? “La culpabilité liée à un crime vous impose une droiture et vous marque davantage” explique-t-il. À l’image de Marina*, 34 ans, mère de deux enfants. Elle a vécu six ans de détention dans quatre prisons différentes. Condamnée pour violences et séquestration sur son beau-père, incestueux et violent, elle a maintenant purgé sa peine et parvient à en parler avec sérénité.
Aujourd’hui en semi-liberté, elle dit vouloir s’en sortir pour ses enfants et partage ses journées entre le Wake Up Café et son appartement, où elle vit sous bracelet électronique. Lors de l’atelier de prise de parole, elle s’entraîne en vue de futurs entretiens de recrutement: « Rigoureuse, motivée et dynamique, je suis prête à intégrer le poste de préparatrice de commande« . Même si elle estime devoir regagner confiance en elle, elle pense être dans la bonne direction « pour la première fois depuis bien longtemps ».
À Marseille, la réinsertion est un défi de taille
Bilel*, lui, est né à Montpellier et a grandi dans le quartier de la Belle de Mai, dans le troisième arrondissement de Marseille. Passionné de foot dès son plus jeune âge, il s’investit dans un club mais n’assume pas l’engagement dans la durée. “Les ligaments croisés” plaisante t-il avant d’enchaîner plus sérieusement « J’ai préféré faire des conneries, j’étais un jeune con” explique t-il du haut de ses vingt ans. En 2017, alors qu’il est incarcéré, un casting est réalisé aux Baumettes pour le film Shéhérazade. Il pense être passé à côté de sa chance. “On m’a demandé de faire semblant d’être énervé au foyer, j’étais gêné, je les ai pris pour des cons, mais c’était réel” explique Bilel. À l’époque, c’est Dylan Robert qui est choisi par le réalisateur et finit Césarisé en 2019. Ce 1er février, l’acteur est à nouveau condamné à trente mois de prison pour vols avec violence. “C’est jamais acquis. Il y a des déterminismes. Sans compter les comportements impulsifs qui finissent par devenir des addictions. C’est un combat de tous les jours”, résume le responsable du site Guillaume Bosch.
À Marseille, la réinsertion des prisonniers est un défi de taille. La population carcérale des Baumettes est très jeune. En 2018, 51 % des détenus sont âgés de 18 à 30 ans. Dans la citée phocéenne, le taux de chômage des jeunes entre 18 et 25 ans s’élève à 31%. La question du logement est également préoccupante. En France, 14% des détenus n’ont pas de logement à la sortie de prison. A Marseille, où l’on compte un grand nombre de logements insalubres, c’est encore plus difficile de trouver un point de chute. Sans oublier le faible réseau de transports en commun. “Mais attention, il n’y a finalement pas de grande différence avec un détenu du 93 qui voudrait travailler à Paris” explique Guillaume Bosch. A Fleury Mérogis comme aux Baumettes, les parcours sont les mêmes : décrochage scolaire, spirale de la violence, éloignement de la ville et moindre accès aux services publics…
Le nécessaire équilibre entre engagement et détachement
Guillaume Bosch était auparavant éducateur pour mineurs. Selon lui, tenir bon dans l’accompagnement des détenus consiste à trouver un équilibre entre engagement et détachement. “Pas plus tard qu’hier, j’ai mis fin à un accompagnement. Parce que la personne n’est pas prête, qu’elle est encore trop en colère contre un système et ne reconnaît pas sa faute”. À ses yeux, un travailleur social doit éviter de vouloir se soigner en pensant soigner les autres. “J’ai mis du temps à le comprendre. Au début, on tire sur la corde, au risque d’être abattu si la réinsertion n’aboutit pas”. Avant même la relation entre les wakers et l’équipe associative, ce sont les liens entre détenus qui contribuent à leur réinsertion.
Parfois, des conflits éclatent dans les locaux de l’association. “C’est important qu’il n’y ait pas de jugement entre eux et qu’ils se soutiennent” explique Éléna Gantzer, entre deux rendez-vous administratifs. Elle revient de la banque où elle rencontre toujours les mêmes difficultés : elle doit s’armer de patience pour obtenir l’ouverture d’un compte en banque pour les détenus. Sésame pour trouver un emploi, la démarche est rendue difficile face à la méfiance des banquiers.
Quand sonne la fin des ateliers à 16h, les détenus rejoignent la prison. Ils ont le sourire aux lèvres en partant. Ils savent qu’ils vont revenir le lendemain matin. Pour Julie et Éléna, la journée est loin d’être terminée. Elles doivent constituer une demande d’acquisition de la nationalité française pour l’un des prisonniers. Sans quoi, il n’aura aucun moyen d’intégrer leur processus de réinsertion.
Texte et photos Victoire Radenne
*Les prénoms ont été changés
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