ALAIN FOUREST

Billet de blog
le 5 Mar 2025
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Alain Fourest nous a quittés. Il était malade. Deux autres de ses amis, Christian Bruschi et Gérard Perrier, et moi, nous avons eu envie de consacrer un de mes blogs à sa mémoire.

Alain Fourest, lors d
Alain Fourest, lors d'une émission de Marsactu en 2012.

Alain Fourest, lors d'une émission de Marsactu en 2012.

Alain n’était pas prédestiné à devenir le militant des droits de l’homme, du respect des exclu(e)s, des marginalisé(e)s par le pouvoir et les puissants. Issu d’une famille catholique traditionnelle comptant nombre d’officiers, il saisit très vite, sans rompre avec sa foi catholique, que tous les rapports de domination sont suspects, que ce soit dans le travail, le logement ou au sein de la colonisation. Doté d’une excellente formation, il ne vise pas les postes bien rémunérés ou valorisants mais porte son intérêt sur les dysfonctionnements de notre société. Alain était à la fois un homme de projets et d’action : il était engagé par son regard critique, par sa parole soucieuse et par sa participation réelle à des actions de politique inscrivant la solidarité dans des actes  dont il était soucieux de l’issue. Alain Fourest était de ces femmes et de ces hommes qui cherchaient à redonner à la gauche une vie qu’elle a un peu perdue contribuant à la construction de ses projets et à la réalisation des idéaux qui la fondent et qu’elle a un peu perdus.

Très tôt, dans les années 1970, il est un des pionniers de la politique de la ville, la croissance des quartiers périphériques, la constitution de ghettos réservés aux populations immigrées, l’abandon des services publics dans certains quartiers l’amènent à une réflexion sur la ville de demain avec toutes ses fluidités, sur l’appropriation de la ville par chacun. C’est le moment où le maire de Marseille, Gaston Defferre, prend conscience des limites du tout béton et veut donner à sa ville une âme dans toutes ses composantes, il choisit Alain comme conseiller à la politique de la ville. Infatigable, présent sur tous les fronts, il s’active à favoriser le lien social dans les quartiers et entre les quartiers. Il devient la personnalité-ressource en charge de faciliter l’accès de toutes et tous à la citoyenneté, il perçoit le potentiel des enfants issus de l’immigration et soutient ardemment leur combat pour l’égalité. Il et bien plus qu’un haut-fonctionnaire compétent techniquement et dévoué, il est exigeant et cherche à intégrer ses tâches à une vision globale, à une vision politique au sens le plus noble du terme.

Il devint membre du PS. Il participa aux travaux du CEMERS, centre d’études et de recherche marseillais sur la solidarité, un club dont les analyses nourrissaient la réflexion sur l’avenir de Marseille Au sein de ce CEMERS, il côtoya Michèle et Michel Trégan, Philippe Sanmarco, et d’autres, comme Bernard Morel. Alain faisait partie de ce groupe avec sa femme, Odile. Les participants du CEMERS échangeaient des idées, tentaient d’avoir une action sur la gauche de Marseille en élaborant des projets susceptibles de construire des alternatives à une politique trop placée sous l’emprise des appareils, ce dont Alain de voulait pas.

Alain habitait pleinement Marseille, au sens où il ne se contentait pas d’y avoir un logement, dans une petite rue du 7ème arrondissement, mais où il avait de grands soucis pour cette ville : soucis politiques, celui de l’égalité et de la solidarité, soucis esthétiques, car il tenait à tenir compte du paysage dans les projets de rénovation auxquels il continuait, soucis aussi de l’intégration de tous dans la ville – raison pour laquelle il a toujours milité dans les associations et les actions de défense des droits de l’homme et d’intégration des populations venues des pays étrangers. Surtout, il tenait à ce que la gauche marseillaise soit réellement une gauche, sans concessions et pleinement présente, dans tous les lieux de la ville.

La vie d’Alain Fourest était une vie de militant : il ne se contentait pas de réfléchir et de contribuer au débat, mais il exprimait son engagement par des actes et par la recherche d’une incidence réelle sur l’élaboration et la mise en œuvre des projets de rénovation et de restructuration de la vie des quartiers – en particulier dans les quartiers Nord auxquels il entendait donner une identité en rendant leurs habitants pleinement conscients de leurs droits et eux-mêmes engagés dans les réseaux de vie associative auxquels il participait ou qu’il contribuait à construire. Avec sa femme Odile, il vouait sa vie à un engagement, fait à la fois de savoir, de culture et d’action de terrain. C’est ainsi que pour Alain, le savoir n’était rien s’il ne s’appuyait pas sur des entreprises ou ne se prolongeait pas par elles : il s’agissait de faire de la rénovation de la ville une véritable entreprise de fécondation de la ville par un terrain qu’il voulait rendre fertile.

C’est pourquoi son grand champ d’implication fut la cité, notamment à partir des grandes lois et des grands travaux de rénovation urbaine et de politique de la ville à partir des années 1981-1982. Pour Alain, une politique de la ville consistait dans la construction d’une rationalité politique de la rénovation de la ville, tellement mise à mal par le libéralisme. Il refusait les compromissions, les approximations et tenait, au contraire, à s’investir dans des luttes concrètes pour faire reconnaître les droits des invisibles, des rejeté(e)s. Il agissait, ainsi, pour soutenir les exilé(e)s politiques d’Amérique latine à l’époque nombreux à Marseille, son humanisme le conduisit à la défense et à la promotion des droits de l’homme. Il relança la Ligue des droits de l’homme – , on peut même dire qu’il la refonda. Toujours solidaire avec Odile, son épouse, il était à l’écoute de toutes les résistances à l’oppression. Il se tourna vers les gens du voyage, oubliés par les pouvoirs publics et en marge de la société, ne disposant pas d’emplacements pour stationner avec leurs familles, même quand ils sont propriétaires de terrains, des voisins et des municipalités s’y opposant en n’hésitant pas à recourir à des moyens illégaux. Alain se démenait, cherchait des avocats pour les défendre, car il ne tolérait pas l’injustice. Dans ce domaine, il contribuera à la création de Rencontres tziganes.  

Au Centre social de Saint-Gabriel, pionnier de la politique de la ville, Alain fut un  conseiller enthousiaste,  avec les acquis de la longue expérience qu’il avait acquise à Lyon, à Paris, à Fos sur Mer et ailleurs….Un soir, à une « Table de quartier » du Centre social, là où se dit simplement ce qui ne va pas et comment agir ensemble pour que ça aille un peu mieux dans le quartier, est venue l’idée d’une fête. Nous y voilà.

Ce mois d’octobre 2015, c’est encore pour « se parler », s’écouter, essayer de se comprendre et de comprendre ce qui advient en France et en Europe que le Centre Social avait  pris l’initiative d’organiser une manifestation publique de fraternité. Alain Fourest était là, pour écouter, témoigner…Bref pour vivre une utopie républicaine  de  liberté, d’égalité, de fraternité, tous ensemble. Il imaginait un rêve de vivre ensemble quand tant nous sépare. Il était animé par un désir de construire « des ponts et non des murs ». Quand tant de barbelés, de murs, de Méditerranée-cimetière, organisent le déni de la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU (1948) et le devoir d’hospitalité, pour les réfugiés qui fuient la mort de masse, comme le stipule son Article 14.1 « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. » 

Nous nous rappelons les propos haineux du maire du 14ème arrondissement, S. Ravier (FN) lors d’un reportage sur FR 3  : « J’en ai rien à foutre, moi, du vivre ensemble ». Justement : les parents d’élèves et les enseignants de la Busserine puis des Flamants lui avaient répondu par une pétition de protestation signée par 900 personnes. Leur banderole était là, sur la place, avec les mots de la fraternité : « vivre ensemble ». Et je vois encore le sourire d’Alain Fourest …Le contrepied du FN. Avec d’autres associations. Et soutenus par les accents combatifs d’un professeur de l’école de la Busserine, Sébastien Fournier. Avec, à ses côtés, Fatima Mostefaoui de la coordination PACA de « Pas sans nous » dont Alain Fourest, comme Samuel Johsua, pas fatigué en 40 ans de militantisme (élu du Front de gauche à la mairie du 13/14 ), Babette aussi. Et Christine et Louis Bartolomei , fondateurs du Syndicat de la Magistrature, tous côte à côte, avec, encore, le Parti Socialiste autour de Stéphane Mari (Conseiller municipal PS de Marseille) et Sophie Camard, alors EELV, tête de liste avec le Front de gauche aux régionales de la liste « Pour une région coopérative ». Pas de fête sans mots de poésie, sans musique, danse et  des repas sans frontières. Ces cadeaux avaient été partagés entre tous. Des cuisiniers salariés et bénévoles avaient travaillé avant, pendant et encore après. Tout cela avait été coordonné par Danielle Galus, la directrice du Centre Social, présente partout. Avec Alain Fourest toujours à ses côtés, qui courait des dossiers au téléphone, à la préfecture, avec les ateliers d’éducation populaire et accueils sociaux si nombreux de ce centre social.

Alain Fourest savait aussi que seul un changement politique pourrait inverser le cours des choses. Il déplorait l’incapacité de la gauche à s’unir alors que l’extrême-droite est aux portes du pouvoir. Avec Christian Bruschi et quelques autres, il participa au collectif « Réinventer la gauche ». Assidu aux réunions de ce collectif, il en a fait bénéficier les membres de son expérience en de multiples domaines, les droits de l’homme, le logement, la métropole. Il suscitait des débats d’une grande richesse, animait des réunions publiques. Il participa activement à la création de l’aile citoyenne du Mouvement sans précédent qui deviendra le Printemps marseillais puis à la campagne pour les municipales de 2020. Conscient de l’enjeu représenté par la métropole dans ces élections, il contribua à la tenue d’une réunion sur le sujet entre militants de Marseille et des villes alentour dont Aix, Septèmes et Vitrolles. Après le succès aux élections, il fut présent auprès d’élue(e)s du Printemps marseillais auxquel(le)s il offrait son aide et ses conseils, notamment en matière de logement.

Tous ces moments de la vie d’Alain Fourest nous reviennent en mémoire, aujourd’hui.

Même si, devenu gravement malade, il se fit plus rare et fut obligé de renoncer à ses activités, Alain était l’action associée à la réflexion, ses analyses pertinentes débouchaient toujours sur des propositions d’action. 

Nous ne l’oublierons pas et il restera pour nous une référence et un exemple. Pour nous tous, il est vivant … et pour toujours !

 

Ce texte a été rédigé par Christian Bruschi, avocat, Bernard Lamizet, ancien universitaire et sémiologue du politique, et Gérard Perrier, professeur de lettres, tous droits engagés à gauche et dans la défense des droits des femmes et des hommes.

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