À GÈZE : LE BUSINESS SANS TERRE
Du 28 juillet au 26 août a eu lieu la « phase de concertation » du projet immobilier de « smart campus » qui, dans le cadre d’Euroméditerranée, consiste dans un projet immobilier de 35 000 mètres carrés élaboré par le concepteur Kévin Polizzi qui proposera un campus numérique comprenant des écoles et des bâtiments connectés pour les entreprises.
Le projet Euroméditerranée
Euroméditerranée a été institué par un décret du 13 octobre 1995. Le projet avait été lancé par l’État et par le maire de Marseille d’alors, Robert Vigouroux. L’établissement public d’aménagement avait été élaboré par un accord élaboré en 1994, puis revu en 2007, pour un projet de 479 hectares (presque un quart de Marseille, qui s’étend sur 240 km2, soit 2000 hectares). Il comprend des tours comme la tour CMA/CGM, la Marseillaise ou la tour Mirabeau, et diverses constructions, destinées essentiellement à des bureaux, à des commerces, certaines de ces tours étant conçues pour de l’habitation. Euroméditerranée est un vaste ensemble de constructions qui est à part dans l’espace urbain de Marseille. On peut le voir de la passerelle autoroutière quand on quitte Marseille en allant vers le Nord. Cette opération d’urbanisme n’est pas un quartier car il ne s’agit pas d’un véritable espace de ville. Sans doute des familles habiteront là, mais elles vivront en-dehors de Marseille, dans une sorte de ghetto fermé à l’écart de la ville réelle. Il s’agit d’un ensemble créé de toutes pièces dans des bureaux par des technocrates et des pouvoirs : une telle opération d’urbanisme ne consiste pas dans une opération d’urbanisme réel (il n’a été tenu compte d’aucune des spécificités urbaines de Marseille) ni dans un projet politique (les habitantes et les habitants n’ont pas été consultés, notamment celles et ceux qui vivent à présent dans cet espace). Des projets comme Euroméditerranée font de cette partie de Marseille une ville sans culture, sans histoire, sans signification. Comme il y a donc trente ans que ce projet s’est imposé à Marseille, on peut donc avoir du recul et se rendre compte à la fois de l’absence de débat et de dimension politique de ce projet et du fait que, réduit à un ensemble prenant la forme d’un réseau, il ne consiste pas dans un véritable projet de ville : il n’est pas destiné à être habité, même si certains habitants s’y installeront dans des espaces qui leur seront imposés, il n’est conçu que pour de la fonctionnalité.
Le « méga-projet » Theodora
C’est dans ce cadre qu’il faut penser « Theodora », le “méga-projet” de l’architecte K. Polizzi, qui, donc, a fait l’objet d’une concertation du 28 juillet au 26 août. J. Vinzent avait présenté ce projet dans “Marsacrtu” du 9 avril 2024. Comme par hasard, cette phase dite de concertation et, donc, de débat, de discussion, avec les habitantes et les habitants du quartier a eu lieu en plein été, à un moment où le quartier est moins disponible pour de la concertation. Ce projet « Theodora » s’étend sur 35 hectares, il s’agit donc d’un peu plus du dixième d’Euroméditerranée à lui tout seul. Ce projet immobilier a fait l’objet d’un accord politique du conseil métropolitain du 18 avril 2024. Pour réaliser « Theodora », il faudra réaménager le lit du ruisseau des Aygalades, et prévoir un des immeubles du projet sur pilotis pour accueillir une partie des bureaux prévus. Mais les bureaux seront accompagnés d’établissements de formation destinés à préparer celles et ceux qui occuperont les emplois prévus dans le numérique dans le cadre des entreprises de « Theodora », et, de cette manière, à mieux les formater, à leur donner le profil exigé. En accompagnant les entreprises des lieux de formation qui leur sont destinés, les concepteurs du projet ont vraiment prévu un système de travail et d’emploi en vase clos, les espaces destinés au logement par Euroméditerranée achevant d’enfermer les usagers de cet ensemble immobilier dans un espace autonome, situé à côté de Marseille, sans lien avec la ville ni avec la citoyenneté urbaine. Il ne sera pas question pour eux d’habiter Marseille, mais, travaillant dans les bureaux de « Theodora », ils seront logés dans Euroméditerranée, à l’écart de la ville.
Une ville d’affaires ?
« Theodora » est donc un centre d’affaires (je tiens à écrire « centre d’affaires » en français, même si le projet est présenté comme un « business center », car l’usage de l’américain fait plus chic). J. Vinzent nous explique qu’à côté des entreprises de bureaux, des commerces et des services, seront prévus des emplois et des activités d’économie sociale et solidaire, à la fois parce que la municipalité conclura une « charte d’insertion » avec les concepteurs du projet et parce qu’une opération comme celle-là ne peut être véritablement acceptée dans un tel quartier que si elle répond à un certain nombre d’exigences. On peut noter, au passage, que ce terme, « insertion », est un vocable utilisé dans le domaine du chômage et dans celui des exclus. C’est qu’une opération immobilière comme « Theodora » chasse les habitants de leur quartier, elle transforme ce quartier de Marseille en un espace sans habitants et, dans lequel, par conséquent, on sera bien obligé de se plier à certaines exigences, à la fois pour pouvoir s’installer dans un quartier qui demeure pour quelque temps encore populaire et pour ne pas rencontrer trop d’oppositions de la part des pouvoirs, des élus et des habitants. Installer un « centre d’affaires » dans un quartier comme Gèze transforme un quartier populaire en en excluant le peuple pour le remplacer par des bureaux. Non seulement un urbanisme de petites maisons et d’immeubles modestes se fait remplacer par un quartier de tours et de bureaux mais un tel quartier n’est plus un quartier populaire alors qu’il l’a toujours été jusqu’à maintenant. Nous nous trouvons face à la transformation des « quartiers Nord » en quartiers de bureaux et d’activités numériques. En changeant la culture du quartier, les urbanistes font de lui un quartier d’affaires. Mais, au-delà de « Theodora » et de Gèze, c’est tout Marseille qui commence à changer de visage, à ne plus être la ville qu’elle fut pour devenir une ville de tours, de bureaux et d’entreprises imposant le numérique comme mode d’activité. Certes, Marseille est née du commerce et des marchands venus débarquer au port, mais, tout au long de son histoire, Marseille a connu un commerce de femmes et d’hommes, un commerce d’échanges et de paroles. Ce qui est nouveau, c’est que ce commerce se réduit peu à peu à un commerce numérique sans paroles et sans libertés. Prenons garde à ce qu’un tel changement ne tue pas la ville et l’esthétique des paysages urbains véritables. Prenons garde à ce que Marseille, à force de tels changements et de « business centers », ne devienne pas une ville sans terre ou que le centre d’affaires ne manifeste pas une activité qui « s’enterre », à force de mourir.
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