Dicovid 19-20
42. Vergogne
Pour accompagner ces temps de déconfinement.
Faute de festival de Cannes, si l’on organisait cette année un festival de Ricanes ? Si l’on faisait défiler sur nos écrans domestiques les stars du culot, les étoiles de l’indécence et les révélations du cynisme ? Si l’on ricanait de conserve en les regardant monter le tapis rouge sans vergogne ni retenue, médaille de l’ignominie sur le revers ? Si on les vilipendait à loisir et foison ? Ils ont proliféré ces derniers mois et beaucoup sont là ce soir, airs satisfaits, écharpe siglée « Corona, une opportunité à saisir », attendant le palmarès, persuadés d’avoir leur chance malgré la concurrence et de l’emporter grâce à leurs scénarios rodés et leurs répliques calibrées. Hou, hou, hou !
Parmi eux, et aux premiers rangs, voici le boss du syndicat des grandes firmes et son courrier secret adressé au gouvernement en vue d’obtenir un moratoire sur les dispositions environnementales, les dirigeants de banques en appelant à se remettre sur une pente plus propice à l’équilibre des finances publiques, les compagnies d’assurance qui n’assurent plus quand il s’agit de passer à table, les marchands de plastique vantant les vertus sanitaires de leurs sacs d’emballage, le groupe pharmaceutique envisageant de réserver son futur vaccin aux financeurs étatsuniens, les dirigeants millionnaires déclarant qu’il faudrait bien se poser tôt ou tard la question des congés payés… Hou, hou, hou !
On reconnait également les députés ayant refusé de priver de subventions exceptionnelles les sociétés dont les sièges sont dans des paradis fiscaux, la ministre de la start-up nation en appelant au civisme des salariés du bâtiment qui osaient réclamer un droit de retrait, la même saisissant l’opportunité pour réduire les délais de consultation des instances syndicales, le ministre considérant l’ISF comme une vieille lune du XX° siècle.
Et voici encore les grands groupes prêts à s’engager dans des partenariats public-privé pour financer les hôpitaux, les avionneurs faisant la promotion de leur système de climatisation censé neutraliser totalement les virus, les distributeurs médias offrant leurs services pour sauver les intermittents, le pdg à 2 millions d’euros annuels évaluant son travail de banquier à l’équivalent de celui d’une centaine d’infirmières, la richissime industrie fossile criant famine, les plateformes chipotant sur les mesures de sécurité de leurs salariés, le groupe automobile élaborant un plan de reconversion à peine obtenu un prêt garanti par l’Etat. Et tant d’autres encore que chacun pourra reconnaître… Hou, hou, hou !
Tous les galets de ce conglomérat compact comme un poudingue attendent l’arrivée du maitre de cérémonie qui entre finalement au son d’une marche triomphale, forcément triomphale. En blouse et masque de solidarité à paillettes du meilleur effet, il sourit aux anges déçus et couvre bientôt les ignobles des flatteries d’usage – hou, hou, hou ! – avant de donner la parole à son acolyte, combinaison et gants faut donner l’exemple, qui se nettoie longuement les mains au gel avant d’ouvrir l’enveloppe. Le grand prix de la mise en scène de ses turpitudes est attribué à…Silence suspendu dans la salle. Pompiers pyromanes, nantis adeptes des efforts pour autrui, puissants sublimant leur impuissance, tous retiennent leur souffle en attendant le verdict. Le prix spécial du jury est accordé à…Moi, moi, moi ! N’y tenant plus, tous les sans vergogne se lèvent d’un seul cri et s’avancent dans une énorme bousculade. Moi, moi, moi !…. Hou, hou, hou ! Ils se précipitent, se bousculent, se piétinent et les pires terminent leur course sur l’estrade en bavant. Tandis que les passe-plats filent en coulisse, le rideau tombe et la scène s’effondre sous la lourdeur des sans vergogne. Médusés devant leurs écrans, les spectateurs ricanent. Quel festival !
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